Diken (2/2)
Le cœur de Diken bondit. Il se retint de justesse d'exploser ou de dire ce qu'il pensait d'un tel projet et dévisagea les autres. Une chape de plomb s'était abattue sur le groupe, les regards étaient fixés sur Trystan.
— Attendez une minute... c'est une plaisanterie ? réagit enfin Elia, brisant le silence et prenant la parole pour la première fois.
— Elia...
Fab tendit gentiment la main vers la jeune femme, elle se dégagea vivement en lui adressant un regard dur.
— Non mais vous avez perdu la tête ? Si la rébellion a le soutien de la population des bas quartiers, elle le doit à ses actions en faveur des démunis et à sa capacité à aider sans attirer trop d’attention, sans céder à la violence gratuite. Elle ne fait jamais de victimes ! Vous avez une idée du séisme que ça provoquerait si vous tentiez un acte pareil ? Pire, si vous réussissiez ? Les dégâts que cela engendrerait ?
— Il n'y a pas de « vous », tu es des nôtres, corrigea Trys avec un regard sans équivoque.
— Mais vous êtes d'accord avec moi, vous autres, pas vrai ? continua Elia sans tenir compte de cette intervention. Vous êtes d'accord que c'est de la folie pure ?!
Elle se tourna vers Fab, Raff et même Sonia à la recherche de soutien. Tous fuirent son regard. Quand elle se tourna vers Diken, il ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit. Il avait la gorge terriblement sèche, tiraillé entre sentiments et devoir.
Je ne peux pas m'opposer à ce projet, mais si je ne dis rien elle va me haïr...
— Elia, on ne peut pas continuer comme ça éternellement, intervint Trystan au grand soulagement de Diken.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? rétorqua cette dernière en se tournant vivement vers le chef du groupe.
— Il a raison, les choses ne s'améliorent pas en dépit de tous nos efforts, expliqua Fab en diplomate du groupe. Depuis que le roi Quinan a lancé la grande guerre, depuis qu'il s'est fait nommer « empereur du monde », les conditions de vie des classes inférieures se sont dégradées d'année en année. Pour ceux comme nous qui ont connu la vie d'avant, ce n'est plus possible. Voir nos familles et amis souffrir comme ça... on ne peut plus accepter les choses sans réagir.
— Il faut frapper un grand coup, rappeler aux élites qu'on existe, soutint à son tour Sonia.
— Vous parlez d'un meurtre ! s'époumona Elia.
— Il s'agit de justice, corrigea Trystan. C'est à cause de l'Empereur que tout va si mal : la mort des sols, le Fluide, le mal jaune, les pénuries. Tous ces phénomènes apparus au cours des dernières décennies sont forcément liés à sa guerre. Son ambition tue la ville basse !
Elia se tut, continuant de les regarder tour à tour. Elle était devenue pâle comme un linge. La jeune femme finit par secouer la tête, comme si elle cherchait à oublier ce qu'elle venait d'entendre.
— Je ne peux pas participer à ça, asséna-t-elle sur un ton péremptoire.
Elle fit demi-tour et s'engagea dans le tunnel en courant. Lorsque Sonia fit mine de vouloir la rattraper, Diken s'interposa.
— Laissez-moi lui parler, souffla-t-il en se lançant à la poursuite de la jeune femme.
Elle allait ouvrir la trappe menant à l'arrière-boutique de la taverne quand Diken plaqua une main contre cette-dernière pour la maintenir close.
— Laisse-moi m'en aller ! s'écria Elia. Comment as-tu pu m'associer à des gens pareils ? Ils ne valent pas mieux que les gangs en fin de compte !
— Elia, laisse-moi t'expliquer...
— Toi aussi ? Tu es d'accord avec eux alors ? Écarte-toi !
— Ce n'est pas si simple... Elia !
Il la saisit fermement par les épaules, plus rudement qu'il ne l'aurait souhaité. La jeune femme se mit à se débattre comme une furie, il n'avait jamais imaginé que ce petit bout de femme pouvait avoir une telle énergie. Elle lui donna un coup de genoux dans le ventre qui lui laissa un goût amer, mais Diken ne lâcha pas prise. Il finit par la prendre dans ses bras pour l'immobiliser complètement.
— Lâche-moi ! hurla-t-elle.
— Seulement quand tu m'auras promis de te calmer et d'écouter ce que j'ai à dire ! rétorqua-t-il d'une voix dure.
Elia continua de remuer un instant, puis il sentit son corps s'immobiliser. Elle restait très tendue.
— Lâche-moi, répéta-t-elle d'une voix morne.
— Tu ne vas pas me frapper ? rétorqua Diken en s'efforçant de sourire tout en la libérant.
Il n'eut droit qu'à un regard sombre en réponse, mais elle resta immobile une fois libre.
— Elia, tu te souviens de ce que je t'ai demandé ? murmura-t-il alors.
— À quel sujet ? grogna-t-elle.
— Pour sauver ton frère.
Le rebelle la vit frémir. Il était facile de deviner qu'elle était sujette à un conflit à cet instant. Diken n'avait aucune envie de lui forcer la main et encore moins de la voir souffrir, mais il n'avait pas le choix et attendit en silence. Elia finit par le regarder droit dans les yeux et hocha la tête.
— Faire tout ce que tu diras sans discuter, lâcha-t-elle enfin. Seulement, quand j'ai promis ça, je ne m'imaginais pas une seconde que...
— Tu ne tueras personne, coupa-t-il sans élever la voix. Tu ne feras rien qui te rende coupable d'un crime. Du moins, pas plus grave que ceux que nous avons commis ces dernières semaines, ajouta-t-il avec un fin sourire.
— Comment serait-ce possible ? Trystan et les autres, ils sont décidés à aller au bout.
— Elia, tu me fais confiance ?
La jeune femme le fixa en silence pendant un long moment. Si long que Diken eut tout loisir de songer aux conséquences de ses propres paroles.
— Oui, lâcha finalement la jeune femme d'une toute petite voix.
— Alors reste avec nous, accompagne-nous jusqu'au palais et une fois arrivés...
Il se baissa pour lui chuchoter à l'oreille.
— Là-bas, nous fausserons compagnie aux autres pour aller retrouver Lock.
***
À la fin de la réunion Diken resta pour écluser quelques verres à la taverne en compagnie de Raff et Fab tandis qu'Elia rentrait directement chez elle. Sonia et Trystan n'étaient toujours pas sortis du QG lorsque ses compagnons de beuverie l'abandonnèrent à leur tour. Un petit rictus se forma au coin de la bouche du rebelle en voyant l'imposant Fab marcher en canard, soutenu par le gringalet. Après leur départ il resta encore un long moment sans bouger, faisant le tour des lieux du regard. Il était tard, seuls quelques habitués traînaient encore dans les coins les plus obscurs de l'établissement. Eux et les trafiquants en attente d'un client, évidemment.
— Je te ressers ? questionna le tenancier qui s'était approché dans son dos.
— Il reste un dernier à servir, mais pas pour moi.
Diken sortit un petit papier froissé ainsi qu'un crayon de sa poche, il griffonna quelques mots : "Couronne. Trois jours. 21h. Villa Fallacienne." Il plia soigneusement le message puis le plaça sous sa choppe vide avant de la faire glisser vers son hôte.
— Porte vite ce verre à qui tu sais, chuchota-t-il. Lorsqu'il le recevra, il aura grand besoin d’un remontant lui aussi.
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