Chapitre 55 Sauvetage
Yüka grimaça. Au lieu d’attaquer un laboratoire scientifique ou un petit village Sheikah, l’équipe chargée de l’obtention des montgolfières avait donné l’assaut sur la citadelle d’Elimith où, selon les dires, se trouvait un laboratoire secret. Bien entendu, l’endroit était gardé par tout un bataillon de l’armée Hylienne et trois Yigas avaient été pris en otage. Ne souhaitant pas que tout dérape à nouveau, elle s’était portée volontaire pour aller les secourir.
Maintenant, Yüka regrettait. Il faisait frais, l’air était chargé d’humidité, l’orage menaçait et, alors qu’elle s’avançait vers la citadelle, elle craignait de devoir blesser ou tuer ses ennemis. Non pas qu’elle appréhendait l’échec. Yüka n’était pas très bonne au combat en corps-à-corps, mais elle était agile, intelligente, douée pour la magie et tirait à l’arc comme personne. Mais Yüka n’aimait pas à faire couler le sang.
Contrairement aux Yigas, combattre et tuer ne lui procurait aucun plaisir. Elle ne comprenait pas l’inquiétante satisfaction de la commandante Mara à incendier des villages Hyliens, ni même le sourire fier qui se dessinait à chaque bataille sur le visage d’Aimy.
Enfin, l’ombre de la citadelle se dessina au loin. Yüka regarda autour d’elle. Rien. L’attaque pouvait commencer.
« Grouîîk ! »
Yüka sursauta. Elle regarda autour d’elle, à gauche, à droite, avant de se rendre compte que ce couinement suspect venait de son ventre. Quelques fagots de bois plus tard, une sublime brochette de champignons grillait au-dessus d’un feu de camp. Yüka, qui avait retiré son masque et détaché sa chevelure couleur de lune, se chauffait les mains au coin du feu.
— Sheikah en approche ! hurla le guetteur, un Hylien filiforme dont la tignasse brune évoquait une brosse à récurer. Sheikah en approche !
— Déjà ? s’étonna le capitaine. Ça m’étonne du professeur Faras. D’habitude, il n’est pas fichu d’arriver à l’heure, alors avec deux jours d’avance… Montre voir !
Le guetteur lui tendit sa longue-vue et le capitaine constata par lui-même la présence de la tache blanche que formait la chevelure d’un ou une Sheikah.
— Qu’est-ce qui se passe ici ?
La commandante n’aimait pas les Sheikahs. Elle se méfiait de leurs connaissances, de leur technologie, de leur magie. Elle les jalousait aussi secrètement, car elle n’avait pas hérité des pouvoirs magiques de son père Sheikah.
Déçue, rejetée par la communauté de Cocorico, elle mettait sur le compte de la génétique ses yeux rouge sang et la mèche blanche qui courait le long de sa chevelure blonde. Elle s’était revendiquée pleinement Hylienne et avait gravi les échelons de l’armée royale plus vite que n’importe quel guerrier.
— Rien, répondit le capitaine. Un Sheikah qui a dû se perdre.
— Ici ?
— C’est quoi ce grabuge ?
Une nouvelle fois, le capitaine et le guetteur se retournèrent, pour faire face à dame Impa.
— Rien, répéta le capitaine. Un Sheikah qui a dû se perdre.
Impa balaya la plaine du regard.
— Ça ? s’étonna-t-elle en pointant du doigt le point blanc au loin. C’est pas un Sheikah ! Ah, je sais pas ce que c’est, mais c’est pas un Sheikah. Passez-moi cette longue-vue, commandante.
Impa prit la lorgnette et observa longuement le point blanc.
— Yiga, déclara-t-elle nonchalamment. Envoyez quelques hommes.
Yüka finit à la hâte sa brochette de champignons, enfila sa combinaison et son masque, ramassa son arc et se remit en route. Elle n’avait pas fait quinze pas qu’un petit bruit la fit se retourner. Derrière elle, maladroitement cachés dans un buisson, trois chevaliers Hyliens se préparaient à la cueillir. Elle reprit sa route en faisant mine de ne pas les voir mais, quand ils s’approchèrent à la queue leu leu, Yüka pivota sur elle-même et faucha le premier chevalier, qui s’écrasa sur les deux autres. Le temps qu’ils se relèvent, elle avait disparu.
