Chapitre 61 Sheikahs
— Alors ? demanda Mara. C’est quoi vot’projet ?
Pour la cinquième fois, Aimy répéta le plan de l’opération « Royaume Yiga ».
— On est obligés de d’mander d’l’aide aux Sheikahs ? J’aime pas les Sheikahs !
Yüka, comme Liouda, eut une petite grimace.
— Oui. Les Sheikahs et les Yigas ont des ancêtres communs, et leur technologie serait le complément idéal de la magie Yiga pour explorer les profondeurs.
— S’ils veulent bien nous aider, et j’y crois pas trop !
— Moi non plus, appuya Liouda. Mais il faut bien essayer…
Sur ce, la petite équipe composée de Mara, Liouda, Aimy, Yüka et du Conseiller Tom se téléporta vers le village de Cocorico.
Ils n’avaient pas fait dix pas dans l’allée qu’un jeune homme Sheikah fonça dans leur direction.
— Yüka ! cria-t-il en prenant dans ses bras.
Il la fit tourner et lui sourit amicalement.
— Une connaissance, Yüka ? demanda Liouda, méfiante.
Yüka détourna le regard. Son visage avait pris la teinte cerise de ses yeux.
— Oui… un… ami. Un ami.
Devant l’air perplexe des siens, elle ajouta :
— Pendant, euh… mon expédition de sauvetage.
Akim sourit, puis se baissa en une révérence aussi pompeuse que maladroite.
— Enchanté, mesdames et messieurs, mon nom est Akim de Cocorico.
Son ton était sérieux, mais il souriait non sans malice. Sitôt que Yüka se fut éloignée, Mara se tourna vers Aimy.
— Un ami, et pis quoi encore ? Ces deux-là sont comme cul et ch’mise, ça s’voit ! Moi j’aime pas trop ça…
Aimy acquiesça.
— Ils ne font de mal à personne, mais je les ferai garder à l’œil. Les conflits de loyauté en ont emporté plus d’un…
Une seconde plus tard, Yüka et Akim étaient de retour, accompagnés de deux Sheikahs en armes et d’une femme d’une vingtaine d’années dont les lunettes reposaient sur son gros chignon blanc.
— Vous cherchez quelque chose ? demanda-t-elle, son regard évitant soigneusement l’œil rouge des masques des Yigas. Dame Impa est occupée.
— Je ne cherche pas Impa, annonça Aimy. Je dois parler à dame Pru’ha.
— Ça tombe bien, vous l’avez devant vous !
Aimy balaya du regard le petit groupe, mais ne la vit pas.
— Où est-elle ?
— Ici ! lança la jeune femme avec une mimique théâtrale. En face de vous !
Akim serra Yüka dans ses bras, arrachant un petit cri écœuré à la lieutenante Liouda.
— Où est-elle ? demanda Aimy. Vous me faites marcher, vous n’êtes pas Pru’ha ! Dame Pru’ha n’est pas une jeune femme, elle a mon âge !
Celle qui disait être Pru’ha déposa ses lunettes sur le bout de son petit nez pointu et observa attentivement Aimy. Elle s’étonna de ce que la Yiga, qui ne semblait pas avoir plus de trente ou quarante ans, se targuait d’avoir connu l’époque des Gardiens et des Prodiges.
— Ah ben ça alors !
Une seconde plus tard, deux Sheikahs rabougris sortaient d’un bâtiment du village et filaient dans leur direction. Yüka reconnut Impa et retira son masque. Aimy en fit de même.
L’autre, Sheikah également, semblait débraillé et, à en juger par tous les objets indéfinissables accrochés à son kimono de toile d’une propreté douteuse, très désorganisé. On aurait pu penser qu’une bombe à distance Sheikah avait explosé sur sa tête tant ses cheveux blancs étaient ébouriffés. Ses étranges lunettes métalliques couvraient des yeux dont Aimy devinait la couleur rouge vif. Pour couronner le tout, il ne cessait de se balancer d’un pied sur l’autre, ce qui exaspéra profondément Liouda.
Tout en tripotant une vieille pièce de Gardien, l’étrange vieillard se présenta comme étant le professeur Faras. Yüka, comme ses camarades, en fut très étonnée. Tout le monde en Hyrule avait entendu parler de l’éminent professeur Faras, mais elle n’aurait jamais imaginé le scientifique Sheikah comme ça. Malgré elle, Yüka trouva qu’il avait l’air un peu fou.
Impa écarquilla les yeux.
— Lady Aimy ?!
— Dame Impa, sourit Aimy. Eh ben, le temps ne vous a pas gâté ! On remet ça quand vous voulez !
La main sur la garde de son sabre, Impa sourit.
— Une autre fois, peut-être ! Mais dites-moi seulement ce que vous faites ici. Vous vous êtes enfin rangés ?
— Ah ça non, rétorqua Aimy, riant de bon cœur. Moi vivante, jamais !
Yüka ne put que s’étonner de la complicité qui liait la doyenne des Sheikahs et la fière guerrière Yiga.
