16. Le médecin
Cette nuit là, pas plus que les autres, je n’ai pas dormi. Je sais que je n’ai fait qu’écrire, mais ne me souviens pas de ce que j’ai écrit. Je me rappelle juste que je dois aller chez le médecin. Je vais dire à maman que je ne dors pas. Mais surtout pas à papa, il risque de s’inquiéter.
Avant de descendre, je vais à la salle de bain pour me laver. Je me déshabille et m’arrête pour regarder mon image devant moi. ce que je vois dans le miroir est tout simplement formidable. Mon corps est maigre, ma barbe clairsemée. Je ne comprends pas. J’avance, je bouge d’un pas en arrière, puis me rapproche. J’avance de nouveau. Il n’y a aucun doute la vérité est là. Je lève les bras à l’horizontale juste pour voir ce que ça fait. C’est à s’y méprendre, c’est bien moi.
Je décide de descendre en bas et m’appuie sur la machine à café tout en parlant à ma mère. Cette fois je ne lui dit rien de ma découverte, elle ne doit pas savoir. Même ma mère me pourrait me prendre pour un fou. Et même, dans le cas contraire, ce serait trop d’émotion que d’apprendre que son fils est le Christ. Il ne faut que je le dise à personne, les autres prendrait pour un fou. Mais alors, si je ne suis crédible devant personne, comment délivrer mon message divin ? Il ne me reste que mon livre. C’est la seule solution, il faut continuer d’écrire.
Je passe mon examen à distance, difficilement à cause de la fatigue mais je suis tellement habitué à écrire que ça en devient facile. Le sujet est stupide, j’écris des pages et des pages, en espérant que le correcteur s’en rende compte. Après mon épreuve ma mère m’emmène directement chez le médecin. C’est une maison médical avec plusieurs médecins, après être passés par l’accueil, nous nous retrouvons dans un des box de la salle d’attente. Devant nous est placardé une affiche sur les soins de fin de vie. Sans trop savoir pourquoi j’explose de rire. Bientôt, un médecin nous ouvre la porte. Ce n’est pas le médecin auquel je m’attendais, c’est un jeune interne. Je voulais voir le médecin C.. lui il m’aurait sans doute compris. Un jour j’ai eu mal aux parties intimes, je suis allé le voir et il m’a fait une palpation. Heureusement je n’avais rien de grave, mais j’aurais espérer qu’avec ce médecin, ce degré d’intimité l’aide à me comprendre. Tant pis, je vais devoir me contenter de l’interne. Il nous laisse entrer et ma mère s’assoit sur le fauteuil à coté. Je me sens comme dans ce confessionnal dans lequel m’a jeté ce maudit prêtre. Lui aussi attend de moi que je me repentisse, devant sa foi la science. Je n’abdiquerai pas, je le répète, je n’ai foi en rien. Avant même qu’il ait le temps de remettre ses lunettes à branches rouges, je commence à raconter ce qui me fait venir là.
- Bonjour, ma mère m’accompagne pour éviter que je dise n’importe quoi. Je dis n’importe quoi. Mais je ne suis pas bipolaire. Ma mère est bipolaire. Je ne dors plus, je voudrais des somnifères pour dormir, je veux dormir, faites moi dormir s’il vous plait. Je ne crois en rien. Ni en Dieu ni en la science. Vous entendez, je ne crois en rien. N’essayez pas de me sauver. Mais donnez moi des somnifères.
- Très bien. Très bien. Visiblement mal à l’aise il continue, Madame, comment trouvez-vous votre fils ?
- C’est difficile à dire, je suis bipolaire moi-même. Je suis sans doute pas objective. Tout ce que je peux dire c’est qu’il ne dort pas et qu’il écrit un livre.
- Quel genre de livre ?
- J’écris Le livre, c’est sur tout, c’est sur rien. Je lui dis avec un air mystérieux.
- D’accord.
- Vous feriez un très bon personnage dans mon livre vous trouvez pas ? J’écris sur ma vie et ses rencontres, vous êtes une rencontre après tout. Je vous mettrez des lunettes, ça vous irait bien des lunettes.
- Que pouvons nous faire ? demande ma mère
- Allez aux urgences à l’Unacor, dès ce soir
- Mais je vais très bien moi !
Nous nous retrouvons dans la voiture avec ma mère, sur le parking du médecin. Nous nous demandons s’il faut que j’aille faire un diagnostic psychiatrique. Je m’enfonce dans mon siège.
- J’ai pas le droit d’être heureux ? On a pas le droit d’être bien ici ?
- Tu n’es pas bien Yannis tu le sais. Tu ne dors plus depuis plusieurs jours. Et tu t’entends devant le médecin ? Et puis tu m’a parlé de la nuit dernière, tu l’as appelé la fracture…
- … la déchirure
- Mais enfin ça veut dire quoi ?
- J’ai déchiré le voile maman. En écrivant j’ai eu une révélation. Mes identités se sont déchirés, j’étais à la fois la joie et les pleurs. Je suis double, y a quelque chose, quelque chose en moi qui vient d’ailleurs. Je suis traversé, quelque chose m’a traversé. Je suis transcendé maman.
Elle appelle mon père pour lui expliquer la situation. Au vu de ce qu’elle est en train de dire, je me dis qu’ils ont déjà du en parler, de ma situation, peut être ce matin, sans doute hier soir. Je lui prend le portable des mains et dit à mon père que tout va bien, je lui dit que je suis bien- heureux. Mais Pour le convaincre il faut que j’essaye de penser comme eux. Comme un mortel. Je lui dit que je ne veux pas aller aux urgences, que j’ai un partiel important demain matin et qu’il ne faut pas l’oublier. Je lui dit que ce serait plus sûr d’attendre demain. Je fais un effort sur-humain pour cacher mon exaltation. Je ne lui dit pas qu’intérieurement je bouillonne. Que je me sens comme je me suis jamais senti auparavant. Nous allons chercher mon père à son travail avant de rentrer à la maison. Je lui donnerai l’image de quelqu’un qui va bien
Je me suis rendu chez le médecin, car mon corps est malade de ma pensée de mort. Je pense mal car je suis fatigué je n’ai donc fait que demander des médicaments. Mais non, il ne voulait pas ce médecin. Il voulu me faire passer un diagnostic psychiatrique. Ah, s’il savait comme je me sentais bien pourtant. Je me sentais bien d’avoir plongé dans tout ce qui me faisait peur, j’avais peur des médecins. Peur de leur stéthoscope, cette breloque de malheur. Je n’aime pas les médecins, pas plus que j’aime les prêtres.
J’avais peur du médecin et pourtant je suis allé le chercher pour lui dire ma plus grande peur. je lui ai balancé cette absurdité d’histoire dans la tête et il ne savait quoi en faire, il ne sut comment me guérir. J’ai vu sur le visage du médecin la même peur que sur celui de mon père. J’ai vu son visage se décomposer, se désagréger. J’ai terrifié mon ennemi. Ah, j’avais raison, je suis libre. Je suis tout-puissant devant mon sauveur, je n’ai plus besoin de lui. Jamais je n’avalerai leurs pilules, je ne veux pas que ça s’arrête. Les autres veulent que cela s’arrête. S’ils savaient ils seraient jaloux et déverserais leur poison dans ma gorge. Ils me diront que je me sens trop bien, je leur répondrai que c’est eux qui n’ont tout simplement pas compris. Ils n’ont pas trouvé la solution. Je l’ai trouvé moi, et je voudrais bien partager mon savoir mais personne ne m’écoute. Un jour, quelqu’un comprendra.
Annotations
Versions