Entre espoir et souffrance
— « J’ai sauté le pas, ça y est ! » Annonçai-je à Gérard, légèrement euphorique.
— « C’est bien petit, je suis fier de toi. » Me répondit Gérard qui semblait malade.
— « Tu ne veux pas que j’aille te chercher du Doliprane, t’as l’air vraiment mal en point ? »
— « Non, ne t’occupes pas de moi, tu sais que j’ai horreur de ça. Va donc te chercher un beau costume pour ton entretien, toi qui es toujours habillé en jean/basket, ça te changera un p’tit peu de t’habiller classe. »
Inquiet de ma présentation, sur les bons conseils de Gérard, c’est ce que je fis.
Sur la route pour aller au magasin de vêtements le plus proche et le moins cher du quartier, je ne pouvais m’empêcher de penser à l’état de santé de Gérard. Il avait beau jouer les durs à cuire, sa fatigue, ses tremblements et ses hallucinations étaient tous le signe d’un délirum tremens. Léon n’avait pas l’air de s’en rendre compte, lorsque je lui faisais remarquer, il changeait de sujet ou pire, relativisait comme si tout cela était normal. Je ne pouvais pas le laisser dans cet état, le manque d’alcool le rongeait et l’alcool lui-même lui dévorait cerveau et foie. Léon était en manque lui aussi, mais il paraissait étonnement peu asymptomatique, peut-être était-ce dû à son jeune âge ?
Je marchais dans les rues, en passant par la place du Ralliement, quand un vieillard qui faisait la manche me demanda si je n’avais rien pour lui. En lui expliquant que j’étais dans la même situation que lui depuis seulement une semaine, il ne me crût pas et m’insulta. Il est vrai que mes habits ne semblaient ni sales, ni en mauvais état, ce qui pour beaucoup est un des seuls critères pour reconnaître la lourdeur du portefeuille de quelqu’un, et par conséquent, son potentiel d’être estimé.
Mes divagations interrompues par la sonnerie de mon téléphone, je décrochai immédiatement sans même réfléchir s’il s’agissait de démarchage téléphonique.
— « Oui, bonjour Monsieur Lavinni, ici Super Cash, je prends contact avec vous pour connaître vos disponibilités afin d’organiser une rencontre dans le cadre de votre candidature de ce matin. »
— « Bonjour Monsieur, je suis disponible dès que vous le pouvez, je suis disponible dès aujourd’hui. »
— « Parfait, en voilà quelqu’un de motivé et jeune en plus ! Cet après-midi, qu’en dites-vous ? »
— « Bien oui, je n’y vois aucun inconvénient. »
— « Bon, on se dit pour… quatorze heures, à tout à l’heure dans ce cas ! »
Cet appel m’avait laissé perplexe, que cherchait-il à prétendre par « motivé et jeune en plus », beaucoup de jeunes tueraient pour avoir un emploi. « Quel culot ! » Me suis-je dit, affligé.
Enfin, dans tous les cas, déconnecté des réalités ou pas, cette opportunité était la seule qui pouvait me faire sortir de ma situation. Après m’être remis de mes émotions, je me décidai enfin à entrer dans cette boutique de vêtements.
En pénétrant dans la boutique, je ne fus que très peu rassuré par les prix des costumes et des chaussures en vente. Moi qui ne possédais que cinq-cent soixante euros, qui ne me servaient qu’à me nourrir et m’abreuver, je ne pouvais me permettre de tout dépenser pour un simple bout de tissus où de cuir. J’avais tout de même repéré une super promotion, moins cinquante pourcents sur le costume complet avec chaussures. Si tout cela semblait être une affaire, il fallait voir à quoi ressemblait le costume. Il était teinté de gris et arborait des motifs à carreaux tout à fait immondes. Avec la chemise blanche et le pantalon assorti, les deux-cent dix euros à dépenser risquaient de me faire un petit peu mal au cœur, après coup. Malheureusement, je n’avais guère le choix. Je suis ressorti de la boutique, trois-cent cinquante euros restants en poche, avec le plus affreux des costumes. Comme vous pouvez le constater, le manque d’argent rend vite fort en maths…
En montrant le costume à Gérard, il me paraissait tout à fait indifférent, il était allongé sur le ventre dans la tente, à attendre que le temps passe. Sur le moment, je ne relevais pas, étant trop préoccupé par mon entretien de tout à l’heure. Quel égoïste ai-je pu être !
