Elia

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La veille de l'opération, Trystan lui avait confié une tenue mondaine à porter sous sa combinaison de protection. Il avait expliqué qu'ils allaient se mêler à la foule pour quitter les lieux après l'attentat. Pourtant révulsée par le projet, Elia s'était réjouie de l'occasion : elle allait pouvoir porter une splendide robe lavande, un ensemble tel qu'elle n'en avait jamais vu, avec des découpes asymétriques et des broderies à n'en plus finir. Elle comptait bien le conserver à la fin de leur mission.

Diken lui rendit visite plus tard dans la soirée et lui fournit un uniforme identique à celui des Gardiens, blanc au lieu d'orange. « Un uniforme de nouvelle recrue », avait-il indiqué. La jeune femme eut le plus grand mal à réprimer sa déception lorsqu'il l'informa qu'elle devrait le porter à la place du cadeau de Trystan. Sonia allait être sublime tandis qu'elle serait attifée en soldat !

Une fois la ville haute atteinte, au moment d'entrer dans la villa, Diken tira profit de l'occasion qui se présentait de s'éclipser. Il mena Elia à l'écart, un doigt sur ses lèvres, puis l'invita à se débarrasser de sa combinaison souillée. Le duo se dirigea ensuite vers un ascenseur isolé qui reliait directement les passerelles à la terre ferme.

— Qui va-là ? héla-t-on soudainement devant eux.

Leur zone à tel point à l'écart du palais que le plan des rebelles ne nécessitait pas de se s'occuper du garde en faction à cet endroit. Il était impossible pour la jeune femme de distinguer ses traits dans l'obscurité, mais la voix lui sembla particulièrement juvénile.

— Patrouille de nuit ! annonça Diken avec assurance. On nous a appelés pour des mouvements suspects sur les passerelles. Rien vu, rien entendu ?

Le garde leva une torche vers eux, puis la tourna dans la direction opposée, sans doute rasséréné par leurs uniformes immaculés. Il cherchait visiblement ces fameux intrus. Le rebelle continua de s'approcher de lui avec naturel, sans accélérer le pas.

— Non, rien ici, je...

Diken asséna un coup rapide dès qu'il fut à portée, sans laisser à sa victime le temps de finir sa phrase. Le garde se plia en deux avant d'être assommé d'un revers de main au niveau de la nuque. L'affaire fut réglée en un éclair, le rebelle rattrapant le corps dans sa chute pour le laisser s'étaler le plus silencieusement possible.

— Comment as-tu... Où as-tu appris à faire ça ? s'étonna Elia.

Il leva les yeux vers elle et la jeune femme tressaillit, y découvrant un sérieux et une dureté dont elle n'avait pas l'habitude.

Je suis bête, c'est un soldat lui aussi !

Les dernières semaines passées en sa compagnie lui avaient presque fait oublier les origines de son compagnon. Il ne venait pas de la ville basse comme les autres résistants, Diken était issu d'une famille aisée et avait suivi une formation militaire.

En fait, je sais très peu de choses sur lui, se rendit-elle compte.

Une vague de doute la saisit, vite remplacée par un sentiment de culpabilité. Trop occupée à lui faire tous les reproches du monde, elle ne s'était pas beaucoup intéressée à l'histoire de son compagnon. Diken lui avait annoncé qu'il l'aiderait à sauver Lock sans rien demander en retour, il l'avait soutenu parmi les résistants et s'était montré bienveillant avec elle. Elle lui devait un minimum de reconnaissance. 

L'ancien Gardien plaça une fois de plus l'index devant sa bouche à l'attention de la jeune femme, puis se mit à fouiller sa victime. Il récupéra une petite carte qu'il passa devant le boitier fixé sur la cage d'ascenseur. Le voyant lumineux qui s'y trouvait passa du rouge au vert et le battant métallique barrant l'entrée se mit en branle.

— On descend, pas un mot, chuchota Diken sur un ton autoritaire.

