Chapitre 1.
L’odeur particulière de mon enfance fut celle du sapin de Noël. Maman le laissait toute l’année dans le salon. Elle disait que ça rendait les gens heureux. Je ne me souviens pas d’une seule saison sans le sapin. Il était devenu au fil des années un véritable compagnon de route pour moi. Il m’accompagnait dans mes premiers pas, et plus tard quand je faisais de la danse classique, je tournoyais autour de lui pour m’entraîner. Quand j’étais triste, je lui racontais les histoires de l’école, comme la fois où les filles du CE2 m’avaient serré le cou jusqu’à̀ ce début d’étranglement. Je me souviens encore de l’odeur de conifère sur mon pull et des aiguilles qui collaient sous les pieds. Pierre venait jouer à la maison et le sapin était notre île, un repère central au milieu de l’appartement. Il n’en revenait pas qu’on puisse instaurer la magie de Noël même en plein mois de Juillet, sans neige et avec un soleil de plomb. Les guirlandes continuaient leur clignotant frénétique la nuit. Cela me rassurait. Nous nous amusions à compter chacune de ses branches et mettions nos Playmobil sur les plus hautes, faisant comme si nous étions des pompiers venus sauver les gens des flammes. Je clignais des yeux très fort en faisant « pin pon » pour imiter les sirènes qui criaient. Depuis la cuisine, papa nous regardait en préparant un fondant au chocolat si délicieux qu’en me concentrant, je peux en ressentir à nouveau le goût sur ma langue. L’odeur du sapin sera toujours particulière pour moi. Elle évoque ces évidences de l’enfance d’être heureux, de ne pas se soucier des regards et de se contenter de ce que l’on a. Mais ce qui me manque le plus de mon enfance, c’est l’absence de nostalgie. Je ne ressentais aucune tristesse d’hier ni ne voyais demain, je vivais l’aujourd’hui. Je comprends que mes parents faisaient cela pour préserver la magie au quotidien. Ils se réinventaient sans cesse, car il faut bien renouveler cette magie qui s’éparpille en pluie fine entre les doigts. Je me souviens des aiguilles qui laissaient petit à petit notre sapin sans costume et sans défense, et de papa qui, sa voix mélangé́e à celle des Beatles sur la chanson Yesterday, expliquait à Pierre :
- Regarde, c’est ce qui est joli dans la vie. Rien n’est stable, tout bouge tout le temps. Nos émotions, les lieux, l’âge, les habitudes ou les costumes des gens. On est vulnérable une saison et la suivante on est plus fort, c’est rassurant ça, les enfants.
- Ça veut dire que je peux ne pas aimer les brocolis aujourd’hui et adorer ça dans mille ans ?
- C’est exactement ça, Pierre.
Papa lui avait caressé la tête gentiment, satisfait.
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