La fugue

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Visiblement, Eole avait suivi la souveraine de l’Olympe pour en connaître le lieu secret. C’était une nouvelle assez époustouflante à entendre, surtout de la part d’Eole. Son ami était un dieu, certes, très à cheval sur les règles de l’hospitalité, mais depuis Ulysse, il avait du mal à accorder sa confiance aux Mortels. Alors, savoir qu’il accordait presque la jeunesse éternelle à une d’entre eux était assez inimaginable. Comprenant qu’il détenait un secret très précieux, la curiosité de Cupidon ne résista pas. Il se pencha vers le roi des Iles Eoliennes, mais avant même qu’il ne posa sa question, ce dernier le devança en détruisant son maigre espoir :

« Pas la peine de te fatiguer à demander. Je ne te révèlerai pas l’emplacement de la fontaine de Jouvence. Je me suis promis sur le Styx de garder le secret à jamais.

— Pft, souffla Cupidon, en croisant les bras de frustration, avant de réaliser que tous deux s’étaient éloignés du sujet principal. Mais, dis-moi, tu ne serais pas entrain d’essayer de changer de sujet par hasard ?

— Mais non, tenta Eole, rougissant encore un peu plus, et détournant le regard.

— Je vais faire mine de te croire, se mit à sourire taquin le dieu de l’Amour. En tout cas, c’est la preuve.

— La preuve de quoi ? Ca ne prouve rien du tout. Tu rêves, mon pauvre ami.

— Eole, soupira Cupidon, en secouant la tête. Allez, avoue. Je suis sûr que tu fais semblant de ne rien comprendre.

—..., ne voulut pas répondre son camarade, essayant de fuir son regard.

— Tu es amoureux, mon ami ! Tu as eu le coup de foudre ! Cria triomphant le dieu de l'Amour, ne réussissant pas tenir ce suspens plus longtemps. Je suis heureux pour toi !

— Mais non, tu dois te tromper, répliqua le dieu des Vents. Ça n'est pas possible. Je suis incapable d’être amoureux. Regarde mon mariage avec Cyané.

— Ah oui, Cyané, se rappela Cupidon en levant les yeux au ciel. Je l’avais complètement oubliée. Il faut dire qu’avec sa tendance à rester enfermer dans votre palais des îles Eoliennes, elle fait tout pour ça.

— Je ne peux pas te contredire, souffla le gardien des Vents en reconnaissant que ce n’était que vérité. Mon épouse n’aime pas se mélanger aux autres.

— Toutefois, compte-t-elle vraiment, demanda le dieu aux ailes blanches. Tu ne l’aimes pas, et je crois que tu ne l’aimeras jamais.

— J’ai pourtant essayé de l’aimer, avoua Eole, en levant les yeux au ciel pour regarder l’azur du ciel. Oui, j’ai essayé, surtout qu’elle m’a donnée tout de même six fils et six filles… Mais tu as raison, sur un point… Je la respecte, mais je n’ai pas réussi à l’aimer. Elle est comme une amie, une amie proche, mais sans plus.

— D’un côté, ça ne m’étonne pas beaucoup, dit Cupidon. Tu ne l’as épousée que pour rendre ton ascension sur le trône éolien plus légitime, avant que Jupiter ne t’accorde la divinité, et t’accueille sur l’Olympe.

— C’est vrai. Au moins, j’ai donné une chance à mon couple. Je n’ai donc rien à regretter… Toutefois, malgré tout ça, je suis certain de ne pas être fait pour l’amour.

— En es-tu vraiment sûr ? Taquina Cupidon. Dis-moi comment te sens-tu quand tu es avec Iphigénie ?

