Par-delà les rêves et le temps, à un simple battement de cils, existait un endroit perdu hors du monde. Son nom étrange, les enfants l’avaient transformé en « forêt dorée ». En cette fin d’automne, l’immense tapis moelleux qui recouvrait le sol lui donnait plutôt l’illusion d’une imposante coulée de cuivre. Les deux garçonnets n’y prêtaient pas la moindre attention, leurs pensées entièrement focalisées sur leurs pas qui crissaient au milieu de ces feuilles mortes.

Jamais ils ne s’étaient autant éloignés du monastère. Mais la matinée s’annonçait magnifique et lumineuse, à peine troublée par quelques volutes de brume. Les rayons du soleil y brillaient entre les troncs des hêtres. Une brise tiède serpentait parmi les branches nues, faisait virevolter leurs capes bleues et les dernières feuilles dans les airs.

Quand il jugea le moment opportun, le petit Arthur prit la parole. Dans un murmure, il confia un grand secret à son ami.

— Regarde… C’est ma cachette ! Personne ne sait qu’elle existe, pas même Maya.

Dans un creux sombre dissimulé entre les racines, Jake pouvait apercevoir le magot accumulé là depuis ce qu’il lui semblait une éternité. Morceaux de laine, pierres colorées, il crut même apercevoir une petite cuillère argentée de la table de Yule dernier.

— Pas même Maya… chuchota-t-il, excité.

Dirigeante de leur petite communauté de Sorciers, elle n’ignorait pourtant rien. Ses pouvoirs lui permettaient d’épier leurs moindres faits et gestes, et elle n’hésitait pas à sévir en conséquence. Jake le croyait en tout cas. Maya devinait toujours tout.

Sauf l’emplacement de la cachette d’Arthur.

Et la fille allongée au milieu des feuilles.

Ses cheveux d’or étincelaient dans la clarté du matin, et ses paupières closes scintillaient de rosée. À quelques pas, les enfants l’observaient avec consternation. Ils n’osaient plus bouger, de peur de réveiller cet ange tombé du ciel.

Combien de temps restèrent-ils là, debout face au soleil ? Ils n’auraient su le dire.

Un froissement dans leur dos les surprit soudain.

— Combien de fois vous ai-je répété de ne pas partir sans prévenir ? Ces bois sont dangereux. Dangereux, vous comprenez ? Que je ne vous reprenne plus à…

Penauds, les deux apprentis sorciers faisaient face à leur mentor en colère. Le regard fixé sur leurs bottes, ils ne remarquèrent pas tout de suite la raison de son silence.

Car la mystérieuse voyageuse se tenait à présent debout et les fixait d’un regard embué. Entre ses mains, elle serrait un livre à la couverture écornée. Seule, perdue dans cette forêt inconnue, elle semblait se demander où elle avait atterri.

— Qui êtes-vous ? l’interrogea l’homme.

— Je ne le sais plus moi-même…