Chapitre 11 : Le serment de Diane
Ainsi, Minerve avait encore réussi à battre Neptune, en permettant à Ulysse de déjouer tous les pièges, et de rentrer dans sa patrie. Pour l’heure, elle devait à nouveau lutter contre son oncle pour savoir qui allait baisser les yeux en premier. Malheureusement pour la fille de Jupiter, ce qu’elle espérait ne vint toujours pas. L’angoisse alors naquit en elle, une angoisse qui la poussa à jeter un coup d’œil vers celui qui la défendait toujours, allant jusqu’à se battre contre tous si nécessaire. Quand elle vit son père, complètement indifférent à son sort, et sourd à la menace du dieu des Océans, elle en perdit le sourire, et en resta sans voix. Jupiter préférait plaider sa propre cause auprès de Junon, plutôt que d’accourir à ses côtés pour la protéger, comme l’accoutumée. Se pourrait-il qu’il l’abandonne ? N’allait-il rien faire pour punir l’attaque dont elle faisait l’objet ? Non, impossible. C’était impossible. Refusant d’accepter cette éventualité, et de céder un centimètre à son rival, Minerve le foudroya à nouveau du regard, mais elle perdit de son assurance quand elle tomba sur le même sourire arrogant et suffisant qu’elle affichait plus tôt. Cette fois-ci, ce fut sur le visage de Neptune qu’il s’était dessiné, heureux de voir que l’éternel papa poule préférait la délaisser au profit de la souveraine de l’Olympe. Il se sentit triomphant, et se leva pour la défier de toute sa superbe et de sa stature, une onde dangereuse émanant de son trident. Face à ce danger imminent, Pluton interrompit ce duel silencieux et inutile avant qu’il ne déclenche une énième guerre :
« Ce n'est pas que je m'ennuie, mais l'exploit du petit Himéros m'a rajouté du travail à mon emploi du temps. Les âmes des défunts de Pompéi vont bientôt arriver aux Enfers. Je dois y aller. »
Se tournant vers sa femme Proserpine, il lui demanda :
« Je suppose que tu restes auprès de ta mère, et que tu ne viens pas avec moi.
— Non, mon cher époux, tu le sais bien. Je ne suis aux Enfers, et près de toi, que durant les mois hivernaux. Je remonte vers le ciel à l'entrée du printemps, pour redescendre quand l'automne montre son bout du nez. L'été, je me dois de rester auprès de celle qui me donna le jour. C'est la condition que tu as acceptée pour rester marié avec moi… Le monde serait plongé dans un hiver éternel si je restais auprès de toi, lui rappela-t-elle, désolée pour son mari de devoir gérer les nouveaux arrivants seul. Mon rôle est de guider la Nature, ma mère.
— Bien, alors, au revoir, ma chère épouse, » s’exprima le dieu des Enfers avant de murmurer pour elle seule un je t’aime.
Il se résolut donc à partir. Toutefois, avant de s'en aller définitivement, il fit une halte auprès de Cupidon. Il souffla ces quelques mots à son oreille :
« Je suis heureux que tu ais pu renaître, car Proserpine me rend mon amour de tout son cœur depuis lors. »
Ce compliment réchauffa le cœur du chérubin qui en sourit, alors que son oncle disparut dans une gerbe de flammes noires. Le visage triste de la souveraine des Enfers toucha le cœur de Diane qui ne résista à intervenir à son tour :
« Il me rend bien triste… Et toi aussi, Proserpine, de ne pas vous voir vivre toute l’année ensemble. Six mois sont bien longs pour des êtres qui s’aiment comme vous.
— C’est notre destinée, soupira l’épouse de Pluton avant de se reprendre. Non, je dois être honnête, c’est le prix de nos erreurs. Il nous faut maintenant en subir les conséquences.
— Ça ne me donne pas envie de me marier, informa la déesse de la Chasse, avec un visage dégoûté avant de s’adresser à la déesse de la Beauté. Et encore moins d'avoir des enfants après t'avoir entendue crier lors de ton accouchement, Vénus.
— Ne dis pas ça, Diane. Quand cela t'arrivera, tu comprendras, dit cette dernière, en berçant son nouveau-né dans ses bras.
—Non ! Non ! Vociféra la sœur d’Apollon. Je sais déjà que ce ne sera pas possible. D'ailleurs, je fais le serment, devant vous tous et devant toi Jupiter, que jamais je ne me marierai. Je resterai la Vierge chasseresse.
