Lorsqu'il toucha sa peau endolorie, il sentit des larmes sous ses doigts. Tout cela n'avait été qu'un souvenir, jamais plus il n'aurait l'occasion de la serrer dans ses bras. Cette constatation lui étreignit le coeur et un sanglot se bloqua dans sa gorge. Il déglutit péniblement, se frotta les yeux et repensa aux dernières images visionnées. Elles étaient sa nouvelle réalité et à ce titre, il devait y faire face.

Des quelques épisodes qu'ils avaient pu visionner du projet Trimondes, certains l'avaient plus marqués que d'autres. C'était notamment le cas, de la Cérémonie du passage à l'âge adulte du Monde Mythique. Jamais il ne pourrait oublier l'attaque des Sanctionneurs orchestrée par les Régisseurs, un des cinq clans du Monde Numérique. Ce jour-là, Yomi avait perdu sa soeur et lorsqu'elle était parvenue à rejoindre son village. Faric en avait pris le contrôle et elle avait été interrogé face à ses parents et son mentor impuissants. Lorsque le politicien commit l'erreur de s'en prendre à Xam, son Xealeras, Yomi s'était révélée être une Fusionnée et leur fuite avait débuté.

Alors qu'il pensait la situation critique, il avait découvert le Monde Historique et rencontré Nick, un clone. Il avait suivi le garçon dans la découverte de son statut et avait rencontré Feyna, une hybride, ainsi qu'Yvias, son concepteur. Dès ce moment, les événements s'étaient enchaînés et il avait assisté à divers changements de mondes. L'hybride avait rencontré Keenan, le Nick originel dans le Monde Mythique ainsi que Pitchi, sa partenaire. Mais suite à sa ressemblance avec Yomi, elle avait été prise pour la jeune femme. Il s'en était suivi toute une stratégie pour déjouer les plans de Faric. Keenan avait dû partir à la recherche de Yomi et Axan l'avait rejoint.

Seulement, une fois encore, tout ne s'était pas passé comme prévu : les deux hommes s'étaient faits attirés dans un autre monde. Peu de temps après, suite piratage de Mère, la même chose était arrivée à Vyrian. Il avait fait ses premiers pas en tant que Numériciens. Il avait partagé leur espoir, leur peine et leur souffrance. Il leur avait confié une parti de son fardeau et avait pleuré leurs morts jusqu'à ce que des tremblements troublent les lieux.

Ce n'est qu'à cet instant que le scientifique prit conscience de son nouvel environnement et de l'homme lui faisait face. Il était sûr de n'avoir jamais l'avoir vu, pourtant sans qu'il ne cherche à l'identifier, son nom lui vint à l'esprit : Ollesty,. Il n'était pas plus âgé que Rayec, pourtant, une longue chevelure blanche lui tombait sur les épaules. Vyrian se souvint des accusations qui pesaient sur lui : il avait abandonné Keenan à l'entrée de la Confrérie. Il sentit la colère monter en lui, accentuer par la gifle qu'il venait de recevoir. Devant son expression, l'Ombre prit la parole.

— Bien, je vois que tu as l'air de savoir qui je suis, ça m'évitera les présentations.

— Où sommes-nous et que s'est-il passé ?

Dans l'attente d'une réponse, Vyrian tenta d'accéder à l'omniscience de Mère, les satellites auxquels elle était reliée avaient bien dû enregistrer les évènements. Mais avant qu'il ne s'en rende compte du sang vint tâcher les draps du lit dans lequel il se trouvait. Vyrian porta la main à son visage et constata qu'une fois encore, il saignait sans raison apparente. A cette vue, l'expression de l'Ombre se fit plus sombre.

— Faut croire que je ne suis pas le seul à qui Mère a ravagé le cerveau.

— Où voulez-vous en venir ?

— Tu sais sans doute que j'ai refusé d'élever un des Exilés, Mère m'a punit pour ça. Chaque jour, en me levant, je me rends compte que petits bouts par petits bouts mes connaissances s'effritent, je deviens sénile.

— Comptez-pas sur moi pour vous plaindre. Vous avez merdé assumez en les conséquences.

— Oh mais je les assume, pas comme ce crétin qui a cloné son fils.

— Esquivez pas la question : que signifient ces saignements ?

— Tu te meurs.

— Pourquoi m'avoir amené ici ?

— Pour te sauver.

— Me sauver ? Et comment comptez-vous vous y prendre ? Vous n'y arrivez déjà pas vous-même.