Habillé, coiffé et parfumé, j’étais fin prêt pour tout déchirer. Seul ce fichu stress ne cessait de me faire trembler et de me nouer l’estomac.
En marchant vers la boutique, la peur au ventre, je repensais à ma mère, elle me manquait terriblement. J’essayais de la faire parler dans ma tête, comme si elle était là, avec moi, pour me rassurer.
— « Bonjour, je suis Sébastien Lavinni, je dois être reçu ici à 14 heures pour un entretien. » Me présentai-je timidement au charmant vendeur de la dernière fois.
Après m’avoir fait asseoir dans l’arrière-boutique où se situait le bureau du gérant, mon appréhension était montée d’un cran. Quelques minutes passées sur mon téléphone qui ne tenait la charge que grâce à la boutique qui se situait derrière nos tentes, et voilà que le gérant sortit non sans bruits de son bureau.
— « Bonjour Monsieur Lavinni, suivez-moi ! » Me dit le gérant, d’un enthousiasme déconcertant.
Je vous passe les détails de l’entretien, car en vérité, tout se passait à merveille. J’en venais même à regretter ma colère intériorisée de tout à l’heure, c’était un homme charmant et plein de vie. Tout du moins jusqu’à ce que :
— « Et, dites-moi, je vois que vous êtes titulaire d’une licence en Droit, je me demandais, pourquoi ne pas avoir continué, vous m’avez l’air tout à fait brillant, vous savez ? »
D’une manière qui m’échappe encore aujourd’hui, je ne pus m’empêcher de pleurer, seul, face à mon éventuel futur patron.
« Pardonnez-moi, je n’aurais pas dû être aussi indiscret, veuillez m’excuser, je… »
— « Non, ne vous en faites pas, assurai-je, pour tout vous dire, je n’avais plus les moyens de me payer mon logement, j’ai été expulser de… de mon logement. Je suis à la rue et j’ai réellement besoin de ce poste pour me retrouver un appartement. Je suis désolé. »
— « N’en soyez pas désolé ! Ce n’est sûrement pas votre faute à votre âge, me dit-il d’un ton compatissant, mais, en revanche, je vais vous demander de partir, je ne veux pas d’un vulgaire clodo comme vitrine humaine de mon magasin, ajouta-t-il en me méprisant d’un ton calme. »
Je ne discutai pas une minute de plus et sortis de la boutique sur le champ. Ne pouvant cesser de pleurer sur le trajet me menant au trottoir où se situait la tente, je me suis assis sur la gauche de mon ami Gérard qui comprit immédiatement ce qu’il venait de se passer.
— « Ces gens ne savent pas ce qu’ils ratent, laisse-les-en sous effectifs, qu’ils ne viennent pas chialer ! »
Après ces belles paroles réconfortantes, je pris Gérard dans mes bras. Je le sentais terriblement fébrile, il tremblait comme une feuille. Préférant ne pas gâcher ce moment avec mes inquiétudes pour son état de santé, je me tus, une fois de plus.
Au fil des heures, je sentais de fortes angoisses ressurgir. Depuis mon expulsion — si l’on fait abstraction à mon stress justifié de tout à l’heure —, je n’avais pas eu affaire à des bouffées d’anxiété aussi intenses. Gérard n’était pas dans son état normal, cela sautait aux yeux. Sa santé faisait partie intégrante de mes sujets d’inquiétudes, mais je ne pouvais m’empêcher d’en revenir à cet entretien. Comment pouvait-on être d’un telle antipathie. Je ne demandais pas l’aumône, juste de quoi pouvoir me loger et me nourrir. La folie du capitalisme dans toute sa splendeur ! « On veut du monde pour travailler chez nous. Vous êtes brillant Monsieur, mais vous savez, vous avez beau être diplômé, vous avez tout perdu et êtes un sous-homme de clodo, vous nous ferez honte, par conséquent, vous ne serez pas utile à l’entreprise, désolé. » Enfin, ce serait plutôt exactement la même chose, mais sans le désolé, il ne faut pas trop leur en demander.
