Pour la énième fois, Yüka banda son arc et tira. Comme à chaque fois, deux flèches de bois sombre à empennage rouge fusèrent, volèrent sur quelques mètres, avant de retomber. Quelle ne fut pas la surprise de la jeune Yiga quand un petit « Aïe ! » retentit. C’était une voix masculine, chaude et assez aiguë, avec un petit accent Hylien. Yüka regarda autour d’elle, mais ne vit personne.

La jeune archère sortit une banane de son sac, l’ouvrit et commença à la savourer à petites bouchées pour tromper son ennui. Quand elle eut fini, elle jeta la peau par-dessus le bord de la falaise.

— Beuh ! fit la voix.

En se penchant, Yüka distingua la silhouette frêle d’un jeune Hylien. Il était de taille moyenne, blond, et ne semblait pas avoir plus de vingt ans. Sans qu’elle sache pourquoi, Yüka eut l’étrange impression de l’avoir déjà vu quelque part.

Puis le regard de Yüka croisa les yeux bleus de l’inconnu, et ce n’est qu’à ce moment qu’elle comprit. Il était plus jeune que Yüka ne l’avait imaginé, et il n’avait pas la carrure d’un héros. Mais c’était bien lui. Le héros Link.

Yüka aurait pu l’éliminer tout de suite, mais il y avait chez ce jeune homme quelque chose de doux et rassurant, quelque chose d’inoffensif, qui lui inspirait confiance. Même si elle l’avait voulu, elle n’aurait pas pu se résigner à le tuer. Aussi Yüka se contenta-t-elle de donner l’alerte. L’adolescente porta les mains à sa bouche et en tira un curieux sifflement, puis se téléporta au repaire. Entendant le signal, toutes les sentinelles Yigas postées le long du chemin firent de même. Les choses sérieuses pouvaient commencer.

La mise en scène débuta quand Aimy, camouflée près de l’entrée du repaire, vit entrer le jeune Hylien.

— Le Prodige Hylien a infiltré le repaire ! Attrapez-le ! O kaheeba tsunaku hinuta !

Malheureusement pour le Clan, Link ne parlait pas un mot d’Ancien Sheikah et n’avait rien compris à la dernière phrase du message d’alerte. S’il en avait été autrement, il aurait su qu’Aimy venait d’ordonner à tous les membres du Clan de faire comme s’ils ne le voyaient pas. S’il en avait été autrement, alors la fin de ce livre en aurait été bien différente.

Le jeune homme commença par monter sur l’estrade de la grande salle. Puis il décida, au grand déplaisir d’Aimy, de se servir généreusement dans les maigres réserves du Clan, détruisant sacs et tonneaux à grands coups d’épée. Il n’avait honte de rien, songea Aimy.

Quand il eut inspecté chaque centimètre carré de la grande Salle, Link s’engagea dans les escaliers qui menaient au reste du repaire. Il s’avança vers le cachot, sans se douter un instant que la soldate gerudo qui y était enfermée était en réalité une Yiga déguisée. La jeune femme lui baratina quelques informations sur le Clan et sur le masque du tonnerre, pour la plupart sans intérêt et marquées d’un faux accent à couper au couteau. Link continua son chemin et arriva face à la porte que gardait un officier massif et large d’épaules. Un simple régime de bananes suffit à éloigner le garde le temps que Link se faufile derrière lui. Aimy retint un juron. Ça, ce n’était pas prévu !

Au bout du couloir se trouvait une échelle, que le Prodige Hylien gravit à toute vitesse pour se retrouver dans le couloir qui surplombait la salle d’entraînement des sous-fifres. Il découvrit au bout du couloir la réserve personnelle de bananes du Grand Kohga, dans laquelle il se servit généreusement. Enfin, il traversa la salle d’entraînement, sous le regard attentif des officiers qui faisaient mine de ne pas le voir.

Après avoir passé une autre porte, il se retrouva dans la salle d’entraînement des officiers. En un éclair, il rejoignit l’échelle au bout de la pièce et gagna le chemin de ronde suspendu. Le jeune homme, plus agile qu’un chat, traversa le chemin de planches et de toile jusqu’à la chambre du Grand Kohga. Le chef des Yigas avait fait convertir cette ancienne réserve en chambre digne d’une auberge cinq étoiles dans laquelle il logeait en compagnie de la capitaine Aimy. Grâce à une sorte d’aimant intégré à sa tablette Sheikah, il fit pivoter un pan de mur, ouvrant la voie vers l’arène.

La main devant le visage pour se protéger de la poussière soulevée par le vent, Link s’approcha de l’abîme, quand un bruit bizarre déchira le silence chaud et sec de l’arène.

— Hééé !

Dans un « Pouf ! » aussi magistral qu’enfumé, le chef des Yigas apparut à quelques mètres à la droite du Héros et se lança dans un monologue préalablement improvisé spécialement pour l’occasion.

— T’es qui, toi ?! Qu’est-ce que tu fiches ici ?! C’est là où je fais ma sieste, alors du vent !!!

