Chapitre 33 Adieu

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Kohga tenta de fixer un morceau de gelée Chuchu sur l’une de ses flèches, mais se piqua le doigt. Il tremblait. Avec une concentration qui lui était presque douloureuse, il réussit à accrocher la boule rouge et gluante à la pointe du projectile. Il émit un sifflement signifiant qu’il était prêt et presque aussitôt, six flèches enflammées s’abattirent sur la planche de bois où se trouvait le corps de son meilleur ami.

Les flammes s’élevèrent en même temps que les chants des Yigas. C’était une chanson triste, lente et mélancolique, l’histoire de la mort et de la renaissance. La tradition voulait que chacun chante dans la langue de son peuple, de ses origines. La plupart des Yigas chantaient en hyrulien, mais on pouvait chanter la Marche de l’Honneur en Ancien Hylien, en Gerudo, en Ancien Sheikah, en Piaf ou en Zoran.

Kohga entama la marche funèbre. Les sonorités familières du Gerudo lui apportèrent un étrange réconfort, mais les larmes trempèrent ses joues et son masque.

À travers le masque rendu opaque par l’humidité, il distingua les silhouettes d’Aimy et de Liouda. Serrées l’une contre l’autre, les deux officières chantaient en Ancien Sheikah. Le rendu était étrange, mais agréable à l’oreille, et Kohga se surprit à cesser de chanter pour mieux écouter la mélopée triste et entêtante.

Une goutte de pluie fraîche et inattendue tomba sur la main droite de Kohga, puis une seconde, puis une troisième… Bientôt, le sol poussiéreux fut trempé, et le ciel du désert, encombré de nuages noirs bien dodus, comme si la nature elle-même souhaitait prendre part au deuil.

Kohga plongea la main dans sa poche et en sortit ce qui avait autrefois dû ressembler à un discours. Le morceau de parchemin était froissé, grignoté par les poissons d’argent et taché de confiture de bananes, de sorte que Kohga se félicita intérieurement de l’avoir appris par cœur.

— Nous sommes réunis en ce lieu pour rendre un dernier hommage à Suppa Satori, fils de…

Kohga réfléchit un instant. Suppa avait perdu ses parents étant petit et tous ses efforts pour retrouver leur trace avait été vains.

— Pour rendre un dernier hommage à Suppa Satori, fils de… argh !

Une violente douleur saisit Kohga au ventre et l’obligea à se plier en deux. Il sentit ses jambes se dérober sous lui et entendit les cris étonnés des autres Yigas, mais ne vit rien. Il était aveuglé par une grande clarté, une lumière telle qu’il dut fermer les yeux.

— Êtes-vous sûre de pouvoir y arriver ?

Kohga ouvrit les yeux. Devant lui se tenait un homme large d’épaules aux traits fins et au nez proéminent qu’il reconnut comme étant le roi d’Hyrule, même s’il lui semblait bien plus jeune que dans ses souvenirs.

— Je… fit Kohga, hésitant. Je suppose que oui…

Le monarque ne fit même pas mine de le remarquer. Il s’adressait à une femme à l’allure atypique qui se tenait contre le mur du bureau. Sa poitrine peu imposante était recouverte d’un haut très typé Yiga orné de perles, du même jaune que son pantalon ample qui descendait jusqu’à ses genoux.

Grande, impassible, les cheveux noirs, le teint pâle, il se dégageait de l’inconnue une impression de force, de confiance et de mystère qui n’échappa pas à Kohga. Elle aurait pu paraître ordinaire s’il n’y avait pas eu ces yeux. Plus bleus que le lac Hylia, et brillants comme des saphirs délavés. Les yeux de Suppa.

— Vous osez douter, roi Daphnès ? Vous osez remettre en doute mon talent ? Je ne manque jamais ma cible, vous entendez ? Jamais. Et personne ne s’en rendra compte.

Kohga assembla les pièces comme il le pouvait, et l’évidence lui sauta soudain aux yeux. Cette femme était Lady Kurayami. Née d’une mère Yiga et d’un père Sheikah, elle faisait partie de ce que l’on appelait des « traîtres à leur sang », des Yigas qui rejoignaient la famille royale de leur plein gré. Il avait croisé son portrait dans le livre d’Histoire plus de fois qu’il ne pouvait s’en souvenir. C’était une tueuse d’élite au service de la famille royale, réputée la meilleure que le royaume ait connue. On disait qu’elle ne manquait jamais sa cible et que celui qui l’apercevait ne verrait plus jamais le soleil se lever sur Hyrule.

— Bien. Vous devez éliminer le Grand Kohga, quatrième du nom, Chef suprême des Yigas. Vous avez une semaine.

Kohga frissonna, et l’assassine aussi. Tuer un Yiga était interdit par le code d’honneur et sévèrement puni.

— Non… je ne peux pas.

— Vous avez peur ? Vous n’osez pas ?

L’étrange femme sembla se résigner, mais refusa l’énorme rubis doré que lui tendait le monarque. Elle n’en était pas fière, mais elle accomplirait sa mission.

Le décor changea. Kohga se trouvait maintenant dans une vallée de Tabanta, glaciale et entourée de montagnes. Malgré la tempête de neige qui faisait rage, Kohga distingua la silhouette gracile de Lady Kurayami, tout comme il distinguait en contrebas celle d’une patrouille Yiga qui rentrait de mission. La traîtresse fit apparaître dans sa main droite deux étoiles Sheikah et en projeta une dans les rochers à quelques dizaines de mètres. Puis la seconde se ficha dans la paroi au-dessus d’elle, et ce n’est qu’en voyant les rochers dégringoler que Kohga comprit. Il vit la neige se maculer de sang, son père brisé, et Khana en pleurs. Cette femme avait tué son père. Il devait lui faire payer.

La terre se mit à trembler, et un rocher manqua d’écraser Kohga. Une pierre tomba, puis une seconde, puis ce fut une véritable avalanche de roches. Kohga entendit un cri, un long cri terrifiant. Il ferma les yeux et se pelotonna comme un Yigling, attendant que cela passe.

Kohga ouvrit les yeux. Il était roulé en boule sur le sol humide et poussiéreux. La main d’Aimy était posée sur épaule.

— Qu’est-ce que tu… tu étais écrasé par terre et tu parlais tout seul, et puis tu as paniqué et…

Avec une difficulté manifeste, Kohga se releva et se saisit de son discours. Le sable et l’humidité avaient piqueté et grignoté le papier tels les miasmes sur un tranche-vent à l’abandon et rendu illisible l’écriture déjà brouillonne du chef des Yigas. Aussi eut-il le plus grand mal à recommencer son discours.

— Nous sommes réunis en ce lieu pour rendre un dernier hommage à Suppa Satori, fils de Lady Kurayami, officier et bras droit du Grand Kohga. Un bras droit, un chef, un subordonné, un collègue, et par-dessus tout… Un ami. Puissent les Trois d’Or t’offrir un futur lumineux. Ce n’est qu’un au revoir et non pas un adieu.

Sans savoir ce qui le poussait à le faire, Kohga se pencha, ramassa une poignée de sable humide et l’emballa dans ce qui avait un jour dû ressembler à un discours officiel. Il ne devait pas oublier.

"""Si vous vous posez la question, non, ce n'est pas normal d'avoir des visions même pour un Yiga. Enfin, ce n'est pas comme si Kohga s'en souciait, mais... La suite devrait être plus joyeuse."""

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