— Ta connexion à Mère semble différente de celle que nous avons pu avoir, sans doute due au fait que tu viens d'un monde dont nous ne connaissons rien.

Cette réponse accentua la méfiance de Vyrian à l'égard de l'Ombre. Il n'avait révélé sa provenance qu'aux résistants et Exilés avec lesquels ils avaient luttés et Ollesty n'en faisait pas partie.

— Comment le savez-vous ?

— Je t'ai entendu.

— Vous n'étiez pas là !

— Ce n'est pas parce que j'étais hors de vue, que je ne m'y trouvais pas.

— Vous nous avez espionné.

— Depuis un moment déjà, j'attendais l'occasion de pouvoir te parler.

— Que me voulez-vous ?

— j'espère avec ton aide parvenir à retrouver Mère et mettre fin à son cadeau empoisonné.

— Pourquoi vous aiderais-je ?

— Parce que tu as une dette envers moi, je t'ai emmené à Hydrios pour soigner ton corps. Oriana a veillé sur toi pendant des jours.

Vyrian observa son corps et découvrit qu'Ollesty lui disait la vérité. Ses membres n'étaient plus douloureux et il parvenait à bouger sans son exosquelette. Alors que le scientifique prenait connaissance de sa nouvelle condition physique, Ollesty lui présenta les lieux.

— Nous sommes à la guilde des Sciences Mystiques à Hemyra. Tu veux mettre un terme aux conflits qui ont éclatés, je t'aiderai. Je sais comment vaincre Faric. Tout comme je sais ce qui est arrivé aux résistants.

— Que leur est-il arrivé ?

Mais l'Ombre n'était pas prêt à lui révéler ces informations sans contrepartie.

— Marché conclu ?

Vyrian le connaissait depuis quelques minutes à peine et il éprouvait déjà à son égard un mêlange de méfiance, de colère et de crainte. Cet homme avait abandonné un nouveu-né. Il n'était pas fiable, pourtant, il donna à regret son accord et se promit de le tenir à l'oeil.

— Marché... conclu.

Ollesty parut ravit et fournit les informations au biologiste.

— Ils luttaient. Les tremblements étaient dus à un lancer de torpilles par les Régisseurs. Lorsque les résistants ont téléchargés les données de la boîte noire sur leur serveur, un TechnoVirus a envoyé les coordonnés du signal aux Régisseurs.

— Et maintenant ?

— Je l'ignore.

Devant l'expression choquée de Vyrian, il se justifia.

— Ce n'est pas moi qui suis omniscient.

— Très bien comment accéder à ces connaissances ?

— Aucune idéée. Mais tu devrais peut-être penser à ta survie avant de tenter quoique ce soit.

Vyrian suivit le regard de l'homme et découvrit des marques au sol. Maintenant qu'il y faisait attention, elles quadrillaient l'ensemble de la pièce et se rejoignaient en son centre en une arabesque complexe au milieu de laquelle se tenait un petit bassin. 

— C'est quoi tout ça ?

— Ton salut.

— Je ne comprends pas.

— Je t'ai étudié, tu sembles toujours relier aux tiens. Le lien est ténu, mais si tu parvenais à te connecter à eux et à dispatcher tes connaissances, tu ne serais plus en danger.

— Mais ils auraient connaissance des trois mondes !

— C'est un risque à prendre. De plus, dans leur état, ils ne pourraient pas faire grand chose. Si tu as survécu, c'est parce que Rayec t'as trouvé et équipé d'un exosquelette. Tu n'aurais eu aucune chance sinon.

— Que m'avez fais ? Comment savez-vous tous ça ?

Ollesty se rapprocha et lui montra le dispositif sur sa nuque. Vyrian y porta ses mains et y sentit le même sous ses doigts.

— Vous avez regardé mes souvenirs ?

— Ouais, j'ai dû un peu rusé, comme nous n'utilisons pas la magie. Mais heureusement, notre lien à Mère à suffit. Au fait, chouette nana, dommage qu'elle ait fini gélifié.

— Connard !

Vyrian se jeta sur Ollesty, il pouvait supporter beaucoup de choses, mais pas qu'on insulte ceux qui lui étaient chers, ni qu'on souille ses souvenirs. Mais il s'effondra avant d'avoir pu l'atteindre. Ces saignements étaient de plus en plus importants et sa vue commença à se brouiller. Ce détail n'échappa pas à Ollesty.

— Je te l'ai dis ton temps est compté. Alors, me faits-tu confiance ?