Chapitre 8 : L'exil du Soleil
Fils cadet du couple Jupiter et Junon, cette divinité était le dieu des Forges, mais également du feu, de l’airain, de l’argent, de l’or et de toutes les matières fusibles. Les Mortels lui attribuaient tous les ouvrages forgés qui passaient pour des merveilles, comme le palais du Soleil, les armes d’Achille, celle d’Enée, le spectre d’Agamemnon, le collier d’Hermione, et autres. A Rome, lors du mois d’août, les citoyens lui construisaient des temples gardés par des chiens, où le lion lui était consacré. Afin de l’honorer, des sacrifices lui étaient offerts, en une crémation totale de la victime dans le feu, sans aucun reste pour le festin sacré. Des fêtes de huit jours suivaient ces cérémonies religieuses, se traduisant par des courses où les concurrents tenaient une torche à la main pendant l’épreuve. Le vaincu devait alors transmettre la sienne au vainqueur. Sous la terre de l’île de Lemnos et du mont Etna, Vulcain commandait aux Cyclopes, et y forgeait, avec eux, la foudre de Jupiter, mais également, les bijoux et autres ornements pour les déesses. Vulcain était vraiment devenu un vrai maître en la matière, ayant perfectionné son art pendant neuf ans au fin fond d’une grotte profonde, se trouvant elle-même dans les abîmes de l’océan, un océan si dense qu’il l’avait dérobé à la vision des Dieux et des Mortels.
Nul ne savait où il s’était trouvé, ce qu’il y avait vraiment réalisé, et pour qui. Une rumeur circulait pourtant sur le monde olympien. Il était raconté que le dieu des Forges avait été exilé, condamné à rester à jamais dissimuler sous la surface océanique et à ne jamais être reconnu de tous. Il n’aurait pu rejoindre l’Olympe que grâce à un stratagème, qui lui avait aussi permis d’obtenir Vénus comme épouse. Unie par la contrainte à un dieu qu’elle n’aimait pas, et non à Mars, la déesse de la Beauté s’était toujours refusée à lui, lui accordant tous les défauts. Pourtant, malgré son apparence disgracieuse, renforcée par une barbe et une chevelure négligées, ainsi que couverte à demi d’un habit ne descendant qu’au-dessus du genou, d’un bonnet rond et pointu sur la tête, il était reconnu de tous les habitants de l’Olympe, pour être le plus laborieux, et le plus industrieux d’entre eux. Pour l’heure, face au défi que son frère lui lançait, Vulcain lui rendit son regard, et refusa de détourner les yeux le premier. Tous pouvaient y lire toute la haine entre les deux frères. Ce duel ne prit fin que quand un nouveau cri retentit, replongeant l’assemblée divine dans l'angoisse. Quand, sans prévenir, une voix, venant d’entrer, rompit les pensées de chaque personne présente dans la salle :
« Alors c'est terminé ? »
Tous se tournèrent alors vers la porte d’entrée d’où la silhouette toujours jeune et sans barbe d’un des plus séduisants dieux se présenta. Sa lyre accrochée à ses côtés, le nouvel arrivant s’avança d’un pas désinvolte, sans vraiment faire attention à son entourage. Sa gracieuse chevelure bouclée à la couleur du soleil, décorée d’une couronne de laurier, de myrte et d’olivier, flottait dans son dos à chacun de ses pas. Son aura solaire respirait autant de miasmes méphitiques que d’un pouvoir de régénération. Ne disait-on pas qu’il était capable de réchauffer la nature, de vivifier tous les êtres, de faire germer, de croitre et fleurir les plantes, mais surtout que sa vertu était un remède à tant de maux ? Une des déesses présentes hurla, faisant peur à la chouette qui se reposait sur son épaule :
« Tu es en retard, Apollon ! Comment en ce jour, tu as pu te permettre d'être en retard ! »
Tournant le visage vers elle, le dieu de la médecine, de la musique, de la poésie, de l’éloquence, des augures et des arts, donc des Muses, ne répondit pas tout de suite. Montrant, comme à son habitude, le dédain sur ses lèvres, gonflant ses narines d’indignation, mais restant d’un calme inaltérable, avec de la douceur dans l’œil, il dévisagea cette femme à la beauté simple, négligée, et modeste. Le casque spartiate en tête, la pique dans sa main, et le bouclier à ses côtés renforçaient son air grave, empreint de noblesse, de force et de majesté. Son observation fut interrompue par une clameur venant de Pan :
« Quoi ! Apollon, tu as été prévenu d'un événement et pas moi... Comment est-ce possible ? »
— Tu as dis quelque chose Pan, répondit le dit Apollon, laissant pantois son comparse, et sans le regarder avant de continuer. Pour répondre à ta question ma chère Minerve, j’étais en conférence avec Hélios. Depuis mon retour d’exil, je suis obligé de composer avec lui, afin de répandre la lumière dans l’univers. Je viens juste de réussir à me mettre d’accord avec lui pour nous organiser.