Une corne retentit et une bonne vingtaine de soldats Hyliens descendirent dans la citadelle. Yüka se précipita sur la petite armée, prête à en découdre.
Perché sur les hauteurs de la citadelle, le capitaine observait. Il ne craignait pas les Yigas, mais celle qui venait d’assommer la moitié de ses hommes n’était pas une adversaire à prendre à la légère. Prêt à la défier en duel, il tira son espadon de garde royal.
Enfin, Yüka atteignit le haut de la citadelle. Face à elle, sur fond de soleil couchant, sa cape flottant dans la brise, un Hylien d’âge mûr lui faisait face.
Il était grand et massif, avec les cheveux bruns et une barbe volumineuse de la même teinte. L’une de ses oreilles était sectionnée à la base tandis que l’autre, longue et pointue, soutenait une large brochette d’anneaux dorés. La cicatrice qui courait de son œil gauche vers le coin de sa bouche lui donnait l’air endurci. Un instant, le temps sembla comme suspendu.
Et puis Yüka ouvrit les hostilités en fondant bille en tête sur l’adversaire. Celui-ci s’écarta précipitamment, mais la serpe de Yüka lui avait lacéré les côtes. Il gémit de douleur et abattit son espadon droit devant lui. Le bouclier de la Yiga tomba au sol, tranché net. Yüka frémit. Battant l’air de son arme, le capitaine s’avança à grands pas sans réussir à toucher la jeune femme qui, plus vive que l’éclair, venait de lui entailler le dos.
Elle était trop rapide, mais il pouvait l’avoir par la ruse. Aussi l’Hylien se plaça-t ’il à quelques pas du précipice qui bordait le chemin de ronde en prévoyant de s’écarter dès qu’elle fondrait sur lui, la précipitant dans le vide. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que Yüka allait empoigner son bouclier et le forcer à faire face au précipice. Un magistral coup de pied dans l’arrière-train le fit tomber par-dessus bord. Surpris, il eut à peine le temps d’ouvrir sa paravoile.
Yüka partit d’un grand rire, un rire aigu et un peu forcé. Puis elle se mit en route. Le projet Abîme n’attendait pas.
Enfin, Yüka vit de la lumière au loin, puis distingua un petit bâtiment creusé à même la pierre grise de la citadelle. Yüka défonça la porte et entra dans le bâtiment. Quelle ne fut pas sa surprise quand, au lieu des cellules froides et humides qu’elle s’attendait à y trouver, elle déboucha sur une petite pièce claire éclairée par quelques bougies. Un bol de soupe reposait sur une table de bois et deux lits occupaient une alcôve à sa gauche. Au fond de la pièce, une Sheikah d’un âge avancé affrontait une Hylienne athlétique.
Yüka fut surprise de constater que, malgré son grand âge et son air rabougri, la vieille femme se battait comme une lionne. Elle bloquait habilement les coups avec un court sabre Sheikah et exécutait de sa main libre diverses techniques de magie dont Yüka n’avait jamais entendu parler. La Sheikah était rapide, mais désavantagée par sa petite taille. Face à une adversaire deux fois plus grande qu’elle et qui n’avait pas le tiers de son âge, elle ne pouvait pas tenir.
« Clink! »
Le sabre de la Sheikah s’envola avec un bruit métallique, frôla la joue de Yüka en arrachant un morceau de son masque et se ficha dans le sol derrière elle. Ni une ni deux, l’Hylienne plaqua l’aînée contre le mur, son épée contre sa gorge.
— Alors, dame Impa ? Vous ne voulez toujours pas me dire où vous les retenez ?
— Non !
— Vous savez pourtant, poursuivit l’Hylienne, que l’armée d’Hyrule vous verserait une belle prime pour la capture de trois Yigas… Ou alors dois-je vous exécuter pour trahison ? Vous êtes de leur côté, n’est-ce pas ?
En même temps qu’elle disait cela, elle pressa légèrement sa lame contre le cou d’Impa. Une gouttelette de sang rouge vif perla sur le bord de l’épée. Impa gémit.
