Un vagabond
Mon histoire nous ramène en l’an 2010, cette année-là, j’étais âgé de vingt-cinq ans. Mon père et moi venions de nous disputer au téléphone.
— « Tu n’es qu’un bon à rien ! J’vais te dire un truc, d’une façon où d’une autre, tu ne l’auras pas ton Master. Tu sais pourquoi ? Parce que tu ne l’auras plus ton petit appart de bourgeois en centre-ville ! Fini de me pomper mon fric pour des études que tu foires ! Je vais te dire une bonne chose mon garçon, depuis ta naissance, tu n’es qu’un ramassis d’échec ambulant ! Si tu savais le nombre de fois où tu m’as déçu. »
— « Papa, tu t’entends parler cinq minutes ? Tu parles de mon avenir et pour une dispute qui prend des proportions énormes, tu me prives de ton aide ? Tu m’insultes et me méprise, mais, n’oublie pas une chose, papa, c’est qu’un fils, tu n’en as qu’un seul. Et de femme ? Oups, j’oubliais, maman est morte, à qui la faute déjà ? Tu sais quoi, je vais me débrouiller comme j’aurais dû le faire depuis déjà bien longtemps. Garde-le ton pognon ! »
— « C’est ça fiston, tu reviendras pleurer papa pour qu’il te pardonne, je ne m’inquiète pas pour ça. Tu es incapable de te débrouiller seul, tu n’es qu’un enfant qui n’a eu de cesse d’être pourri et gâté par sa p’tite moman. Sur ce, à bientôt, tâche de foutre. » Me dit-il avant de raccrocher.
Furieux, je me mis à frapper contre un mur. Comme un imbécile, je m’étais cogné le poing tellement fort que ma main en était devenue violette et gonflée. Mon poing ne pouvant plus être détendu, j’ai été contraint d’aller aux urgences. Encore bouleversé par les paroles de celui que je qualifiais désormais comme mon géniteur, je me suis mis à penser à ma mère, ce qu’elle aurait pensé de notre dispute, des mots de mon père et des miens.
Elle était une personne exceptionnellement brillante ! Sandra Lavinni était une grande chercheuse en mathématiques, elle commença à être connue le jour où elle remporta la médaille Fields. Surtout, elle était d’une douceur et d’une bienveillance qui ferait envier n’importe lequel des enfants. J’étais très proche de ma mère, son décès avait provoqué chez moi une longue et profonde dépression dont il a été difficile de me remettre.
Entre mon dit père et moi, ça n’a pas toujours été comme ça. Lorsque j’étais petit, nous passions tout notre temps libre ensemble. Nous allions jouer au ballon, manger au restaurant et même aller voir les matchs du SCO d’Angers, en tant que bruyants suppoters. Mais du jour où le drame est arrivé, notre relation a été ternie par la haine et le mépris. Ma mère et lui ne s’entendaient plus depuis déjà fort longtemps, mon père la haïssait déjà bien avant son décès. Je me suis toujours demandé, comment pouvait-on détester une aussi belle personne que ma mère sans être le pire des démons ? La réponse, je l’avais désormais, mon père était le pire des démons.
Malgré leurs désaccords, mes parents s’occupaient bien de moi. L’avantage de cette mésentente était que je pouvais avoir mon père et ma mère pour moi tout seul, des moments seuls avec papa et seuls avec maman. Tout cela me convenait.
Aux urgences, on m’avait rapidement examiné après quelques habituelles heures d’attentes. On m’avait prescrit une attelle que je devais porter à la main droite pendant une semaine. Du Doliprane et un bon coup d’arnica durant trois semaines, et tout allait rentrer dans l’ordre, m’avaient dit les médecins, quelque-peu expéditifs.
Au cours de toute la semaine qui suivit — la dernière avant le prochain versement de loyer —, je fis crise d’angoisse sur crise d’angoisse, toujours au même endroit, sur mon canapé. Mes amis, eux, s’inquiétaient de mes absences à leurs soirées et de mes non-réponses à leurs messages. De mon côté, je restais chez moi, je me confinais avec mes ruminations. « Qu’allais-je devenir ? », « Et mes études ? », « Vais-je devenir un sans domicile fixe ? » étaient autant de questions qui tournaient en boucle dans ma tête au point de me couper l’appétit et le sommeil.
Trop paniqué pour réfléchir, je me contentais de subir. Je n’ai appris l’existence du numéro 115 seulement trois ans après mon aventure, autrement dit, bien trop tard...
