5. Rupture 

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 Tout ceci est du passé et je ne fais que le ressasser. Mais ces souvenirs s’imposent à moi de tous leur poids, ne s’arrêtant pas de me faire retourner, encore et encore en arrière. Je revois ces images au travers de mes paupières. Ces pages, je crois que je n’ai pas envie qu’elles se tournent. elles sont lourdes et m’écraseraient si elles me tombaient dessus.

 J’ai rencontré Océane à une fête organisée pour la fin du baccalauréat. Euphoriques, les futurs étudiants buvaient, dansaient et chantaient. Nous, sommes restés toute la nuit dans un coin, à discuter. Elle m’a raconté ses vacances, ses envies, ses rêves. Nous nous sommes découvert l’un à l’autre par un jeu de question-réponse qui nous faisait esquisser des sourires. Nous refaisions le monde comme on dit, à coup de grandes idées philosophiques et de grand principes. de fil en aiguilles, elle m’a demandé si j’étais croyant. J’ai longtemps hésité avant de répondre simplement que je ne croyais ni aux miracles ni au paradis et que je ne pensais pas qu’il y avait un gars à barbe blanche là haut nous regardant de là haut. J’étais assis contre la fenêtre, la nuit devenait blanche et les oiseaux commençaient à chanter. Je l’ai trouvé belle, étendue là sur le divan, sa chevelure dorée ruisselante sur la rive de ses joues. J’observais son profil éclairé par l’aube quand elle a m’a demandé qu’elle était ma plus grande peur. Pour elle, c’était de perdre un proche. Je lui a répondu que ma plus grande peur était d’être comme ma mère. c'est une peur égoiste. Elle m’a demandé pourquoi et je lui ai dit qu’elle était malade, et que mon grand père aussi. « De quelle maladie » m’a-t-elle dit, ce à quoi j’ai répondu simplement « bipolaire ».

Je ne l'avais jamais dit à une fille, mais elle n’a pas été la première à qui je prononçait cette phrase. c'était dans un tout autre contexte, dans la voiture du moniteur d’auto-école où j’ai complètement craqué. Le matin même avant la séance, j'avais vomi de stress, le genre de vomi qui tord le ventre. Lors de l’heure de conduite, mon dos pourtant aspérgé de déodorant collait au siège, mes gestes était imprécis, ma tête ailleurs. J’accumulais les erreurs, oubliant mon clignotant une fois jusqu’à aller sur une voie à contre sens. Il m’a fait arrêter sur le bords de la route. J’ai détaché ma ceinture.

- J’me barre, je vais rentrer à pied.

- Non tu restes là. Mais enfin Yannis, il faut te ressaisir, merde, faut arrêter d’être cette… victime de la vie que tu subis.

- Je vais arrêter de subir, je rentre chez moi à pied. Je fais mine de me lever.

- Mais t’as vu comme tu conduis ? Reviens là. Qu’est ce qui tourne pas rond chez toi ? Merde, j’ai jamais vu ça.

- J’ai peur. Je m’effondre en larme. J’ai peur de ça. De ce qui se passe. De comment je me comporte. Y’a quelque chose qui cloche. J’ai pas peur de toi merde. Tes séances, ça me terrorise par ce que j’ai peur de moi. J’ai peur d’être un incapable, d’être un handicapé. Conduire ça me fait penser que je suis handicapé.

- Et pourquoi tu serais handicapé ?

- J’ai peur d’être comme ma mère, j’ai peur d’être bipolaire.

