Chapitre 10 Un foutu éboulement

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Assis de travers sur le trône du chef de Clan, Kohga faisait la sieste, une sieste bien méritée après les longues heures qu’il avait passé à s’entraîner. Son père était en mission en Tabanta depuis maintenant une semaine, et personne n’occupait le siège, alors pourquoi s’en priver ?

La lieutenante Liouda poussa, ou plutôt défonça la porte et, enjambant d’un air dégoûté les nombreuses peaux de bananes qui jonchaient le sol, s’approcha de Kohga, qui se réveilla en sursaut.

- Votre père est rentré, mais je ne sais pas si vous tenez à le voir…

Kohga soupira bruyamment. En plus d’être généralement froide, sauf peut-être avec Suppa, qu’elle semblait apprécier, Liouda vouvoyait tout le monde. Or le vouvoiement faisait partie des choses que Kohga détestait le plus, avec peut-être les bananes pas mûres et les mauvais matelas.

Avec force soupirs, il se leva et marcha vers le hall d’entrée. Vide. Un officier lui annonça d’un air bien trop poli pour ne rien avoir à cacher que son père était à l’infirmerie. Kohga trouva cela un peu vexant. Même s’il savait que son père était quasi obsédé par le bien être du Clan, il espérait qu’il serait passé voir son fils avant les autres Yigas. À moins qu’il ne soit blessé, ce qui serait encore bien pire.

À peine Kohga avait-il passé la porte de l’infirmerie que quelqu’un lui fonça dedans et le renversa. En se relevant, il vit Kiko, la nouvelle infirmière en chef, qui frottait frénétiquement sa combinaison.

- Mon père est ici ? demanda-t-il.

Kiko le regarda d’un air attristé.

- Ah ben ça… Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne sortira pas de sitôt. Jamais vu un truc pareil.

Sur ce, elle tourna les talons et retourna à ses blessés et ses malades.

D’un pas bien moins assuré que d’ordinaire, Kohga traversa l’infirmerie jusqu’à une petite porte sur laquelle était accrochée une vilaine petite pancarte marquée du nom de Kohga et d’une inscription en lettres rouge tomate : merci de ne déranger sous aucun prétexte. Cela confirmait ses craintes.

Il entra dans la chambre et trouva son père allongé sur un lit miteux, un officier et une infirmière à son chevet. Même si les Yigas étaient souvent blessés et que, dans un repaire habité par plusieurs centaines de personnes, une maladie contagieuse se transmettait bien souvent plus vite que la musique, Kiko avait raison. De mémoire de Yiga, on n’avait jamais rien vu de tel.

Le visage du Grand Kohga était marqué de plusieurs cicatrices et ses bras étaient couverts d’étranges marques pourpres et violet noirâtre dues à la magie de guérison. Son bras gauche était plié d’une manière qui n’avait rien de normal et ses draps étaient souillés en plusieurs endroits par des taches de sang. Le chef du Clan dormait paisiblement, mais sa respiration était lourde et irrégulière.

Un bruit étrange fit sursauter Kohga. C’était l’officier, que Kohga reconnut comme étant Khana, qui pleurait à chaudes larmes. Faisant mine de ne pas lui prêter attention, il s’approcha de son père.

- Qu’est-ce qui a bien pu le blesser comme ça ?

Semblant le remarquer seulement maintenant, Khana se tourna vers lui.

- Un éboulement… un foutu éboulement… réussit-elle à lâcher entre deux sanglots. Près du village Piaf. Je n’ai rien pu faire…

Elle renifla bruyamment, avec un son fort désagréable, mais Kohga n’avait pas le cœur à le lui faire remarquer.

- Kiko a dit qu’elle n’avait rien vu de pareil… qu’elle était presque sûre que c’était fichu…

Nouveau reniflement.

Kohga était un peu surpris. Le Grand Kohga, chef suprême du Clan Yiga, tué par "un foutu éboulement" ? Impossible, improbable, mais Khana n’était pas une menteuse.

Kiko passa la porte avec un plateau plein de remèdes et un bol de compote de pommes, qu’elle tenta de faire avaler au chef de Clan. Si les infâmes médicaments ne semblèrent pas lui poser de problème, il ne put pas avaler la compote. Kiko soupira lourdement.

- Il faut bien qu’il mange quelque chose, mais j’ai peur d’aggraver son cas si je le réveille…

L’infirmière en chef semblait hésiter terriblement, et paraissait un peu honteuse de ne pas savoir quoi faire.

- Marika aurait pu le sauver, mais moi, je ne sais pas si j’y arriverais…

Kohga ne supportait pas de la voir comme ça, et décida de se rendre utile.

- Peut-être qu’un remède l’aiderait à guérir…

- Un remède max, hésita Kiko. Peut-être qu’avec un remède max… ou une fée…

- Je vais chercher des lézards max !

Sur ce, Kohga tira de sa poche quelques parchemins Yiga passablement froissés et se téléporta. Il connaissait l’endroit parfait pour en trouver.

Malade et épuisé par la distance parcourue, Kohga apparut à quelques mètres de l’endroit qu’il visait : un puits oublié, loin de tout, au milieu de la savane, à quelques kilomètres du mont Nabooru. Il était inutilisé depuis des siècles et presque complètement asséché.

Kohga sauta dans le puis, utilisant la magie pour amortir sa chute. Comme d’habitude, l’endroit grouillait de lézards max et de fées. Si les fées étaient atrocement difficiles à attraper, comme Kohga l’apprit à ses dépens, les lézards max étaient parfaitement idiots et sa sacoche en fut bientôt remplie.

Avec un petit « pouf » et beaucoup de fumée qui fait tousser, Kohga apparut devant le repaire du Clan. Il passa la porte et remarqua immédiatement que quelque chose n’était pas comme d’habitude.

La grande salle, d’habitude pleine de conversations et de bruits divers, était presque silencieuse. Les surveillants, chargés de maintenir l’ordre, n’étaient en train de crier sur personne, pas même la lieutenante Liouda, qui avait pourtant la réputation de se fâcher au moindre pet de travers. Les Yiglings habituellement survoltés semblaient étrangement calmes et Kohga n’en vit pas un seul jouer à chat, à grimper aux murs ou à cache-cache. Il n’y avait pas la moindre dispute, pas le moindre marchandage sur le prix des arcs ou des serpes coupe-gorge, pas le moindre Yiga en train de chanter, de discuter ou de ronfler. Rien, si ce n’est le silence. Pas un silence rassurant et agréable, mais un silence de mort, lourd et oppressant. Kohga trembla.

Lentement, Kohga marcha jusqu’à l’infirmerie. Kiko semblait elle aussi touchée par ce silence désagréable. Il lui tendit la sacoche pleine de lézards.

- Ça ne servira à rien.

Kohga n’aurait jamais imaginé que Kiko puisse parler d’une voix aussi triste. Une sourde angoisse lui serra le ventre, et il se mordit la lèvre pour ne pas céder à l’envie de pleurer.

- Il est parti…

Kohga se mordit à nouveau les lèvres, mais il savait que c’était la vérité. Kiko n’avait pas été à la hauteur. Il n’avait pas été à la hauteur. Son père était mort.

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