Pour palier à l’angoisse qui me rongeait, je me mis à réviser mes vieux cours de licence, dans l’espoir de pouvoir continuer mes études en Master, comme cela était prévu à l’origine. Manque de concentration était le maître mot de ces révisions contre-productives. Incapable de faire taire mon anxiété, je me suis enfin décidé à sortir de mon 9 mètres carré qui me servait d’appartement.
Sur la route pour aller au Jardin des Plantes, je croisai beaucoup de personnes visiblement sans domicile. Certaines d’entre elles me demandaient poliment si je n’avais pas quelques euros à leur offrir, non pas pour vivre, mais pour s’en sortir. Moi qui, à ce moment-là, étais une personne avec un toit sur la tête ne pouvait se rendre compte de la détresse de ces personnes, et fît, comme tout un chacun faisait, les ignorer.
Assis sur un banc, contemplant les animaux du grand parc, je me dis intérieurement combien j’aimerais être un artiste pour décrire ce que je voyais. Ces oiseaux qui se bécotaient, ces petits écureuils qui grimpaient aux arbres, la bouche pleine de provision. Toutes ces choses m’inspiraient, je voulais les écrire, mais j’en étais incapable. J’étais un incapable, enfin, c’était ce que l’on m’avait appris à penser.
Quelques jours étaient passés après le délai de versement de mon loyer et mon propriétaire, furieux, m’envoya un courriel cinglant dans lequel il me menace de m’expulser. Je me demandais pourquoi ce mail m’avait été adressé à moi plutôt qu’à mon père. En y réfléchissant, il fallait dire que Monsieur Pillard était un proche ami de mon géniteur, si on en croyait le nombre de repas auxquels il avait pu être convié chez lui.
Paniqué, j’appelai immédiatement le propriétaire qui ne décrocha pas une fois son téléphone.
Après de multiples de tentatives sur plusieurs jours, je n’arrivais toujours pas à joindre Monsieur Pillard. Bien qu’ayant tenté de lui expliquer la situation par courrier électronique, ce dernier était visiblement bien décidé à vouloir m’expulser. Était-ce une pression de la part de mon père ?
Il fallait dire qu’aussi bizarre que ça puisse paraître encore aujourd’hui, je le comprenais. Même si je n’en ai pas parlé jusqu’à maintenant, j’étais plutôt ce genre d’étudiant à faire des fêtes bruyantes avec ses proches amis jusqu’à tard le soir. Mes amis étaient tout pour moi, si je leur avais demandé, ils m’auraient accueilli chez eux, sans hésiter. Vous le verrez, je n’étais et je ne suis pas le genre de personne à profiter des autres, même si l’on m’affirme que je fais le contraire.
Mon propriétaire, ayant peut-être compris ma situation, avait répondu à mon e-mail. Il s’agissait en fait d’un avis d’expulsion pour la semaine prochaine.
Bien qu’étant étudiant en Droit, j’étais à ce moment-là tellement paniqué, que j’en oubliais le nombre de délits commis par ce fameux Monsieur Pillard à propos de cette expulsion.
Les jours passaient et se faisaient étrangement longs, j’appréhendais terriblement au point d’en pleurer chaque jour. Je n’arrivais pas à avaler quoi que ce soit, eau comme nourriture, je ne dormais que quelques petites heures par jour… En vérité, j’attendais plus que tout que l’on m’expulse, que tout cela se termine, une bonne fois pour toutes.
Un matin, quelques jours plus tard, une bande d’environ cinq policiers étaient venus sonner chez moi pour venir procéder à mon expulsion. Tout se passa dans le calme. N’ayant plus de toit sur la tête et mon appartement étant un studio meublé, je ne possédais aucun meuble dont j’étais le propriétaire. Mes affaires étaient principalement des vêtements, des livres, des cours et quelques gadgets électroniques. Je devais transporter toutes mes affaires dans mes sacs et valises. Toutes ces choses les unes sur les autres étaient terriblement lourdes.
Devenu vagabond dans les rues d’Angers, après plusieurs dizaines de minutes de marche, je me décidai à m’asseoir sur un trottoir à côté d’autres personnes.
— « Ah, j’en connais un qui vient de se faire virer de chez-lui ! » S’exclama un des hommes qui était présent sur le bord du trottoir.
« Comment tu t’appelles ? » Me questionna le même homme après un long silence.
