9. Etretat
Je suis parti avec mes parents à Etretat. C’est moi qui leur ai demandé. Je veux retourner à la nature, à la mer. Il faut sombrer dans la nature, c’est là notre seul salut. C’est tout ce que cette philosophie de non-sens m’a appris. La voiture zigzague à travers les vallées normandes. Je me trouve là derrière, la vitre collée à mon visage. Mes yeux sont fixés sur le bas-coté que la vitesse transforme en un faisceau de couleur. J’ai des vertiges, je suis facilement éblouis, je me dis que cela fait plusieurs jours que je ne suis pas sorti. Je sens la fatigue, pas au niveau de la tête, au niveau de la gorge. Si je lève un peu cette tête en plissant les yeux, je peux voir la campagne normande, plus particulièrement le pays de Caux. Par delà les nombreux châteaux en brique rouge, les clos-masures flottent sur les plats champs de maïs. Leurs arbres dérivent sur le draps de la campagne, îlots de fractales qui lézardent sur le brouillard. Je me laisse bercer par les vas-et-viens de la voiture.
Je ne me sens pas comme d’habitude, je ne sais pas si c’est le manque de sommeil. Pourtant je ne me sens pas fatigué, mieux que cela, je me sens doucement partir dans mes pensées, j’exulte sur ma banquette arrière. Je perd le contrôle, c’est plus fort que moi, je ne sais pas comment m’arrêter. Mon imagination prend le dessus sur la réalité. Soudainement, mon cœur éclate en poésie et je m’empresse de saisir mon téléphone portable pour reprendre un poème jusque là inachevé :
Je veux retourner à l’Océan,
Sans les doux vers de Ferré ni sa calvitie,
J’entends depuis ma chambre la mouette et son cri
Il hurle à mon cœur qu’il n’est qu’un cirque béant
Je suis un clown qui voltige, une libellule
Qui se tient sur les tiges des bateaux échoués
Et dénoue les nœud de leurs fils pour respirer
Je suis suspendu à la mer, un funambule
Pourrais tomber dans les filets de l’espérance,
M’étendre ici bas devenir sable de l’anse,
Frémir du galop de ma marée qui déchire
Oui je sais, qu’elle m’emporterait, dans mon sourire
Nous arrivons dans la vallée et descendons ses courbes pour enfin apercevoir son bras de mer. Nous garons la voiture sur le parking. Les portes claquent. Je sens mes pieds nus caresser les galets. Je me sens cuire à leur surface. Et en même temps, je frissonne. Je jubile intérieurement. La beauté du lieu me touche en plein cœur et me laisse bouche-bée, Je me sens comme amoureux. Je me sens plus qu’amoureux. Je suis excité par les courbes de la falaise qui me happent le regard. La dent se dresse fièrement au coté de l’orifice lubrique d’Etretat. Je continue. Je continue d'écrire. Un poème un autre. plus beau encore.
Je désire tellement voir et boire tout ce qu’il y a de chair dans ce monde. Que ma pensée se métamorphose en ce désir rouge. Car le désir est rouge de l’absurdité amoureuse qui coule dans nos veines. Oui je ne désire que ça, voler vers mes désirs sans avoir la gorge serrée de peur.
Je suis un rouge-gorge.
Des plumes gorgées de rouge peinture à l’huile,
Croqués d’une seule touche, un trait de sanguine,
plongent vers les gorges des toitures en tuiles,
Pour se nicher dans les pailles et feuilles câlines.
Rouge chant libéré des désirs de la gorge
Se gorge comme un ver de la pomme ce monde,
S’engouffrant dans les gouffres et toutes les gorges,
Ne frôlant de ces gorges que les troublées ondes.
Un torrent de plaisir en tomate cerise,
Qui éclaterait en bouche d’un croc du chat.
Qu’importe puisqu’il n’est porté que par la brise,
Son sceau ne pèse rien, sa liberté est là.
Etretat m’emporte dans ses sensuels abysses, m’érode jusqu’à l’échine et elle de ses cimes, escarpés horizons qui s’affaissent, s’effritent et s’effondrent, en chaudes billes de galet calines sur lesquelles je glisse. Mon regard ne peut se détourner d'elle, Il pleut sur mes joues les larmes de son calcaire, le coupant de son silex. A mes pieds tombent des pâtés de sable fin, que ses douces vagues emportent dans leur va et vient.
Le crepuscule laisse tomber un léger voile de soie dorée qui laisse entrevoir ses formes les plus épurées. Puis, elle se défait de cette parure, toile de mer pour qui a de la peinture dans le regard ; que celui-ci se pose, enfin. Comme coule le soleil sur ses ondes sans fins. Ma gorge rouge de désir pénètre ses entrailles et ses ombres se mettent à courir comme de la chair de poule. je coule dans ses rouleaux de vagues et nous éclabousse de mon écume. Je coule d’une sueur salée qui se mêle à la mer brune. Je coule en elle comme elle coule en moi.
Mes sentiments sédimentés ont comme un goût, salin que ce bel enlacement sablonneux, douces vagues de muqueuses moussées par la houle. j'ai froid, mes pieds sur les galets. J'ai chaud, aux lèvres de par ses baisers. J'aggripe sa peau blanche de craie avec mes mains poisseuses, puis les glisse au travers de ses rainures, suivant ses courbes merveilleuses, pour descendre jusqu'à son buisson et ses recoins de mousse. Je les couvre de baisers au goût amer et écoute son horizon de mer qui mugit sous ses galets frémissant des remous de plaisir. Je sens son haleine saline. elle me suplie. Elle me suplie de continuer. Alors je continue, plus vite, plus lentement, avec fougue et tendresse. Je lui hurle et lui sussure des vagues souvenirs de poésie.
les vers de Léo Ferré me reviennent
« Ta dune, je la vois, je la sens qui s'ensable
Avec ce va-et-vient de ta mer qui s'en va
Qui s'en va et revient mieux que l'imaginable
Ta source, tu le sais, ne s'imagine pas
Et tu fais de ma bouche un complice estuaire
Et tes baisers mouillés dérivant de ton cygne
Ne se retourneront jamais pour voir la Terre
Ta source s'est perdue au fond de ma poitrine
Ta source... je l'ai bue »
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