Puis, avisant la tablette Sheikah à la ceinture du Héros, il lâcha un « HEIN ?! » sonore et commença à frotter son masque à la hauteur de ses yeux.

— Ce truc, accroché à ta ceinture… Me dis pas que c’est la tablette Sheikah ?! C’est bien elle, hein ?! Aaaaah ! Mais alors, dans ce cas…

Le chef des Yigas eut un geste d’humeur, puis partit d’un rire machiavélique.

— … c’est TOI, Link ? Le minus qu’on cherche partout ?! Mwahahahaha ! Quelle veine !!! Notre proie est venue se jeter dans la gueule du loup… Mais quel abruti tu fais !

Ce n’est qu’alors qu’il se rendit compte que Link, amnésique, ne le connaissait pas.

— Oh, mais attends, quel manque de savoir-vivre ! Je ne me suis même pas présenté !

Il croisa les bras d’un air désinvolte.

— Je suis… le chef suprême du gang des Yigas…

Kohga grimaça en prononçant ces trois derniers mots, qu’il exécrait plus que tout, puis il partit dans une petite danse grotesque, tendant ses mains jointes vers le ciel, à droite, à gauche, puis au-dessus de lui.

— Le beau ! Le puissant ! Le seul et l’unique ! Le Grand Kohga !!! Prépare-toi à mourir !!!

Il s’éloigna en tournoyant et invoqua une sphère rocheuse au-dessus de lui mais, alors qu’il s’apprêtait à la lancer, mais Link lui décocha une flèche qui passa à quelques centimètres de son visage. Un instant, le chef des Yigas relâcha son emprise sur la sphère. Mal lui en prit, car cette dernière lui tomba dessus, l’enfonçant tête la première dans le sable, jusqu’à la taille, à la merci de Link. L’Hylien en profita pour copieusement garnir de coups d’épée son arrière-train rebondi. Il réessaya, mais le deuxième essai se solda par un échec encore plus cuisant et douloureux que le premier.

Pris d’une soudaine inspiration, le chef des Yigas sauta au-dessus de l’abîme et se mit à flotter au-dessus, avant d’invoquer deux boules de roche supplémentaires. Il se prépara à les lancer, les fit tournoyer autour de lui, mais une autre flèche vit le distraire alors que l’une des énormes pierres passait au-dessus de sa tête. Le Grand Kohga perdit l’équilibre, mais se rattrapa juste avant de tomber dans l’abîme et culbuta vers le sol, où il atterrit cul par-dessus tête dans la poussière. Sitôt relevé, le chef des Yigas entra dans une spectaculaire et pathétique crise de colère.

Au-dessus du Grand Kohga, dans une petite explosion enfumée, apparut une gigantesque sphère de métal couverte de pics. Avant que le Yiga ne se rende compte de quoi que ce soit, Link avait saisi la sphère métallique avec sa tablette Sheikah et la retourna à l’envoyeur, qui tomba à terre.

— C’est impossible que t’arrives à me tenir tête… haleta le Grand Kohga, qui avait miraculeusement réussi à atterrir sur ses jambes. T’es qu’un minus !!! Si tu crois que je vais laisser passer un tel affront !!!

Le Yiga rondouillard prit une grande inspiration et sembla presque calme l’espace d’un instant.

— Grr… Grr !!! Faut pas que je laisse la colère prendre le dessus… Tu me tapes vraiment sur le système… Il est pas question que tu continues à m’humilier comme ça !

Son visage s’éclaira sous son masque.

— J’ai une idée ! ricana-t-il. Hihihi… Mwahahahahaha !!! Les choses sérieuses vont commencer ! Tu m’obliges à utiliser l’arcane secret de mon Clan… Tu vas payer ! J’aurai ta peauuu !!!

Il joignit les mains devant sa poitrine et sembla se concentrer. Dans un « Pof » magistral, une boule de métal apparut, au moins trois fois plus grosse que la précédente, et tomba au sol entre Link et Kohga, qui se mit à rire.

— Mwahahaha !!! T’as jamais vu un truc aussi énorme, pas vrai ?! Je te vois même plus ! Peu importe… Puisque… tu vas disparaître !!! Seul le chef du Clan… peut utiliser cet arcane… suprême…

Quand la boule se mit à rouler vers lui, il paniqua et fit une série de petits bonds ridicules. La sphère continua à rouler et le poussa dans l’abîme.

— Lâche, lâââche ! hurla-t-il alors qu’il chutait vers les profondeurs de l’abîme. Je m’en souviendraiii !!! Les p’tits jeunes ! Je vous confie l’avenir de notre claaan !!!

Puis il y eut un grand fracas, et Link ramassa le Masque du Tonnerre tombé au sol.

Le Grand Kohga était mort. Mort et déshonoré. Le héros Hylien avait gagné.

"""Pauvre Yüka, elle s'en souviendra longtemps. Et vous n'êtes pas prêts pour la suite. Sinon, quelqu'un dans la salle sait à quoi ressemble un accent Hylien ? Pas moi, en tous cas."""