— Lâchez-moi, espèce de…
Elle ne put pas finir sa phrase. Son adversaire sembla soulevée dans les airs, puis s’écrasa contre le mur du fond en un magistral vol plané.
Complètement sonnée, Impa ouvrit les yeux. Dans l’encadrement de la porte se tenait une jeune femme vêtue de rouge. Impa frémit à la vue du symbole qui se détachait sur son masque blanc.
— Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?
L’autre épousseta sa manche d’un air indifférent, puis s’avança vers la vieille femme.
— Vous n’avez rien ? Qui êtes-vous ?
— Impa, doyenne de Cocorico et magistrate adjointe du royaume d’Hyrule.
— Eh ben ! Le moins qu’on puisse dire, c’est que vous m’en devez une !
Impa eut une moue mi-amusée, mi-exaspérée, qui disparut pour laisser place à un sourire de façade caractéristique des Sheikahs.
— Et à qui ai-je l’honneur ?
Yüka se demanda un instant si elle devait donner son nom à une parfaite inconnue, Sheikah qui plus est.
— Euh… Hylda Lorulei. Du… hem… village d’Elimith. Oui, oui c’est ça, Hylda Lorelei du village d’Elimith !
Impa sembla méfiante, mais ne dit rien, et quand Yüka vit partir le coup, il était déjà trop tard. Elle n’eut pas le temps de porter la main à son visage qu’Impa, vive comme l’éclair, avait saisi son masque.
— Mais… Yüka ? Tout le monde te croyait morte depuis quatorze ans ! Ah ben ça alors !
Tandis que le visage de la jeune femme virait au rouge Yiga, Impa jeta un coup d’œil méprisant vers les piles de papiers qui moisissaient sur la table de bois.
— Ah, au Fléau toutes ces paperasseries ! Tu as raison, je t’en dois une ! Je t’invite au village pour la nuit.
Mi-flattée, mi-agacée, Yüka tenta de décliner poliment l’invitation.
— Ah, mais… c’est-à-dire que… enfin… je ne sais pas si…
Impa, loin de comprendre que Yüka refusait par honneur et par loyauté à son nouveau Clan, crut qu’elle avait peur de déranger.
— Mais non, ne t’inquiète pas, ça ne me dérange pas du tout ! As-tu quelques parchemins avec toi ?
L’air las, Yüka lui tendit une poignée de parchemins de magie Yiga. La petite vieille les observa comme si elle craignait qu’ils n’explosent, les inspecta sous toutes les coutures, puis les projeta en l’air.
Impa exécuta une suite de mouvements de mains totalement étrangers à Yüka en marmonnant ce qui semblait être le nom de ces positions de mains. Instantanément, Yüka sentit le sol se dérober sous elle. Un tourbillon de lueurs rougeâtres tournoyait autour d’elle et, l’espace d’un instant, Yüka eut l’impression de flotter la tête en bas.
Quand ses pieds touchèrent le sol, Yüka était nauséeuse. Il lui semblait qu’elle avait laissé son estomac à la citadelle d’Elimith. Autour d’elle, il y avait quelques maisons en bois, des potagers, une ou deux échoppes, une auberge, des arbres en fleurs, en de l’herbe fraîche sous ses pieds. Un âne broutait dans un pré et quelques Sheikahs se promenaient sur les allées de terre battue. C’était la quatrième fois que Yüka visitait le village de Cocorico, capitale des Sheikahs. Elle y était venue deux fois avec ses parents pour le marché, alors âgée de cinq ou six ans, puis seule et de nuit pour une « élimination » un an plus tôt.
Ce n’est qu’à ce moment que Yüka se rendit compte qu’elle portait encore son uniforme rouge de Yiga. Elle se tourna vers Impa, dont le regard brun-rouge se posa successivement sur sa tenue, sa sacoche de cuir sombre, son arc et la serpe qui pendait à sa ceinture.
— Hem hem ! Tu ne peux pas y aller comme ça !
Sur ce, elle saisit la manche de Yüka et la tira dans une petite boutique de vêtements et se mit à fouiller les sacs et les armoires.
— Alors…
Impa lui choisit finalement un kimono de toile beige typiquement Sheikah, un chapeau de paille conique évoquant le couvercle d’un panier à linge, des collants et une paire de sandales infâmes. Yüka y ajouta une large besace de toile et un voile de tissu qui dissimulait son visage. Elle glissa sa serpe dans son sac, tira le voile sur son visage, attacha son arc dans son dos, posa un rubis sur le comptoir et se dirigea vers la place du village, Impa sur les talons.