— ... Je suis rassuré et réconforté, avoua Eole après un temps de réflexion. En fait, comme tu le sais, il m'arrive d'exploser de colère au bout d'un moment à force de vouloir retenir mes émotions… Et bien, il me suffit de la regarder dans les yeux pour me calmer, et de l'entendre chanter pour être transporté vers un monde de rêve. Je veux la combler et la protéger des malheurs de ce monde. Tu ne peux pas savoir les envies de meurtre que j’ai à l’encontre de tous ceux qui lui ont fait du mal. Ce n’est que parce qu’Agamemnon est son père que je ne l’ai pas fait périr dans une tempête. De toute manière, le Destin s’en est chargé pour moi.

— C’est vrai, reconnut l’Amour. Sinon, Iphigénie, existe-t-il encore un fait marquant quand tu es avec elle ?

— Et bien,…, je ne fais plus de cauchemars quand je dors dans la même pièce qu'elle.

— Tu dors avec elle ? Demanda effaré Cupidon. Vous avez déjà...

— Non ! Non ! Que vas-tu encore penser ? Répliqua rouge le maître des souffles terrestres. En fait, je n’ai… Je n’ai jamais… Enfin, avec elle… Je me refuse à la forcer à quoi que ce soit… »

C’est bien la première fois, pensa Cupidon avant de continuer à écouter son ami :

« Parfois, j'ai peur que le fait d'avoir parfois accompagné Jupiter dans ses aventures, t'ai rendu comme lui.

— Ne parle pas de malheur ! Répliqua le chérubin. Sinon, que penses-tu de ce que tu viens de m'avouer ? Et ne me dis pas que ce n'est pas de l'amour, car je n'ai pas besoin de t'apprendre à qui tu parles.

—... Bon, tu as raison... Je suis amoureux. consentit Eole, portant son regard sur Iphigénie. Je ne pensais pas que cela m'arriverai un jour.

— Je suis heureux pour toi. Tout le monde a le droit à l'amour, affirma l’Eros. Je suppose que tu ne lui as pas encore dit.

— Non, car c'est toi qui viens de me faire comprendre mes sentiments, expira Eole.

— Que vas-tu faire maintenant ? Si tu l’as emmenée avec toi, c’est que tu désires la montrer au grand jour. Non ?

— En ce qui concerne Iphigénie, je compte demander la protection de Jupiter et de Junon pour qu'elle puisse rester sur l'Olympe sans risque. Elle ne peut rester cacher en mon palais éternellement. Un jour ou l’autre, sa présence sera découverte.

— C’est une bonne idée, mais elle est mortelle. Un jour, elle rejoindra le royaume de Pluton quand son temps sera écoulé. Tu ne pourras plus donner de l’eau de Jouvence à jamais. Le supporteras-tu ? Que comptes-tu faire pour ça ? S’inquiéta Cupidon. Lui offrir la vie immortelle ? Je ne voudrais pas que tu restes avec quelqu'un dans un amour unilatéral, ou que pour l'obtention de l’immortalité.

— Merci de t'inquiéter pour moi, mon ami, remercia Eole dans un souffle. Je ne sais pas encore. Je voudrai connaître ses sentiments avant de prendre une quelconque décision là-dessus. Pour le moment, j'aimerai qu'elle puisse sortir sans se mettre en danger.

— Je vois… En ce qui concerne ses sentiments, tu n'as pas trop de souci à te faire, fit remarquer Cupidon avec un sourire en coin.

— Que veux-tu dire ? Demanda avec espoir le dieu des Vents.

— Et bien... »

Malheureusement, Cupidon ne put continuer, interrompu par une entrée aussi soudaine que fracassante. Mercure arriva en trombe, toujours dans sa main son caducée. A peine en nage, celui-ci avait tout de même l'air d'avoir couru pendant des heures. Apercevant Cupidon, le messager des Dieux lui cria :

« Cupidon, nous avons un problème !

— Quoi ?

— C'est Himéros ! Tes parents ne le retrouvent pas. Il était sorti se promener avant la cérémonie, et depuis personne ne l'a vu, l’informa Mercure.

— Ce n'est pas possible ! Dit effaré l'Amour. Je pars à sa recherche ! Je te dis à tout à l'heure, Eole, mais je dois y aller !