— « Sébastien, lui répondis-je avant de m’effondrer en larmes, je suis désolé, je viens de tout perdre. » Continuais-je.
— « Tu veux un p’tit remontant ? » Me proposa un autre homme.
— « Non merci, je ne bois pas. » Prétextai-je
— « Couilles-molles ! » S’exclama un des hommes qui était en retrait.
— « Oh ne fais pas attention à lui, c’est qu’un connard ! Sinon moi mon nom c’est Gérard ! »
— « Merci Gérard. Tu sais où l’on peut dormir ce soir sans être embêté ? »
— « Ici même, dans cette tente ! Me répondit-il en se retournant vers deux grandes tentes, avant d’ajouter, par contre, nous dormirons ensemble. »
Je passai donc la nuit sur ce trottoir, dans cette tente avec ces hommes. J’y passai aussi les nuits suivantes, et ce, jusqu’à ce que je retrouve un logement.
Les jours passaient et de plus en plus, je me rapprochais de Gérard. Nous rigolions bien ensemble, même des choses de choses ô combien difficiles. Je garderai en souvenir tous ces moments passés ensemble. Cet homme paraissant pauvre et ignare aux yeux de la société était un homme brillant qui s’amusait à cacher ses capacités. Il n’avait pas beaucoup d’amis, et sa famille l’avait jeté dehors après qu’il eut perdu son emploi à cause de son alcoolisme. Il connaissait les institutions psychiatriques et d’addictologies par cœur, en vingt années de maladie et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces lieux hautement importants n’étaient pas sources de mauvais souvenir pour le quadragénaire.
Un soir, une bouteille d’eau à la main, j’avais décidé de passer une sorte de pacte avec Gérard :
— « Gérard, faisons-nous une promesse ! Si l’un d’entre nous se trouve un logement, on accueille l’autre chez lui ! »
— « Eh ! Et moi ? » S’insurge Léon, l’autre homme du trottoir.
— « Laisse, Léon, c’est entre nous ! » Répondit Gérard.
« Écoute, pour rien au monde je ne quitterais la rue. Ici, c’est ma vie désormais, je ne lutte plus, c’est peine perdue. Lorsque tu t’en sortiras, et ce jour arrivera, ne pense plus à moi, oublie, tourne la page et profite pleinement de la longue et belle vie que tu as devant toi ! » Me répondit-il d’un air entre bienveillance et mélancolie.
Sans jugement, je me suis tu et partis marcher dans les rues de ma ville, afin de digérer cette sombre réponse.
— « Je vais marcher un p’tit peu, j’ai besoin d’air. Vous surveillez mes affaires ? »
— « Oui, ne t’en fais pas. »
— « N’y compte même pas ! » S’exclama Léon.
Pendant cette balade, je réfléchis à ce que deviendrait réellement ma vie. « Et si je devenais comme Gérard ? », « Et si je ne m’en sortais jamais, comme coincé dans cet enfer ? » Fatigué, je retournai sur mon trottoir pour aller dormir. Gérard avait bien accompli sa mission.
Constatant que j’étais couvert de sacs et de deux valises à traîner, je me dis qu’au point où j’en étais, je devais peut-être me séparer de quelques affaires. De ce fait, je partis pour faire le tour des friperies et des magasins d’occasions.
Avec la vente d’un sac entier de vêtements de marque, j’avais réussi à en tirer cinq-cent soixante euros ! C’était un très bon début, mais je me suis soudainement rappelé que ce n’était même pas le montant de mon loyer.
Après avoir fait le tour des fripes, je suis parti vendre mon iPod dans un magasin d’occasion. En rentrant, je vis une grosse pancarte qui annonçait une grande campagne de recrutement. Le problème résidait dans le fait que c’était un temps-plein, ce qui suggérait que j’abandonne mes études. « Mon père, quel salaud ! » me suis-je dis très fort dans ma tête, avant de me résigner impulsivement à abandonner les cours. Après avoir fait affaire avec un charmant vendeur, je fonçai, ni une ni deux à la médiathèque du centre-ville. Là-bas, j’y ai conçu mon plus beau CV et ma plus suceuse des lettres de motivation. En bref — et je le sais d’expérience —, tout ce qu’aiment les patrons !
Après deux semaines de perfectionnement et d’entraînement avec mes amis de rues, je n’attendais qu’une seule chose, cartonner et être embauché !
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