Partagé entre colère et anxiété, je me mis, contrairement à mon habitude, à demander de l’alcool à Léon.
— « Désolé mec, j’en ai plus du tout. C’est pour ça que Gérard est mal en point, il est en manque depuis deux jours. »
« Eh, mais d’ailleurs, je croyais que tu ne buvais pas toi ! Ne commence pas à ce jeu-là gamin, après regarde comment tu finis... » Me dit-il en pointant du doigt Gérard, en pleine agonie.
— « À ce propos, on devrait peut-être appeler les secours, non ? »
— « Mais non, on va bien réussir à trouver de quoi boire d’ici là ! Mais bon, je le comprends, c’est vrai qu’il fait soif ici ! » Dit-il détendu comme si tout allait bien.
Le lendemain, à mon réveil, Gérard, habituellement le premier levé, était encore endormi. Après cinq minutes à tenter de le réveiller, ma tension artérielle avait grimpé en flèche en un quart de seconde.
— « Gérard, fait pas l’idiot, réveille-toi ! »
Sous le coup de la panique, Léon étant parti acheter de l’alcool à la supérette, j’appelai les secours, les mains tremblantes.
— « Nous sommes Rue d’Alsace, il ne se réveille pas, venez-vite ! »
Ce jour-là, après quarante minutes à tenter de réanimer Gérard, décéda le mercredi 04 août 2010 à l’âge de 41 ans. Je venais de perdre le seul, le dernier ami qu’il me restait. Léon de son côté a dû être hospitalisé après un coma éthylique, de son égoïsme, il en mourra aussi, deux jours plus tard.
Ce jour-là, j’avais pris une décision, mes crises d’angoisses se rapprochant de plus en plus les unes des autres, lors d’une de ces dernières, je composai le 15.
Arrivé aux urgences, on me posa tout un tas de questions.
— « Depuis quand cela se produit, Monsieur Lavinni ? Vous savez que le trouble panique est une maladie sérieuse ? Au vu de votre état actuel, je crains de n’avoir d’autre recours que l’hospitalisation. » M’annonça le médecin urgentiste d’un ton bienveillant.
— « Vous allez être transféré. Vous n’avez qu’à attendre les ambulances dans le box, je vous souhaite bon courage, au revoir. »
L’ambulance arrivée, on m’administra un médicament connu sous le nom d’alprazolam.
Lorsque je suis arrivé à l’hôpital, j’étais totalement sédaté. On m’attribua une chambre, la numéro 4, et l’on me demanda de déballer mes affaires. Tous les objets coupants ou sous formes de filaires m’avaient été retirés. J’étais resté un moment dans ma chambre faire une sieste, jusqu’à être réveillé par une infirmière pour venir manger le déjeuner. Après avoir mangé des choses que je peine encore à appeler nourriture, je fus immédiatement pris en charge par un médecin psychiatre.
— « Installez-vous ! Je suis le Docteur Bertrand, c’est moi qui vous suivrai durant votre hospitalisation et aussi en externe en CMP. Vous savez ce que c’est ? »
— « Non, pas vraiment » Répondis-je, assommé.
— « C’est la structure externe à l’hôpital dans laquelle nous nous rencontrerons. »
« Sinon, dites-moi tout, que faites-vous ici ? »
Et c’est ainsi que je me mis à lui raconter mon passé, ma vie à la rue, la mort de Gérard, les crises d’angoisses…
Le médecin m’affirma que je ne partirais que du moment où il aurait trouvé une solution pour me loger. Le temps que le nouveau traitement qu’il m’avait prescrit fasse effet, il m’avait averti des éventuels effets secondaires. Je ne les craignais pas, je voulais me débarrasser de ces crises d’angoisses. Ce médecin était très aimable, ce n’était absolument pas l’image que je me faisais d’un psychiatre.
Ce jour-là, j’avais repris espoir, je m’en sortirai comme aimait me le rappeler Gérard. Il n’avait disparu que depuis moins de vingt-quatre heures et pourtant, bon sang qu’il me manquait… Paix à ton âme Gérard.
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