—Attends ! Cupidon, je t'accompagne ! Affirma son ami.

—Mais, et Iphigénie ? fit remarquer ce dernier en se tournant vers la jeune fille qui voyant l'agitation les rejoignit.

—Je vais la ramener à mon palais, puis je pars à la recherche d’Himéros, lui répondit le dieu des Vents.

—Bien, » consentit Cupidon avec le plus grand des sérieux.

Tout le monde partit donc à la poursuite du jeune garçon. Personne ne savait ce qu'il était advenu de lui. Tout le monde était inquiet, et mettait toute leur force pour le retrouver avant le coucher du soleil. Malheureusement, aucune recherche ne fut fructueuse. Himéros était introuvable. Énervé de ne rien trouver, Cupidon s'arrêta, et décida d’essayer quelque chose. Si Justitia avait raison, un lien devait exister entre son frère et lui. Il n'avait rien à perdre, et tenta sa chance. Il ferma les yeux, et se concentra. Il déploya son aura tout autour de lui, et resta attentif à chaque bruit, à chaque mouvement l'entourant. D'un coup, il ouvrit les yeux et déterminé, s'élança droit devant lui. Il allait si vite que l’Amour ne fit pas attention au décor qui défilait. Une seule chose comptait, c'était de retrouver son frère. Il était si focalisé sur son objectif qu’il ne vit pas une ombre se mettre à le suivre. Au bout d'un moment, le dieu aux ailes immaculées se retrouva devant une grotte et s'y engouffra. Les murs étaient recouvert de diamants, de cristaux, d'émeraudes, de saphirs et de rubis brutes qui auraient fait pâlir tous les joailliers du monde des Hommes. Là encore, cela n'émeut pas le cœur du dieu. Il préférait avancer encore et encore pour finir par arriver à une crypte. Là, il vit une forme repliée sur elle-même, des ailes noires la protégeant. C'était l'enfant à qui on devait fêter ses cinq ans dans quelques heures. C'était Himéros. Cupidon l'appela doucement plusieurs fois, tout en s'approchant de lui. D'un coup, son jeune frère releva son visage vers lui. Portant un regard d'un noir aussi profond que l'abysse des Enfers sur son aîné, il exprimait la plus grande colère, arrêtant la marche de ce dernier. Sans prévenir, Himéros se lança sur lui avec toute sa rage, et essaya de lui porter des coups. Cupidon esquiva tant qu'il pouvait, le suppliant de s'arrêter et de lui expliquer les causes d’une telle réaction. Déjà épuisé par sa mission de la nuit et la recherche, l'Amour commença à se fatiguer, et arriva de moins en moins à éviter la charge de son frère. Dans un dernier effort, il réussit à s’éloigner assez loin pour prendre la parole :

« Arrête Himéros ! Je t'en prie ! Raconte-moi ! Que t'arrive-t-il ?

— ... Tu oses me le demander ! Je sais ce que vous allez faire ! Cria le jeune garçon. Je vous déteste.

— Mais que dis-tu ? Je ne comprends pas ...

— Je sais tout ! Je sais que Mars, maman et toi, vous ne m'aimez pas ! Que dès que vous aurez ce que vous voulez, vous me laisserez tout seul ! Répliqua en colère l’enfant aux sombres ailes, et d’une voix où se mélangeaient la colère et la tristesse, une tristesse que Cupidon ressentit.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Bien sur que nous t'aimons !

— C'est faux ! Je ne suis qu'un remède pour vous ! C'est pourquoi je n'ai pas de père ! » Pleura cette fois son cadet qui, sous la pression de ses pleurs, s'écroula.