— Ah oui, ton fameux exil, se rappela Pan. Il a été le plus long que l’Olympe ait connu… Et tout ça, à cause d’une mortelle et de son rejeton. »
En effet, de par son visage d’une rayonnante beauté, son attitude et sa démarche séduisantes, ce fils de Jupiter se faisait aimer facilement des créatures féminines de l’Olympe, comme de la terre des Mortels. Ainsi, il s’était épris de la princesse Coronis, fille de Phlégyas, roi de Béotie. Malheureusement, sa nouvelle compagne ne l’avait pas aimé, autant que lui, l’avait aimée. En réalité, elle avait été amoureuse d’un simple mortel, Ischys, prince d’Arcadie. A cause de sa crainte d’éveiller le courroux divin, si elle refusait ses faveurs, elle avait cédé à la divinité des Arts. Cette romance unilatérale et bancale ne l’avait pas empêchée de suivre son cœur et de tromper Apollon avec l’essence princier. Lors d’un de leurs infidèles ébats, elle avait été surprise par un oiseau blanc. Ce dernier s’était alors envolé pour prévenir le dieu des Arts qui, dans sa colère, transforma le volatile en corbeau au noir plumage, porteur de mauvaises nouvelles et de mauvais présage. Toujours furieux, avec l’aide de Diane, il avait criblé de flèches le couple pour les punir. Désirant ne laisser aucune trace, la divinité à la lyre avait immolé les corps dans un feu ardent. Toutefois, seulement mortellement blessée, Coronis avait repris connaissance avant que les flammes ne l’atteignirent. Dans son dernier souffle, elle lui avait appris être enceinte de lui. Horrifié, Apollon avait usé de ses pouvoirs, et avait fait naître un fils, qu’il nomma Esculape, avant que le feu ne l’emportât. N’ayant plus de mère, cet enfant fut confié au centaure Chiron qui lui enseigna la médecine.
Devenant un homme, Esculape avait excellé dans cette discipline. Il avait alors décidé de voyager à travers le monde connu, afin de soigner les gens qu’ils soient pauvres ou riches. Il était allé jusqu’à accompagner Hercule et Jason dans l’expédition de la Cochide, et à rendre de grands services aux Argonautes qui étaient partis à la conquête de la Toison d’Or, issue d’un mouton qui avait apporté la prospérité au peuple qui l’avait en sa possession. Lors d’une de ses marches, voyant un serpent se diriger vers lui, il avait tendu son bâton noueux dans sa direction. L’animal s’y était enroulé. Le médecin émérite en avait ensuite frappé le sol, et avait tué la bête. A ce moment précis, un second serpent était apparu. Tenant dans sa bouche une herbe mystérieuse, il l’avait donné à son congénère qui revint à la vie. Ce jour-là, la révélation de la vertu médicinale des plantes avait frappé Esculape. Pour s’en souvenir et priant son divin père, il avait obtenu de lui que le serpent ressuscité resta figer à jamais sur son soutien. Son caducée venait de naître. Depuis ce moment, la médecine lui avait été si favorable qu’il avait réussi même à ressusciter les morts. Malheureusement, il avait réalisé ses miracles sans l’assentiment des Dieux, mais surtout sans l’accord de Pluton, le maître du monde souterrain, que les âmes grecques connaissent sous le nom d’Hadès. Sous la menace de voir les Enfers se dépeupler, et le chaos en résulter, Jupiter en avait été si courroucé qu’il avait tué son petit-fils en le foudroyant. Apollon, furieux de cette perte, s’était vengé sur les Cyclopes, défiant indirectement son père. Il les avait percés un à un de ses flèches. Cette vengeance fut regardée comme un attentat qui valut au dieu des Arts d’être chassé de l’Olympe par son divin père.
