Dans les bras de son sauveur, la frêle jeune fille s'apaise doucement. Du bout de ses doigts, il essuie les larmes gelées sur sa joue. Pendant de longues minutes, tous deux restent assis, dans un silence absolu. Puis, Aurora pivote son pâle visage vers Theobald et lui demande :

— Comment se fait-il que vous soyez seul en sachant que des fantômes rôdent dans les parages ?

À l'entente de ces mots, le brun ténébreux baisse le regard avant de prendre une profonde inspiration.

— Je n'étais pas seul, répond-il d'une voix teintée de tristesse.

— Ah ?

— Tu sais, des créatures encore plus dangereuses que les spectres foulent ces terres. Nous traversions un hallier, plus au nord lorsque nous avons été surpris par des loups-garous des neiges.

Ses paupières se ferment un instant, avant de reprendre :

— Bon Dieu ! Les meilleurs amis que l'on puisse avoir... ajoute-t-il. Algard et Amlach sont restés à l'arrière afin de me laisser une chance d'arriver jusqu'au lac pour te retrouver.

— Désolée...mais...mais des loups-garous ? bafouille-t-elle. ! Des fantômes, des loups ! Mais quand est-ce que ce cauchemar va se terminer ?

— Je comprends ton désarroi, mais il faut absolument que tu me fasses confiance. Nous devons nous remettre en route, nous ne sommes pas en sécurité ici.

— J'en ai assez ! s'écrie-t-elle en sanglotant. J'ai faim, j'ai froid...je... je veux juste rentrer chez moi.

— Aller, courage. Je te promets que nous ne sommes plus très loin. Là-bas, tu pourras te réchauffer au coin d'un bon feu et manger à ta faim.

Sentant ses émotions monter, Aurora respire profondément et tente de se canaliser pour ne pas se laisser déborder par elles. Pour cela, elle met en pratique les nombreux conseils tirés de l'ouvrage « Apprivoiser son stress » des méthodes consistant à réduire un état émotionnel extrême. Elle se concentre sur les moments passés avec sa mère et sur rien d'autre. Son cerveau se débranche, plus rien n'existe autour d'elle. Elle se focalise uniquement sur le visage de Mildrid. La crise se désamorce, sa respiration est à présent plus apaisée.

— Très bien, allons-y, dit-elle avec courage.

À travers la dense forêt, se déverse enfin la grisaille moite du petit jour.

Theobald se relève et tend sa main vers Aurora. D'un acquiescement timide, elle se remet debout. Tout son être vacille à cause du vent glacial. Alors, de sa main droite, elle réajuste sa fourrure sur ses épaules. Ils partent en direction du Sud. Cela signifie emprunter les terres brumeuses, territoires des Qiqirn, une espèce de chien sans poils. D'après Théoblad, bien qu'elles soient effrayantes, ces créatures sont aussi capricieuses et stupides. Ce qui leur donnera une petite chance de passer inaperçus. En étant le plus discrets possible, ils pourront passer sans être repérés et ainsi emprunter le chemin le plus rapide qui mène au refuge. Après une longue et trébuchante marche, ils atteignent la limite boisée. Dans le lointain, une forêt de hêtres, couronnée de neige, dont les troncs semblent avoir vécu mille ans. Theobald, debout dans l'ombre d'un arbre, inspecte les alentours avec inquiétude. Il n'y a aucun signe d'esprit malveillant. Mais, Theobald reste tout de même sur ses gardes. Au moment même où ils commencent à franchir la frontière, un bruit de voix léger retentit. Un murmure doux, un murmure familier :

— Eh, Theobald... C'est moi, Amlach !

Un homme, vêtu d'un épais manteau de fourrure bondit hors de sa cachette et se précipite à leur rencontre.  À la vue de son ami, Theobald lance :

—  Par tous les Dieux.

Le son clair de sa voix ne laisse aucun doute dans son cœur: il est heureux de le revoir, heureux de le savoir en vie. Aurora remarque tout de suite la grande beauté de celui-ci. Il possède un corps svelte, élancé et une longue chevelure d'argent brillant de mille éclats. Ses oreilles fines et pointues ne laissent aucun doute sur ses origines. Le compagnon de Theobald est de la race elfique.

— Ha, ha, vieille canaille, tu t'en es sorti ! dit Theobald, en serrant son ami.

Après cette accolade joyeuse, le nouvel arrivant se tourne vers Aurora.

— Amlach Bryn, pour vous servir votre Altesse, souffle-t-il en s'inclinant devant elle.

Aurora le regarde avec étonnement.

— Bonjour.

— Où est Algard ? demande Theobald.

Une ombre passe sur le visage de Bryn.

— Tomber entre les griffes de ces satanés chiens !

— Un grand guerrier. Il recevra les honneurs qu'ils lui sont dus. Pour l'heure, nous devons pénétrer ses terres de l'enfer au plus vite avant que ces bestioles ne nous remarquent. Amlach, tu resteras à l'arrière, tandis que je prendrai la tête. Aurora, tu seras au milieu. Nous devrons parler moins haut et passer le plus tranquillement possible. C'est bien compris ? dit Theobald en regardant Aurora.

— Je n'aime pas ça du tout, répond-elle en haletant. Mais je vous fais confiance...

Le petit groupe entame leur marche dans une nappe de brouillard. Ils avancent à bonne allure, mais le chemin ne tarde pas à devenir difficile. Le vent siffle entre les branches et il parait a Aurora que, même marchant et trébuchant jusqu'aux limites de la fatigue, ils ne font que lutter contre les éléments. Leurs pieds s'enfoncent lourdement dans la neige et leurs vues sont obstruées par les larmes. Le jour devient terriblement sombre sous d'épais nuages. À mesure qu'ils avancent, Theobald scrute du regard les alentours malgré la brume qui les enveloppe d'un voile évanescent. Il n'y a pas de bruit ni de mouvement, hormis le cri du vent. Une bonne vingtaine de minutes plus tard, ils parviennent à grimper jusqu'à la colline d'Instara. À présent presque à découvert, ils doivent redoubler de vigilance pour ne pas être surpris par les Qiqirns.