— Ah Aha Ah! Ria le dieu des Dieux qui était toujours prompt à réagir quand il s’agissait des amours de chacun. Nous verrons bien, ma chère Diane, nous verrons bien.
— Mais c'est déjà tout vu, mon cher Jupiter. D'ailleurs, Cupidon fais moi la promesse d'éloigner de moi tes maudites flèches.
—Euh,…, Diane, moi je veux bien, mais quand je sens qu'il faut que je tire, je tire. C'est plus fort que moi, affirma le concerné, tout penaud.
- Bon, je crois qu'il est temps qu'on arrête de caqueter comme des poules et qu'on laisse Vénus se reposer. Non ? » Affirma Minerve qui profita de cette interruption pour fuir Neptune.
Désireux de mettre un peu plus de distance avec lui, elle s’approcha d’Himénos, endormi, admirant sa beauté. Se plongeant dans les traits fins du nouveau-né, la divinité de la Sagesse resta songeuse quelques instants. Elle ne savait pas pourquoi, mais à la vue du bébé, et contrairement à Diane, elle serait prête à rompre la promesse qu'elle s'était faite de ne jamais se lier à un homme si cela en valait la peine, mais surtout si l'homme en valait la peine. Sa remarque fut entendue par Junon qui ordonna :
« Oui, tu as raison. Allez tout le monde, dehors ! »
Aussitôt dit, aussitôt fait, tous les dieux sortirent, à l'exception de Mars, qui était resté étonnement silencieux depuis son entrée dans la pièce. A la demande son amante, il n’était pas sorti à la suite de Cupidon et de ses compagnons. Quand tous furent partis, Vénus prit un temps pour rassembler ses esprits, puis, elle l’invita à s’asseoir à ses côtés. Quand il fut installé, elle posa sa tête contre son épaule. Elle lui affirma alors l'expression de ses sentiments les plus sincères. Toutefois, s’il souhaitait ne plus la revoir pour la simple raison que cet enfant n'était pas le sien, elle le comprendrait. Elle continua en lui soutenant que si elle avait eu le choix, le père aurait été lui, et personne d'autre. Touché, Mars secoua doucement la tête. Déposant sa main délicatement sur la joue de sa bien-aimée, il lui fit part de sa plus profonde affection, et que jamais il ne pourrait concevoir une vie éternelle sans elle. Il soutenait son geste, car c'était pour leur fils Cupidon. Il affirma avec force qu’il était prêt à aimer le second en retour, même si ce n'était pas le sien. Submergée par l’émotion, Venus pleura de joie. Elle se serra contre son amant en lui avouant que le père d’Himéros ne faisait pas parti de ses connaissances. Elle s'endormit peu après sa confession. Bizarrement, cet aveu détendit Mars. Il esquissa un léger sourire. Au moins, il n'aurait pas à se méfier des mortels qui faisaient parti de ses amis et de ses protégés. Le dieu de la Guerre embrassa chastement ses lèvres avant de se lever délicatement. Puis il prit le nouveau-né pour le déposer dans son berceau. Après lui avoir aussi donné un baiser sur le front, à pas feutré, il s'installa à son tour sur un lit mis à sa disposition, et veilla sur eux. Tout heureux, il ne fit pas attention à ce qui l’entourait. Pourtant, venant de l’extérieur, l'aura néfaste d'un mari, qui n’avait raté aucune des paroles prononcées par le couple, s’élevait de colère.