— Non, reprit Aimy. Yüka et moi avons à nous entretenir avec dame Pru’ha, ainsi que le chef du village.
— C’est pour quoi ?
— Classé top secret.
— Tu ne vas pas faire des mystères, quand même…
Aimy désigna discrètement Faras, qui avait commencé à démonter une vieille pièce de Gardien. L’odeur de métal rouillé leur fit froncer le nez.
— Il n’a pas l’air très… euh…
Impa sourit.
— Alors, allons-y.
Dix minutes plus tard, Impa servait de la tisane d’herbes glagla aux deux invitées. Assise sur un coussin rouge à moitié éventré, Aimy prit la parole.
— Vous l’avez peut-être remarqué, d’étranges précipices cerclés de miasmes sont apparus en plusieurs endroits d’Hyrule. Nous avons découvert l’existence d’un royaume aussi vaste qu’Hyrule dans les sous-sols. Le peuple Yiga projette de le conquérir et de disparaître d’Hyrule.
Pru’ha lui lança un regard qui semblait signifier « Bon débarras », mais Aimy aspira son thé d’un air indifférent.
— Les Sheikahs et les Yigas, reprit-elle, ont des millénaires d’histoire en commun et les mêmes ancêtres.
— Et ? demanda Impa, curieuse.
— Souhaitez-vous vous allier à notre peuple ?
Le regard de Pru’ha passait du visage de Yüka à celui d’Aimy. Elle grimaça quand elle vit les oreilles raccourcies et déchiquetées des deux Yigas. Elle porta d’instinct la main à ses propres oreilles, mais resta silencieuse.
— Souhaitez-vous vous allier à notre peuple et conquérir les profondeurs ?
Impa haussa les sourcils.
— Eh bien, la proposition est tentante, alors…
À ce moment-là, Akim entra dans la pièce et déposa sur la table basse un plateau de biscuits à la banane et aux baies confites. Quand il passa près de Yüka, il claqua deux bises sonores sur les joues de la jeune Yiga. Aimy le regarda faire en silence. Les mots de Mara lui revinrent en mémoire. « Ils sont comme cul et chemise », avait-elle dit. Aimy ne pouvait prétendre le contraire.
Impa se tourna vers sa sœur, puis vers Aimy.
— Je ne sais pas. Pourquoi faites-vous cette proposition aux Sheikahs, que je sais que vous méprisez ?
— Parce que ce ne doit pas être très agréable de rester dans l’ombre et de nettoyer toutes les bêtises des Hyliens. Sheika mika da shei na Hyria. Hyega a na ye giya.
Impa sourit, mais Pru’ha semblait furieuse.
— De l’ancien Sheikah maintenant ?! Nan mais pour qui vous vous prenez ? Dehors !
— Alors, dame Impa ? demanda Aimy sans y prêter attention. Que choisissez-vous ? Préférez-vous vous allier au peuple libre ou moisir dans l’ombre des Hyliens jusqu’à la fin des temps ?
Impa la regarda d’un air désolé. Elle croisa les regards suppliants de Yüka et d’Akim, puis vit la moue dégoûtée de Pru’ha.
— Non, coupa sèchement cette dernière.
— Navrée, Lady Aimy. Je ne peux pas. Cela ne dépend pas de moi.
Le regard triste de la vieille Sheikah semblait dire « Si cela ne tenait qu’à moi, alors… », mais elle ne pipa mot.
— Dans ce cas, au revoir, dame Impa. Je ne peux plus rien pour votre peuple.
Sur ce, elle avala les dernières gorgées de sa tisane, posa sa tasse sur la table et sortit, Yüka sur les talons.
Les deux Yigas eurent la désagréable surprise de ne pas trouver le reste de la petite équipe derrière la porte. Il leur fallut un bon moment pour retrouver tout le monde. Mara s’était assise à la table d’un petit restaurant et semblait avoir desserré les cordons de sa bourse. La table devant elle était couverte de spécialités Sheikahs et des morceaux de mochis gluants collaient à ses manches. Le Conseiller Tom, qui avait acheté une paire de sandales infâmes, discutait avec le professeur Faras. Ce dernier semblait très attentif et intéressé par les profondeurs et l’ancienne technologie Soneau.
Liouda elle-même semblait détendue. Elle papotait avec la forgeronne de Cocorico, qui semblait très intéressée par le tranche-vent de la cheffe des surveillants.
Yüka glissa ses deux index dans sa bouche et poussa un curieux sifflement. Aussitôt, un pouf général enfuma la place du village.
Quand le nuage se dissipa, Impa regarda autour d’elle en toussotant. Aimy et les autres Yigas avaient disparu.
Elle était officiellement son ennemie.
Alors, sans savoir trop pourquoi, Impa se mit à pleurer. Son mouchoir à la main, elle s’écroula au centre de la place du village. Un peu en retrait, une Pru’ha atterrée la regardait faire.
"""La relation entre Impa et Aimy est vraiment singulière. Moins singulier ? Yüka et Akim. Ils sont tellement mignons !"""
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