Exilé, il s’était réfugié chez Admète, roi de Thessalie, dont il avait gardé les troupeaux, embellissant la vie champêtre par ses chants et sa lyre. Il aurait pu y rester encore longtemps si Mercure, pour lui faire une plaisanterie, ne lui avait pas dérobé ses bêtes, l’obligeant à quitter Admète. Désirant alors retourner sur les terres olympiennes sans attendre l’aval du souverain de l’Olympe, il s’était joint à la rébellion de Junon, Minerve et Neptune pour renverser Jupiter. Ayant échoué, le dieu des Dieux avait condamné Apollon à rentrer au service de Laomédon, roi de Troie et père de Priam. Il avait été assigné à lui construire les murailles les plus épaisses et les plus solides du monde. Bénies par ce dieu, personne n’était destinée à les détruire. La divinité des Arts n’avait pas partagé ce sort tout seul. En effet, afin d’expier sa félonie, Neptune avait été obligé de bâtir des digues tout autour de Troie, pour protéger la ville de toute inondation venant de la mer. Aucune eau ne devait depuis envahir les rues troyennes. Toutefois, n’ayant reçu aucun salaire, ou aucun sacrifice du souverain troyen, pour les remercier de leur bénédiction, l’oncle et le neveu avaient puni Laomédon de son ingratitude. Neptune avait détruit son ouvrage en abattant toute la puissance de l’océan sur la ville. Quand à Apollon, il avait fait tomber la peste sur les citoyens.
Sa vengeance accomplie, ce fils de Jupiter avait démarré une nouvelle errance durant laquelle il avait collectionné les amours. Toutefois, ces derniers n’avaient pas tous connu une fin heureuse, contrairement d’avec Clymène dont il eut de nombreux enfants. En effet, la nymphe Daphnée, fille du fleuve Pénée, fut transformée en laurier pour s’être dérobée au dieu. Clytie, se voyant abandonnée pour sa sœur Leucothoé, en fut si mortifiée qu’elle s’était changée en héliotrope. Hyacinthe avait préféré Apollon au vent Zéphyr. Ce dernier en fut si indigné qu’il avait soufflé sur le palais où jouait le couple une forte rafale. Une pierre, délogée de son emplacement, avait alors frappé la jeune femme au front. Malgré les tentatives de son amant, elle n’y avait pas survécu. Accablé par la douleur de sa perte, le fils de Jupiter l’avait transformée en une fleur qui porte depuis lors son nom. Apollon ne sut jamais si la souffrance qu’il avait connu lors de ses relations amoureuses avait joué un rôle, mais son père avait fini par se laisser fléchir.
Jupiter avait ainsi rétabli, au bout de plusieurs siècles d’errance, son rejeton dans tous les droits de sa divinité. Pour honorer la mémoire d’Esculape, il l’avait fait dieu de la Médecine, son bâton surmonté d’un serpent devenant le symbole du voyageur universel, et de l’activité du médecin qui amène sa science secourable à travers le monde. Il était allé jusqu’à créer la constellation que les Mortels appelèrent Le Serpentaire. Toujours pour se faire pardonner, la divinité de la Foudre avait ensuite favorisé les deux fils d’Esculape, Machaon et Podalire, en leur attribuant le trône d’une partie de la Messénie, partie sud-ouest du Péloponnèse en Grèce, d’où ils étaient partis pour participer à la guerre de Troie. Quand à la fille du divin médecin, Hygiée, qu’il avait eu de son union avec Lampétie, fille d’Apollon et de Clymène, elle fut honorée comme une déesse puissante, chargée de veiller sur la santé des êtres vivants, qu’ils soient Hommes ou Animaux. Mystérieusement, elle suggérait aux uns et aux autres le choix le plus approprié concernant l’alimentation, le logis et les remèdes à leurs maux. En d’autre terme, elle personnifiait l’instinct de survie, et la capacité du corps à tout faire pour rester en bonne santé. Par la suite, la maître de l’Olympe avait rendu à Apollon tous ses attributs, et l’avait chargé de seconder Hélios, fils d’Hypérion et de Balisée.
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