Elia fronça les sourcils avant de lui emboîter le pas. Elle regrettait presque le Diken aux blagues vaseuses. Celui-ci était trop austère.

Son compagnon s'élança dans une allée déserte dès qu'ils furent sur la terre ferme. Elia dut presser le pas pour ne pas le perdre de vue. Cette ville représentait pour elle un véritable labyrinthe. Que ferait-elle si elle se retrouvait seule ? Le chemin emprunté n'était pas large, elle songea à un itinéraire de promenade. Bien qu'elle n'y voie pas grand-chose, cela fit resurgir des souvenirs enfouis : lorsqu'elle était toute petite, ses parents l'emmenaient parfois dans les hauts quartiers. C'était avant la naissance de Lock, avant la guerre et la mise en place de restrictions de mouvements dans Mogrador.

Tâchant de rassembler ses souvenirs de cette époque heureuse, Elia se demanda s'il n'y avait pas de l'herbe et des arbres autour d'elle. Ces pensées à peine formulées, un flash lumineux l'éblouit et tout son environnement s'éclaira comme en plein jour, bien qu'étrangement teinté de rouge. Elle se tourna instinctivement, à la recherche de la source de ce changement brutal, et découvrit un énorme cristal qui brillait au sommet d'un bâtiment.

Ça ne doit pas être loin de l'ascenseur, estima-t-elle.

Ils n'avaient encore parcouru que quelques centaines de mètres. Elle n'entendait ni cris, ni détonations, ce qui était probablement bon signe. À condition de savoir pour de bon ce qu'elle espérait : si le plan était un succès et l'empereur décédé, les conséquences seraient surement terribles pour les gens de la ville basse qui servaient systématiquement de boucs émissaires.

Si c'est un échec, alors les autres...

— L’alerte a été donnée, expliqua Diken d'une voix froide dans son dos.

Elle sursauta et se tourna vers lui, il avait l'air de plus en plus sombre et concentré.

— Ça veut dire qu’ils ont réussi ? demanda-t-elle.

— Ça veut dire qu'il faut se dépêcher.

Il en resta là et repartit au pas de course, accélérant encore la cadence. Elia fut vite à bout de souffle et maudit Diken, qui oubliait qu'elle n'avait pas reçu le même entraînement que lui ! Avec un point de côté qui la tenaillait, elle n'était plus assez concentrée pour se soucier des évènements en cours.

Elia ne pouvait pas non plus profiter pleinement du paysage. Son environnement n'était pourtant composé que de parcs, de verdure et d'immeubles aux formes et dimensions tout bonnement incroyables. Cela dépassait les limites de son imagination.

Un bruit de tonnerre se fit soudain entendre, accompagné par une puissante vibration dans l'air qui la fit trébucher. La jeune femme se rattrapa de justesse mais interrompit sa course sans réfléchir et se tourna vers la source de ce chaos. Des éclairs de lumière explosèrent dans le lointain, accompagnés de cris inintelligibles .

Des combats ?

Quelqu'un lui saisit l'épaule et la tira en arrière. Déséquilibrée, Elia se débattit vivement le temps de comprendre qu'il s'agissait de Diken. Il la fixa froidement.

— Dépêche-toi !

Choquée par l'attitude de son compagnon, elle acquiesça sans se rebeller. Quelques minutes plus tard, ils atteignirent un immeuble tout en longueur devant lequel Diken s'immobilisa enfin. Dans l'intervalle, l'agitation s'était brusquement interrompue derrière eux. Elia se plia en deux pour reprendre son souffle, son cœur battait à tout rompre. Elle avait les poumons en feu.

Cette fois, Diken la laissa prendre son temps. Une fois remise, elle leva les yeux pour étudier le bâtiment qui leur faisait face. La construction était affreusement géométrique, sorte de grande barre rectangulaire avec une succession de petites fenêtres carrées dont l'espacement était trop parfaitement régulier. Les murs étaient crépis et peint dans une couleur pâle. À la recherche d'un indice sur la fonction de la structure, Elia trouva pour seul ornement le blason de Mogrador au-dessus de la porte : une ligne horizontale barrant un écu vide, surmontée d'une étoile. Elle se tourna vers Diken, prête à le questionner.

