Chapitre 2.
Le sapin de Noël est tombé quelques heures avant le réveillon. Je venais de déposer Pierre chez le garagiste pour qu’il récupère sa moto. Maman était dans tous ses états, persuadée que tout était fichu. Les guirlandes jonchaient le parquet, des boules de noël rouges et bleues glissaient sous le canapé. Papa la consolait comme il le pouvait, avare de gestes tendres mais souriant. Il neigeait férocement, cet après-midi-là̀. Je m’en souviens. Pierre venait dîner avec nous ce soir. Ça sentait particulièrement le sapin, maintenant que celui-ci était couché, des aiguilles en moins, l’air malade. Je me rappelle avoir pensé, oh non. J’ai eu comme un pressentiment. J’ai anticipé l’indicible. M’étais préparée sans aucun doute, avais envoyé des messages à Pierre avec l’aisance qu’on a quand on pense que tout est acquis. Quand le cerveau rationnalise chaque chose avec fougue, espérant secrètement que la boule dans le ventre va s’en aller. Pierre ne passera pas la porte, ce soir-là. Ni aucune autre porte. Le téléphone a sonné à vingt heures tout pile. Je ne connaissais pas le numéro. Mais j’avais les mains moites de celle qui s’apprête à passer un examen important. Mon cœur battait, soudain il a eu un raté. A l’autre bout du fil, une voix sans émotion. Le ton laconique m’a fait perdre mes moyens. Je me souviens de mon « Allô ? » prononcé avec vivacité, dernier mot que j’ai pu dire avant un basculement soudain :
- Bonsoir, vous êtes l’amie de Pierre ? Bon, hum, excusez-moi, excusez-moi, j’ai mal à la gorge. Bon. Il est mort, Pierre. Il est mort. Il vient de mourir à l’hôpital, ça s’est passé sur la route, avec la moto et la neige.
J’ai posé calmement le téléphone. J’ai respiré, trop fort, mais j’avais l’impression de continuer à̀ manquer d’air. Assez fort pour que mon père me voit et demande ce qu’il se passe. Je n’ai pas pu parler. Les mots se sont coincés à l’intérieur de moi, prisonniers d’une douleur qui enflamme la cage thoracique à tout jamais.
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