 Aujourd’hui je dois avouer que cela me terrifie encore. Pour l’instant je ne connais que cette foutue dépression contre laquelle le médecin m’a prescrit un antidépresseurs. Je m’étais présenté devant lui, racontant mes déboires amoureux et comment mes parents m’avais convaincu d’aller à son cabinet. Car il est dur de s’avouer malade et pire encore, de prendre des médicaments. C’est un peu comme se sentir vaincu par la vie. Mais après tout, papa et maman prennent aussi ce genre de médicaments, comme beaucoup d’autres personnes, sans doute trop, mais c’est comme ça. Il y a un moment il faut lâcher prise. Cela me paraît tout à fait cohérent d’être déprimé, on peut dire que c’est dans l’ordre des choses. Lorsque j’y repense, je me dis que cette dépression n’est pas du à la séparation. Cela fait longtemps que je ne vais pas bien. Sans doute depuis la rentrée. Non, finalement, il serai plus vrai de dire que c’était depuis la fin de l’été. Mon regard se tourne à nouveau vers la valise dans laquelle sont enfouis d’autres souvenirs. Ah, que ces vacances ont été belles. Avec Océane, c’était les premiers mois, nous avions pris la 206 de mon père et sommes partis dans les Alpes. Nous devions juste rester quelques jours en Allemagne puis lorsque nous avons vu que nos portables ne fonctionnaient plus nous avons décidé de nous diriger à vu d’œil. Nous avons été jusqu’en Autriche pour redescendre vers les montagnes du Liechtenstein. nous prenions nos douches en forêt, à l'eau de de nos bouteilles remplies d'eau de source. Nous sommes restés plus d’une semaine là hauts, au-dessus de tout problèmes, à dormir dans la voiture ou à la belle étoiles. Maintenant, je le sais, je m’en rend bien compte que mon moral est redescendu en même temps que nous de ces montagnes.

 Si je devais définir ma relation avec Océane je dirais : capricieuse. Cela se passait bien ou mal, il n’y avait pas d’entre deux. je n'ai pas d'entre deux. Visiblement elle n'en avait pas non plus. Je me souviens de notre connexion si spéciale, on se le disait, que notre relation était spéciale. Nous pouvions rester étalés sur le lit à se tenir la main pendant des heures, le visage effleurant le matelas, les yeux scrutant les dunes de draps et les montagnes de meubles. Je me souviens avoir eu les yeux bordés de larmes de joie. Je lui faisais confiance à Océane, entièrement. Je lui ai même ouvert les porte de mon enfance, lui montrant la maison de mon arrière-grand-mère près de St Malo, ainsi que la crique à laquelle on accède en prenant ce court chemin sinueux. Je me souviens t’avoir porté à bout de bras et t’avoir fait voltiger, tournoyer jusqu’à ce que l’on s’écrase en riant sur le sable humide.

  Mais je me souviens aussi de cet après-midi sombre où nous nous sommes disputés dans le téléphérique de Grenoble qui monte à la citadelle. Il s’en est suivi une longue descente avec un silence de mort qu’elle a fini par interrompre :

- Pourquoi tu parles pas ?

- Mh

- Tu m’énerves. Enfin t’as vu comme t’es maladroit, t’es tous le temps ailleurs, tu fais tout de travers, tu laisses tout derrière toi dans l’appart. J’peux pas vivre vingt-quatre heures avec toi c’est insupportable.

- Tu veux que je rentre chez moi ? C’est ça ? Il me suffit de prendre le prochain train et c’est fait. C’est ça que tu veux hein ?

 Lorsque je repense à cet épisode je me dis que nous n’étions simplement pas fait pour être ensembles. Comme je n’étais pas fait pour ce moniteur d’auto-école, ou pour pleins d'autres choses. Précisément parce que je ne supporte pas la tension. Lorsque le ton monte, plutôt de sûr-enchérir je me retrouve tétanisé et ne réagis pas. On attendrait de moi que je sois réactif, et ça énerve d’autant plus l’interlocuteur. Elle aurait attendu de moi que je sois en colère. Je pense aussi que la colère aurait été saine, je pense que la colère est la gardienne du respect. Je ne me suis pas respecté. Ma nature était le problème, un problème sans solution. Je pense que je n’étais pas fait pour elle plus qu’elle n’était pas faite pour moi. Je pense que chacun a une culture familiale, et la sienne était habitué à la tension, entre sœurs, avec des parents qui ont divorcé. Mais chez moi, on ose pas hausser le ton et mes parents montrent toujours l’un envers l’autre des signes d’affection. Nous ne sommes pas une famille à problèmes, nous, on détache notre ceinture, on claque la porte, nous fuyons.

 Un soir nous nous sommes couchés dans le même silence qui nous avait pris en haut à la citadelle. Je pleurais sur mon coté du lit et bientôt je n’arrivais plus à cacher mon mal. Je n’arrivais plus à respirer. J’ai été pris de violente quintes de toux puis asphyxiais complètement. Je me suis immédiatement dit que c’était le covid et cela accentuais d’autant plus ma suffocation. Elle m'a bercé comme un enfant et je me suis retrouvé la tête sur ses genoux à tenter de contrôler ma respiration.