— Où sont les gardes ? la devança son compagnon.

— Il devrait y en avoir ? C'est plutôt bien pour nous non ? Ils sont peut-être allés voir ce qui se passe.

Il lui adressa un regard qui contenait peut-être une pointe d'inquiétude.

— Impossible, un tel abandon de poste serait criminel. Entrons, il faut tirer ça au clair.

Il y avait un autre de ces boitiers étranges près de la porte du bâtiment, le badge utilisé pour l'ascenseur permis d'ouvrir celle-ci également. Elia découvrit un long couloir aux murs métallisés et régulièrement éclairé par des lampes cristallines bleutées. Ce changement de couleur était bienvenu, l'omniprésence du rouge lui tapait déjà sur les nerfs. Diken s'avança d'un pas décidé.

Les lieux étaient complètement déserts. Ils dépassèrent plusieurs embranchements sans rencontrer âme qui vive.

— Où sommes-nous à la fin ? Où est Lock ? explosa Elia.

— Il s'agit de l'académie militaire de Mogrador.

— L'ac... quoi ?!

Diken était-il devenu fou ? Il les avait fait entrer en plein cœur des installations militaires de la ville juste après s'être introduits illégalement dans le quartier ?

— Pas d'inquiétude, nous sommes en sécurité ici, lui assura son compagnon avec un fin sourire.

Mais ses yeux ne la trompaient pas, elle l'avait déjà vu comme ça : quelque chose le troublait.

— Lock est ici ?

— Nous devrions le trouver au troisième étage, dans l'académie aéronavale.

— Mais pourquoi...

— Tu auras bientôt tes réponses. On va prendre ces escaliers, ajouta-il en désignant une porte.

Elia arriva péniblement au bout des volées de marches successives. Elle avait l'impression de mourir alors que Diken était visiblement aussi frais et dispo que d'habitude, ce qui l'agaçait considérablement.

Les couloirs à cet étage étaient en tous points similaires à ceux du rez-de-chaussée. Son compagnon regarda de tous les côtés en fronçant les sourcils, puis repartit d'un pas décidé. Elia le suivit en grommelant. Ils finirent par atteindre une impasse dans ce dédale et Diken tapota sur le clavier d'un nouveau boîtier. Un grésillement se fit entendre après quelques instants, une voix légèrement chevrotante s'adressa à eux.

— De quoi s'agit-il ?

Elia remarqua le sourire franc qui se formait sur les lèvres du rebelle.

— Désolé de vous déranger à cette heure Mon Colonel, mais un « sale gosse indiscipliné » aimerait vous prendre un peu de votre temps, si vous le permettez.

— Erran ?

La porte se mit en branle et Diken entra sans attendre, sans laisser le temps à Elia de réagir.

« Erran ? »

La jeune femme marqua une courte hésitation avant de le suivre. Diken était tellement familier des lieux que cela devenait dérangeant. Elle, elle n'avait rien à faire ici.

Elia découvrit une petite pièce encombrée. Des étagères remplies de dossiers occupaient tous les recoins, au point qu'il était difficile de se frayer un chemin entre elles. Un bureau en bois massif siégeait au centre avec un petit homme derrière. Il avait un visage strié de rides, portait de fines moustaches et possédait une chevelure fournie couleur neige. Le militaire se leva à leur arrivée, révélant un uniforme bleu qui le boudinait légèrement.

— Colonel Chav, c'est un plaisir de vous revoir, salua Diken.

— J'aimerai pouvoir dire la même chose, rétorqua le vieil homme d'une voix sourde.

Son attitude désinvolte à peine retrouvée, Diken se raidit.

— Posez calmement vos mains sur le bureau tous les deux, je vous en prie, ajouta aussitôt l'officier supérieur.

— Qu'est-ce qui...

— Faites ce qu'il dit, au premier geste suspect nous ouvrons le feu ! commanda une voix forte dans leur dos.