Une table de bois avait été dressée sur la place, avec toutes sortes de mets alléchants. Après la chaumière de ses parents, la forêt de Firone, l’étang des amoureux puis le repaire en pleine famine, Yüka ne put pas résister à ce banquet. À peine Impa avait-elle crié à un jeune Sheikah à l’air renfrogné de mettre un couvert de plus que Yüka s’était attablée et avait commencé à se servir généreusement.
Puis tous passèrent à table. Par malheur, Yüka avait été placée à droite du jeune homme acariâtre. Il était un peu plus grand qu’elle, plus jeune aussi. Sans doute était-il âgé de moins de vingt ans.
— Mais au fait, Yüka… demanda un Sheikah d’une bonne quarantaine d’années. Où vis-tu ?
Yüka hésita. Bon accueil ou non, elle ne savait pas si ces étranges Sheikahs étaient dignes de confiance.
— Euh… je… je vis avec… des amis… près des hauteurs Gerudo.
Elle crut un instant que les habitants de Cocorico avaient gobé cette excuse minable à la noix Mojo, mais deux gamins se mirent à ricaner au bout de la table.
— Ouais ouais, c’est ça ! Ben moi je parie que tu t’es trouvé un p’tit copain et que…
— Non ! le coupa Yüka, si véhémentement qu’un torrent de rires se déclara.
Le jeune Sheikah acariâtre, dont Yüka savait maintenant qu’il s’appelait Akim, lui lança un regard oblique et méfiant.
— Eh bien moi, je sais où vit notre chère Yüka.
Par réflexe, Yüka fourra la main dans sa sacoche. Sa précieuse serpe, cadeau du Grand Kohga en personne, n’y était plus.
Un éclair d’argent scintilla entre les mains d’Akim. Malgré elle, Yüka se dit que ce garçon discret et habile aurait fait un excellent sous-fifre. Akim leva l’arme au-dessus de sa tête, et un frisson saisit l’assemblée.
— Tu es une…
Yüka acquiesça.
— Oui.
— Et tu es là pour ?
Yüka hésita.
— Récupérer trois imprudents qui ont été capturés.
— Quoi ? s’étrangla une Sheikah à la chevelure noire. Et qui te dit qu’on va te les rendre ?! Moi je suis contre, hein ! Qui est l’imbécile qui lui a dit ça ?
— Moi.
C’était Impa.
— Mais, dame Impa, bégaya Akim. Pourquoi ?
— Parce que, sans une Yiga arrivée pile au bon moment, je serais morte à l’heure qu’il est, égorgée par la commandante Opheya, expliqua Impa en rendant sa serpe à la jeune femme. Je t’en dois une, Yüka, et…
Un fracas métallique noya ces paroles. Akim avait tenté d’attaquer Yüka par-derrière. Cette dernière avait paré le coup en se servant de sa serpe pour dévier son sabre, qui s’était planté dans le sol.
Yüka bondit sur Akim et engagea le combat. Elle fut surprise de trouver chez ce frêle jeune homme, Sheikah qui plus est, une résistance digne d’un jeune sous-fifre entraîné. Il ne se battait pas aussi bien qu’un guerrier Yiga, mais il était rapide et ne manquait pas d’audace. Il fallut cinq bonnes minutes à Yüka pour le mettre à terre. La lame de sa serpe contre la gorge du Sheikah, le visage fier, Yüka sourit.
— Tu te bats bien, pour un Sheikah. Si tu devais changer de camp, je t’accueillerais à bras ouverts.
Akim ricana.
— Jamais de la vie !
"""Eh bien je vous présente Akim. Retenez ce nom, il est important pour... pour... pour rien en fait, mais c'est un perso que j'aime beaucoup. Il était sensé s'appeler Toma (comme tomate, vous savez, les noms Sheikahs...) mais j'ai changé pour Akim au dernier moment. Cherchez pas, ça n'a rien à voir avec les fruits. Ça ressemble un peu à Akébie, mais je m'en rends compte seulement maintenant."""
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