- J’arrive… pas … à respirer

- On appelle une ambulance

- Non je veux pas … être malade. Ça va … passer

- Si à trois heures c’est pas fini j’appelle le 112.

Cela n’a pas été nécessaire, mais le lendemain matin, je suis quand même allé consulter SOS médecins.

Ils m’ont fait assoir sur la banquette tapissée d’une feuille d’essuie-tout. Je fais quelques mouvements, on a écouté ma respiration puis pris ma tension.

- Vous êtes sûr que c’est pas le covid docteur ?

- Vous avez fait une crise d’angoisse monsieur. Je vous l’assure. Vous sauriez ce qui en est la cause ?

- J’ai une idée.

 Cette idée c’était bien sûr Océane. Toutes mes idées gravitaient autour d’elle de toute façon. Ces idées, ces souvenirs de disputes sont remontés le jour où je l’ai quitté. C’était environ un mois après que je suis partis de chez elle après avoir fait tomber le draps et fait la valise. Tous ses souvenirs sont remontés le jour où je l’ai revue et que je suis retourné chez elle. Je me suis présenté à sa porte. j'ai vu sa silhouette déformée par la vitre. Puis nous sommes monté dans sa chambre. Et je lui ai craché tout ce que j’avais sur le cœur, dans une colère froide que je ne me connaissais pas, une colère implacable. Je lui ai parlé de la fois où nous nous étions disputé à St Malo. Cette fois où nous marchions sur la digue après s'être disputé, elle devant moi, qui lui tenait le parapluie à bout de bras. Cette fois où je me suis senti misérable. Je lui ai dit tout cela. Et puis j’ai allumé le moteur de ma voiture dans un vrombrissement qu'elle aurait qualifié de beauf. Puis j'ai dévalé la route du paradis avec un sentiment grisant, un sentiment de toute puissance, la musique à fond dans la voiture, la vie d’artiste de Léo Ferré. Allez écouter, vous comprendrez. Mes pleurs se mêlaient à la jubilation. C’était beau. Ma tristesse était belle. C’était magnifique. Mon histoire avec Océane, le début, la chute, tout était magnifique. Alors je quittais mon jardin d'eden le sourire entre les larmes et le sentiment d'être un homme.

 Le soir même, elle est revenu chez moi déposer les affaires qu'elle ne voulait garder un jour de plus. j'ai vu ses yeux rouges et sa bouche murmurer dit qu’elle voulait parler et nous avons traverser la rue pour monter dans sa voiture. Sanglotant, elle elle m’a dit que j’étais un autre, que j’étais sombre, froid, incisif. que j'avais agit comme un sombre connard. Qu’elle s’était même demandé si je n’avais pas trouvé quelqu’un d’autre. Elle a pleuré. J’ai pleuré. J’ai mis ma tête sur ses genoux. J’ai glissé de son ventre vers son visage. Puis je l’ai embrassé. J’ai eu terriblement peur à cet instant. Peur de nous faire souffrir et des faux-espoirs. Mais je voulais toujours plus. Elle m’a dit que c’était peut être une bêtise ; Je lui ai répondu, désinvolte, que j’aimais faire des bêtises. Finalement, Nous sommes restés des heures sur le parking, à jouer avec nos mèches de cheveux et se baigner dans le regard de l’autre.

La semaine suivante, il y a quelques jours, je suis allé faire des cookies chez Océane. ? Quoi de mieux que des cookies pour réconcilier un couple. Mais ce n’était plus comme avant. je n'étais plus comme avant. Elles s’est assise sur le canapé pour faire la moue. Je me suis justifié, je lui ai dit que c’était normal après tout ce temps. Je lui ai dit que j’étais en dépression, que ce n’étais pas de ma faute, je lui dit que c'était toujours moi, je lui ai dit qu’elle ne me comprenait simplement pas. Nous nous comprenions plus. J’ai fait mine de sortir de la maison pour montrer mon agacement puis elle a ouvert la porte pour me suivre jusque dans la voiture. On pleurait. Encore. Toujours. J’avais envie de l’embrasser et que nos pleurs se mélangent, mais je ne pouvais pas, pas une seconde fois. C’était un impératif moral. je ne suis pas un sombre connard, je ne crois pas. Alors j’ai attendu une main sur le volant l'autre sur le levier de vitesse, les yeux larmoyant fixés devant moi, cherchant à rester stoïque en l’écoutant pleurer. Elle est finalement sortie, et faisant en sorte que ce moment résonne comme un dernier au revoir, elle a ouvert la porte en grand, s’est saisit de ma main tendue vers elle puis j’ai senti glissé ses froids petits doigts entre les miens