Face à cette détresse, Cupidon comprit enfin le fin mot de l’histoire. La souffrance qu’il ressentait lui serra le cœur, comme dans un étau. Ses yeux se remplirent de larmes à son tour. Doucement, il s’approcha de son frère et, sans le toucher, s’agenouilla à ses côtés avant de reprendre la parole d’une voix tremblotante d’émotions :

« ... Je suis désolé, Himéros, s'excusa-t-il. J'ai été égoïste de vouloir grandir sans prendre en compte tes ressentis. Je n’aurai jamais pensé que tu puisses mal le vivre, ou de penser que tu étais né que dans ce but... »

Entendant la sincérité dans la voix de son frère, Himéros releva la tête. Grâce au lien qui existait entre eux, et qu'il avait identifié depuis quelques mois à la différence de Cupidon, il savait qu'il ne mentait pas. Visiblement, il avait hérité du physique de son père biologique, mais également de son intelligence. Le jeune enfant décida finalement d'écouter son aîné. Puis, le voyant essoufflé, tout en se tenant le flanc à cause d’un point de côté, la culpabilité l’envahit. Et tout penaud, il l’entendit confesser tous ses sentiments à son encontre :

« Je suis vraiment désolé… Pardonne-moi… Il faut que tu saches que pour moi, tu n'es pas un remède comme tu peux le penser. Tu es bien plus.

—…

— Je vais t'avouer une chose que je n'ai jamais dite à personne... Je me suis toujours senti seul malgré la présence de maman et papa. Tu connais Mars. Il s’absentait dès qu’une guerre pointait le bout de son nez, comme avec les Spartes qui ont défendu le défilé de Thermopile contre les Perses. Il n'était donc pas souvent là. Les Mortels aiment tant faire la guerre. Son désir de se poser enfin est très récent. Quand à maman, elle était souvent sollicitée par les Dieux, ou les Mortels, pour séduire quelqu'un. Et puis, elle était toujours en recherche de Plaisir, quel qu'ils soient, pour combler le vide de son cœur. Enfin, le fait de garder un corps d'enfant ne fut pas souvent facile à vivre.

— Mais tu as toujours le sourire aux lèvres, l'interrompit Himéros.

— C'est vrai, mais c'était toujours pour cacher ma vraie souffrance. Celle d’être seul. Celle d'être ignoré et moqué par les autres êtres de l'Olympe. A part nos parents, seuls les dieux souverains me considèrent comme une personne à part entière, à m'apprécier pour ce que je suis dans mon cœur. Quant aux autres, ils m'ignoraient, et m'ignorent encore…, et ne parlons pas des femmes, continua à expliquer Cupidon. Regarde comment me traitent Minerve et nos demi-frères. Ta venue est un espoir de ne plus être seul. J'ai toujours désiré un frère avec qui tout partager, qui ne m'abandonnera jamais. Pendant très longtemps, j'ai harcelé maman pour m'accorder ce souhait.

—...

— Si tu ne me crois pas, je vais te prouver que je ne te considère pas comme un remède, le défia-t-il en se relevant. Je suis prêt à renoncer à grandir. Nous allons rester tous les deux ici, jusqu'à ce qu’Apollon fasse coucher le soleil, et ainsi la cérémonie n'aura pas lieu.

— Merci, mon frère, en pleura de reconnaissance Himéros, en entendant ce que ce dernier était prêt à perdre pour lui. Mais maman, elle, elle ne m'aime pas. Elle s’est résolue à me mettre au monde qu’au moment où Justitia lui donna la solution pour te guérir

— Non, ne crois pas ça. Elle t'aime. Je le sais. Une mère aime toujours son enfant. Si tu veux, va lui demander, et parle lui de tes doutes. Et puis, discute aussi avec papa, tu seras surpris, affirma fort Cupidon avant de réfléchir un court instant. Je sais ce qu’on va faire. Je te propose qu'on sorte et qu'on les retrouve pour leur poser directement la question. D’accord ?

— D’accord, » consentit son cadet, décidé à lui faire confiance.

Les deux frères se levèrent, et sortirent de la grotte. Au moment où Cupidon et lui revinrent à la lumière du soleil, un individu sortit de nulle part, et se dressa devant eux. Il arborait un regard noir qui transperça les deux garçons ailés.

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