Pendant ce temps, après s'être salués, tous les Dieux reprirent le chemin de leur demeure, ou reprirent leur activité laissée vacante pendant leur absence. Neptune, prenant Salacie dans ses bras, disparut dans une gerbe d'eau pour rejoindre leur palais sous marin. Il devait préparer leurs affaires, et celles de leurs filles, les nymphes marines, et de leur fils, Triton, avant d'aller rendre visite à la belle-famille. Minerve, Diane et Proserpine partirent tranquillement vers les cascades chatoyantes du mont Olympe, afin de profiter des danses et des chants des Nymphes et des Naïades, un temps de béatitude avant de reprendre leurs obligations. La déesse de la chasse voulait se reposer, avant de repartir vers son char lunaire. En tant que protectrice de la lune, elle avait le devoir de faire lever et coucher cet astre. Cérès et Bacchus parlèrent tranquillement avant de regagner les champs et les vignes. Ils leur incombaient de former les Mortels sur l'art de la Culture et de la vinification. Ils discouraient chemin faisant sur l'organisation éventuelle d'une fête pour célébrer la nouvelle naissance. De son côté, Pan rejoignit les Muses, afin de leur conter l'événement, accompagné par Mercure. Morphée s’était installé sous un arbre, et commençait déjà à somnoler, voire à dormir. Le surplombant, Justitia essayait tant bien que mal de l’intéresser à l'éventualité de faire quelque chose d'autre que de rêvasser. Malheureusement, face au mutisme de son compagnon, elle se résigna et abandonna la lutte. Elle repartit vers son temple, où l’attendaient les demandes de Justice des Mortels. Les Parques reprirent la route vers les Enfers, dans le but d’entretenir le roulement de la roue de la Destiné. Apollon devint Phébus, et monta dans son char de feu tiré par ses chevaux aux crins et aux sabots flamboyants. Il était bientôt l'heure d'aller coucher le soleil. Junon, quant à elle, regardait, en compagnie de Latone, tout ce beau monde quitter son palais en pensant que la journée avait été riche en émotions. Au bout de quelques secondes, elle fut interpellée par Cupidon, arrivé à ses côtés :
« Junon, tu crois vraiment que maintenant, je vais me mettre à grandir ? demanda-t-il doucement, la tête baissée, mais avec de l'espoir dans la voix.
— Je l'espère Cupidon, je l'espère pour toi. répondit la reine des Dieux. Nous verrons le résultat désiré, par la naissance de ton frère, que quand celui-ci aura atteint l'âge de cinq ans. Il est nécessaire que vos deux corps aient développé la même corpulence. Il leur faut rentrer parfaitement en résonance pour que tout se déroule correctement. Mais dis-moi, Cupidon, pourquoi cela te tient-il à cœur de grandir ?
— Et bien.... commença Cupidon. Je suis fatigué de devoir toujours me battre pour qu'on me prenne au sérieux. A cause de mon apparence, on me juge immature, indigne de recevoir et de ressentir une quelconque affection, autre que pour celle d'un enfant. Les Nymphes se rient de moi quand j'essaie de les séduire, ...et c'est encore pire quand ce sont des mortelles, même en leur montrant que je suis un dieu. Ne parlons pas de Minerve. Toutes ne voient que le corps chétif d'un garçonnet, et non mes pensées qui sont celles d'un jeune homme. »
Après une petite pause, avant que Junon ne reprenne la parole, il continua en disant :
« Même si je n'aime pas le reconnaître, je dois avouer que ce que Vulcain m'a dit tout à l'heure n'est pas totalement faux. Certes, je distribue l'amour. Je permets à toutes les créatures de trouver leur partenaire, que ce soit momentanément, ou pour toute la vie. Cependant, je ne connais pas ce réchauffement qui nous prend le cœur quand on est avec l'être aimé, ce sentiment qu'on est prêt à tout, même à donner sa propre vie pour l'être chéri, quitte à déclencher une guerre comme Pâris, ou à braver mille dangers comme Ulysse pour retrouver Pénélope. Il n'a pas tort de l'affirmer.
— Je vois.
— Je voudrai le ressentir au moins une fois dans ma vie, mais surtout de me sentir aussi aimé par quelqu'un de sincère et de fidèle… Et ce n'est pas dans un corps d'un enfant que cela risque d'arriver, soupira sérieusement le dieu de l'Amour.
— Tu le vivras un jour, Cupidon, je te fais confiance pour ça, déclara Eole qui venait d'arriver en s'agenouillant près de lui, et en posant sa main sur son épaule. Tu as toujours atteint tes objectifs. Comme ton père, tu n'abandonnes jamais.
— Et oui ! Je suis le fils du dieu de la Guerre et de la déesse de la Beauté et des Plaisirs ! Ce n'est pas pour rien, se mit à sourire la divinité de l'Amour. Merci Eole. Tu es vraiment un ami. »
Le dieu des Vents allait répondre quand il fut bousculé par quelqu'un. C'était Vulcain qui partait la mine sombre, et semblant vouloir quitter rapidement les lieux. Il interrompit un instant sa course avant de fixer le petit groupe pour de nouveau repartir. Nul ne savait à quoi il pensait, mais cela ne présageait rien de bon. Soufflant, attristé, Cupidon reprit :
« Il me fait quand même de la peine. Son regard avait l'air si triste et sombre. J'aimerai l'aider, car je sens qu'il n'a pas mauvais fond. Malheureusement, je ne sais pas comment.