Elia se retourna instinctivement pour se retrouver nez à nez avec quatre soldats en uniforme rouge qui les menaçaient avec des pistallins.

— C'est une plaisanterie, savez-vous seulement qui je suis ?! explosa Diken.

— Ils le savent parfaitement, commenta une nouvelle voix.

Un nouvel individu apparut derrières leurs agresseurs. Il portait une tenue étrange, sorte de toge noire couverte de boutons dorés qui n'avait rien de militaire et lui donnait, à dire vrai, plutôt belle allure. Elia s'attarda sur ses traits les jugeant harmonieux mais inhabituels, avec des yeux perçants gris clairs et des cheveux noirs et gras.

— Vous ?! Qu'est-ce que ça veut dire ? souffla un Diken visiblement ébranlé.

— Erran Dakir, vous êtes accusé de régicide.

Elia en était encore à essayer de comprendre ce qui se passait. Diken s'appelait en réalité Erran ? Qu'est-ce que cela voulait dire ? Incapable de faire un geste, autant du fait de la menace des armes que de son incompréhension totale des évènements, son compagnon réagit différemment et s'élança à la rencontre des soldats.

Le cœur d'Elia bondit. Aussi perdue soit-elle, l'idée de voir Diken abattu sur place la révoltait. À sa grande surprise, les soldats n'ouvrirent pas le feu et le rebelle parvint à frapper l'un d'eux au ventre pour mieux s'emparer de son arme. Il la brandissait déjà quand une voix tonna :

— Rendez-vous sans faire d'histoire, sinon cette charmante jeune femme en paiera le prix.

L'homme aux cheveux gras tenait Elia en joue, le doigt sur la détente.

— Vous tenez à me garder en vie, hein ? rétorqua Diken en grimaçant.

Il jeta un coup d'œil vers Elia, qui lui rendit son regard sans trouver les mots. Les questions se bousculaient dans sa tête. Elle voulait en savoir plus sur son identité, savoir qui était cet homme au costume étrange... mais elle était surtout pétrifiée par la peur. Au cours des dernières semaines, Diken l'avait amené à faire des choses incroyablement stupides et dangereuses et elle réalisa soudain qu'elle ne s'était jamais sentie aussi vivante qu'en sa compagnie. À cet instant pourtant, elle remettait en question toutes ses décisions le concernant. Pourquoi s'était-elle laissé embarquer dans cette histoire ?

Le regard de Diken trahissait des émotions contraires, il jeta son arme à terre et les soldats l'agrippèrent aussitôt. L'un d'eux sortis une paire de menottes.

— Qu'allez-vous faire de lui ? s'entendit questionner Elia à sa propre surprise.

Pourquoi n'avait-elle pas plutôt parlé de Lock, qu'était Diken pour elle après-tout ? L'homme élégant reporta son attention sur elle, semblant découvrir sa présence.

— Mettez-là en cellule elle aussi, en isolement. Nous nous occuperons de son cas plus tard, ordonna-t-il.

— Il y a des lois, on ne place pas les gens en isolement comme ça ! intervint le vieux colonel.

Elia se retourna vers lui, elle l'avait complètement oublié.

— Mon Colonel, nous vivons une situation sans précédent, trancha l'autre. Nous apprécions votre coopération à sa juste valeur, soyez sûr que j'en ferais part au sénat, mais cette affaire ne vous concerne plus désormais. Oubliez cette jeune femme.

Le vieil homme adressa un regard noir à son interlocuteur, mais se rassit néanmoins en silence. Un des soldats saisit brutalement Elia par l'épaule et la força à avancer. On lui attacha les mains dans le dos. Elle se laissa faire.

À quoi bon ?

Poussée hors du bureau sans ménagement, Elia fut conduite vers une cage d'ascenseur tandis que Diken était mené dans une autre direction. La jeune femme remarqua que plusieurs jeunes gens observaient les évènements depuis le couloir voisin, retenus par d'autres soldats armés. Elle ne vit pas Lock.

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