 Je ne l’ai plus jamais revu.

en rentrant mes pouces tapaient frénétiquement sur le clavier de mon téléphone.

« Ça a été une explosion de partout dans ma tête et dans la tienne. J’étais en extase. Aujourd’hui on sait plus trop quoi faire avec nos envies, on les perds. C’est l’extase qui me manque. Ça a été délicieusement toxique. On s’est rendu accro à l’extase et ça nous manque. La vie est triste dans le sens où on n’arrivera jamais à combler nos envies qui se contredisent. Comment après notre expérience, peut on concilier notre gout de l’absolu et notre envie de durer ? J’ai peut être céder un peu d’absolu pour me contenter de tendresse et j'en suis désolé ».

 Des semaines de dépression sont passés sans je j’aille mieux. Pire encore, il m'a semblé qu’avoir entendu le diagnostic de la part du médecin n’a fait qu’empirer la situation. Cela m'a conforté dans le fait que je ne vais pas bien. Si je pouvais résister, forçant un sourire dans les discussions, j’ai comme lâché prise pour me laisser aller dans cet état où l’on se morfond. sans doute que mes réminiscences ne m'aident pas. Mais cet etat est presque agréable. se morfondre est agréable, c'est agréable d'être triste. Et lorsque l’on est triste à en être malade, personne à la maison nous donne de vaisselle à faire.

 Mais cela semble s'amméliorer, je crois qu'après plusieurs jours, l'antidepresseur commence à faire effet. Il y a deux semaines je peinais à me laver ou à monter les escaliers et aujourd’hui je retrouve de la motivation pour peindre. c'est tout nouveau et je ne pense déjà plus qu'à ça. Mes parents m’ont acheté une petite boite d’aquarelle avec quelques pinceaux. J’ai commencé par faire des choses simples comme des maisons puis me je suis vite pris au jeu. La peinture plonge dans l’instant présent, d’où ne peut surgir aucune inquiétudes. C’est addictif. Je ne sais pas si c’est cela qui me soigne mais désormais, je peins tous les jours, et même la nuit. toutes le nuits depuis plusieurs jours à vrai dire. Je m'ameliore vite, très vite. En une nuit, je peux peindre un portrait, je suis très lent, reculant plusieurs fois ma chaise pour voir ce que ça donne, choisissant les meilleures teintes en fronçant les sourcils. mais je peins aussi avec fougue, parfois avec rage, projetant de la peinture jusque sur les murs blancs de ma chambre. j'ai déplacé un meuble pour que mon père ne le vois pas. Après avoir tiré cette étagère, je l'ai peint mon père, avec un léger sourire et son regard sérieux et bienveillant. Je vais lui offrir pour son anniversaire. Outre les portraits, je peins les paysages de mes dernières vacances. C’est agréable que d’y s'imprégner et c'est mieux que de penser à Océane. On conseille à ceux qui sortent d'une rupture de voir leurs amis. Mais je ne peux les voir et je n'ai deux que nos photos de vacances. Alors ces photos, je les sublime. Nous sommes allés faire le tour de l'Europe en train, de Salzbourg jusqu’à Venise. Un voyage entre deux vagues de covid. A travers mes couches de peintures, je me revois sur les quais de Budapest, dégoulinant de la sueur de juillet qui nous rafraîchissait lorsque les rafales d’un vent bien que chaud, venait à plonger dans la gare. Ah, que j’aimerais remonter dans ce train pour qu’il m’emmène loin d’ici et de ma chambre. Je ne veux pas de cette triste réalité, je veux plonger dans les flaques d’eau de mes aquarelles pour m’y diluer.

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