Le voyage
Ainsi, un jour, Helen partit. Ce n’était pas la première fois, et elle savait que personne ne s’en soucierait. Par-delà les mers et à travers les plaines, elle avança, guidée par un sentiment d’urgence indéfinissable.
Son errance la mena à la lisière d’une forêt sans fin. Menaçants, les troncs cendrés s’élevaient plus haut que le plus haut des immeubles, leurs sommets floutés par de lourds nuages noirs porteurs de pluie. Le froid glaçait ses membres, et jamais les paysages de son passé ne lui avaient paru aussi intimidants. Au fond de son sac, le vieux livre murmurait des images incroyables, récits de mondes révolus et à venir, tourbillons de magie et d’étoiles lointaines.
Égarée dans la tempête, voyageuse téméraire sans repères, Helen s’enfonça dans les méandres obscurs des bois. Les arbres crissaient et grinçaient, leur écorce ruisselait de trombes d’eau. Et ses pas la poussaient toujours plus loin, dans la boue et les larmes, à la recherche d’une enfance rêvée.
Au crépuscule de sa seconde journée en ces lieux humides, le calme s’abattit soudain sur la forêt. Helen se laissa tomber sur une souche couverte de mousse, couchée là depuis une éternité.
Un silence de mort entourait la clairière.
Même la pluie semblait avoir cessé.
Loin au-dessus de sa tête, d’immondes sifflements perçants agitèrent l’atmosphère.
La jeune voyageuse, hypnotisée par ces obscures ailes soyeuses, ne pouvait détacher son regard des prédateurs qui tournoyaient, toujours plus bas. Ces créatures de cauchemar, immenses papillons noirs aux mandibules acérées, étaient la raison de l’interdiction qui planait sur les bois. L’avertissement de Grand-père, Helen ne le comprenait que trop bien à présent.
Trop tard.
Mais là où l’histoire aurait dû s’arrêter dans une mare de chair et de sang, le destin en décida autrement. Et un instant plus tard, la jeune femme se retrouva, haletante, à l’intérieur de la petite chaumière aperçue entre les troncs. Dehors, des hurlements frustrés s’éloignaient dans la nuit.
Assise là, dans ce petit fauteuil vermoulu à l’odeur de moisi, Helen laissa ses yeux s’habituer à la lueur des deux lunes retrouvées. De la maison de ses rêves, seule l’atmosphère avait changé. Dans cette pièce exiguë, meublée de souvenirs, des années heureuses s’accumulaient pourtant entre les toiles d’araignées. Le temps s’était chargé de les recouvrir de poussière et d’un relent d’abandon.
Autant elle aurait souhaité demeurer éternellement en ces lieux glacés, Helen savait que son voyage n’était pas terminé. Ainsi, au matin, elle s’élança pour la dernière partie de son périple dans le monde de Lor.
Le soleil brûlant de la lande effaça l’obscurité de la forêt. Dans les hautes herbes, la petite fille qu’elle était redevenue regardait le paysage avec des yeux d’enfant. Là, un insecte. Ici, une pierre aux reflets bleutés. Et l’astre termina lentement sa course au loin sur l’horizon.
— Demain, se promit Helen, les yeux fixés sur les flammes roses de son feu improvisé. Demain, je continuerai.
Et dans ses rêves se dessinait déjà un aperçu flou de sa destination. Un univers différent, mais semblable au sien par bien des aspects : le monde d’origine de Grand-père.
Annotations
Versions