— Je te reconnais bien là, mon petit Cupidon, déclara Latone avec un sourire. Toujours envie de voir ton entourage heureux, et à vouloir les protéger. Je sens que tu vas devenir un grand dieu quand tu pourras utiliser tout ton potentiel. Tu es notre rayon de soleil.
— Eole et Latone ont raison. Tu vivras tout ce que tu désires. Et puis, tu trouveras ce qui faudra faire avec Vulcain. En attendant, nous ferons attention à lui, et nous l'aiderons le mieux que nous pourrons. Comme tu l'as senti, ce sont la tristesse et l'orgueil, qui guident ses pas pour le moment, affirma Junon, compatissante à la fois pour son propre fils et Cupidon. Tu… Mais que fais-tu Jupiter ? »
Tout le groupe se retourna et pu apercevoir la dite divinité se faufiler en catimini pour éviter le regard de son épouse, afin de sortir sans être vu. Face au visage à peine courroucé de son épouse, le dieu des Dieux balbutia quelques mots, tout en essayant de prendre la poudre d’escampette :
« Et bien, ma chère femme, je...
— Ah non ! Pas encore un de tes mensonges ! Je sais très bien ce que tu veux faire ! Tu veux rejoindre les mortelles pour jouer avec elle ! Ta gueule de bois de ce matin, ne te suffit pas ? Reviens ici, mari indigne ! Vociféra en colère Junon, qui se mit à courir derrière Jupiter, fuyant devant sa furie d'épouse, et laissant le petit groupe pantois.
— Et bien, rien ne change, c'est assez rassurant, fit souligner Eole. Bon, il faut que j'y aille. Depuis que je suis parti, c'est le calme plat sur les Océans. Les bateaux ne peuvent plus se mouvoir. Les enfants commencent aussi à désespérer de ne pas voir leur cerf-volant virevolter dans le ciel. Je vais partir accomplir mes fonctions. Au revoir tout le monde. »
Le dieu des Vents disparut dans un souffle faire ce que son devoir lui commandait. Remontant les escaliers de marbre du palais de Jupiter, Latone salua également Cupidon :
« Je vais y aller aussi, Cupidon. Je vais retourner voir comment se porte ta mère. Bon courage à toi, car je crois que pour certains, l'amour n'attend pas et réclame ton arc, tes flèches et ton carquois.
— Oui, merci Latone. A plus tard. Tu diras au revoir de ma part à mes parents. J'y vais, » répondit le dieu de l'Amour.
Après ses brèves salutations, il déploya ses ailes immaculées, et s'envola en direction de son palais pour prendre ses affaires, et ainsi repartir en mission. En marchant vers la chambre de Vénus pour voir si tout se passait bien, Latone songea à Himéros, et s’interrogea. Son amie l’avait-elle mis au monde juste pour Cupidon, afin de régler son problème de croissance ? Au fond d’elle, l’ancienne amante de Jupiter espérait que Vénus avait également désiré un autre enfant. Grandir, en sachant qu'on n’était qu'un remède à un souci, ne devait pas être très plaisant à vivre. La déesse des naissances se demandait aussi quels étaient les sentiments de Cupidon à ce sujet. Allait-il aimer ce frère, ou trop espérer de lui ? Il fallait avouer qu’il n’était pas chanceux à ce niveau-là. Toutefois, pour le moment, elle jugea que cette question pouvait attendre. Elle poussa doucement la porte, et vit Mars endormi sur le lit d'appoint, pendant que son amante, réveillée, donnait le sein à son nouveau-né. En voyant Latone, la déesse de la Beauté sourit avant de retourner à la contemplation de son enfant. Non, ce n'était pas le moment de casser cette magnifique image de son amie avec son nouveau fils. Et puis, avec ce sourire et ces yeux pétillants d'amour, elle n’avait pas le droit de douter. Cette nouvelle mère ressentait de profonds et sincères sentiments maternels pour son bébé. Tout ce qu'elle espérait était que personne ne se serve des circonstances de cette naissance pour faire souffrir cet enfant, en lui mettant de fausses idées dans la tête. Latone se promit donc d'en parler avec Vénus et Mars, ainsi qu'avec Cupidon. Elle ferma la porte, et se rapprocha du lit pour s'y asseoir, apportant tout son soutien à la nouvelle mère.
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