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La première chose qui me frappa fut le contraste lumineux entre le tunnel et la grotte dans laquelle nous nous trouvions à présent.
En effet, malgré l’abondance de cristaux encastrés dans la pierre, leur éclairage n’était pas suffisant pour donner une impression de clarté. Ici, la luminosité ambiante était assez puissante pour que l’on puisse croire à un après-midi vaguement couvert.
Et pourtant, pensai-je en détaillant le plafond, nous sommes encore sous terre.
Le centre de celui-ci était justement la surface où se concentraient la majorité des cristaux – dont l’éclat me paraissait plus doré que celui du couloir, – les autres étant disséminés çà et là sur le reste des murs.
Quant au reste… Pour être tout à fais honnête, les premières déceptions rencontrées m’avaient plutôt refroidi, et je m’étais préparé à un lieu morne et sans réel intérêt. Aussi, devant la fourmilière qui s’étalait devant moi, devant nous, ma mâchoire se décrocha, assez largement et assez longtemps en tout cas pour que la main de Hana ne vienne se positionner en dessous pour la refermer – assez délicatement, je pouvais le lui concéder.
Cela dit, je pouvais facilement trouver une raison autrement moins noble à ce geste délicat que celle de vouloir ménager mon squelette fragile et sensible : Hana se trouvait actuellement dans le même état d’ahurissement que le mien, contemplant le spectacle qui s’offrait à nous d’un air ébahi.
Nous nous situions à une hauteur mitoyenne du « sol » (il m’était difficile de le décrire ainsi alors que nous même nous trouvions « sous » le sol habituel) et du plafond, ce qui correspondait à un écart d’environ une bonne centaine de pieds entre le haut et le bas.
Est-ce possible d’avoir le vertige sous terre ?
Moi-même, je n’étais pas sujet à la peur du vide, mais la question me turlupinait.
Il faudrait que je me renseigne…
En dessous de nous, je pouvais observer des silhouettes gesticuler en bas, comme des points de couleurs mouvants.
Bon, peut-être un peu plus gros que des points.
Partout, des passerelles reliant diverses extrémités de roche, avec des cordes pendant un peu n’importe où. Quant aux murs… ils étaient percés tous les dix pas ou presque par des trous de la hauteur d’un homme de taille moyenne. Apparemment, cette grotte était la place principale, à laquelle toutes les alcôves mineures étaient reliées.
⸺ Vous… Vous avez mis combien de temps pour construire ça ? m’étranglai-je en englobant le tout d’un geste de la main.
⸺ Qui, nous ? On a pas construit ça, il nous aurait fallu des siècles !
⸺ Dans ce cas, qui…
⸺ Les Nains. De braves types. Ils nous ont légué tout ça avant de disparaître.
⸺ Mais alors… Vous avez rencontré des vrais Nains ? intervint Hana derrière moi.
Notre guide éclata de rire :
⸺ Bien sûr que non ! On a juste eu la chance de tomber sur les vestiges de cette cité souterraine et on l’a réaménagé à notre manière. Et comme leurs créateurs ont disparu depuis maintenant une éternité, on a jamais eu de plaintes à ce sujet. Simple comme bonjour !
Sur ces mots, elle se mit à marcher d’un pas vif, ne nous laissant d’autres choix que de la suivre.
Est-ce qu’on arrêtera un jour de bouger ? gémis-je intérieurement en sentant un pic de douleur transpercer mes côtes.
⸺ Tu nous emmènes où au juste ? lança Hana à la femme devant nous de façon claire et intelligible, sans qu’aucun halètement ne vienne troubler sa respiration (si ç’avait été moi qui parlait, on aurait entendu un sifflement de douleur entre chaque inspiration.).
C’était carrément injuste.
⸺ Voir mes chefs. Il faut qu’ils voient quelque chose.
⸺ Quel rapport avec nous ? l’interrogea Hana, soudainement suspicieuse.
⸺ Vous verrez.
⸺ J’en ai marre d’entendre ça, grommela la jeune fille à mon intention.
*
Après avoir crapahuté le long des passerelles pendant un certain moment, croisant quelques personnes au passage qui saluèrent chaleureusement Samira avant de retourner à leurs occupations sans plus nous prêter attention – ce qui était limite vexant – nous atteignîmes une alcôve peu ou prou semblable à toutes celles que nous avions déjà dépassés.
À la suite de la guerrière, nous pénétrâmes donc dans la « pièce ».
Au centre se trouvait une table de bois sur laquelle étaient éparpillés des pions, des plans et des cartes en tout genre.
Vraisemblablement leur salle de stratégie…
Un grognement se fit entendre. Je jetai un coup d’œil dans la direction dont provenait le son : plongé dans la pénombre, un homme se tenait avachi dans un vieux fauteuil décrépi.
Il était petit, râblé, chauve et mal rasé. Il tenait dans sa main droite un verre sale, duquel s’échappaient des relents d’alcool. Je fronçai le nez.
La caricature du poivrot… pensai-je avant de remarquer son œil vif, perçant malgré la quantité de d’alcool ingurgité que je devinais aux nombreux pichets à ses pieds.
⸺ Encore en train de boire, sale ivrogne ? lui lança Samira en arrivant à son niveau.
⸺ C’est le principe même d’un ivrogne, chéri. Tu nous ramène quoi, cette fois-ci ? demanda-t-il en nous lorgnant du regard.
⸺ Quelque chose qui va faire grandement plaisir à notre chef, déclara-t-elle en me lançant un regard furtif.
Sans trop savoir pourquoi, je rougis. Shayla, Samira et maintenant ce type… J’étais sûr et certain de ne les avoir jamais croisés auparavant, et je ne comprenais absolument pas ce que je pouvais bien avoir de spécial pour qu’ils n’aient cesse de me dévisager.
Je me tournai vers Hana, mais son expression était aussi perplexe que la mienne. Quand nos regards se croisèrent, cependant, ses traits se firent plus inquisiteurs, cherchant dans mon attitude corporelle un signe que je lui cachais quelque chose, que je savais de quoi parlaient les deux Chasseurs de Nuit. Une réponse à ses questions.
Réponse que je ne possédais pas.
Le soûlard expira bruyamment :
⸺ Sam… Je ne suis pas sûr que Kent apprécie.
Celle-ci écarquilla les yeux :
⸺ Tu plaisantes ? Tu l’as bien regardé ? le questionna-t-elle en me pointant du doigt. Ne me dis pas que toi, observateur parmi les observateurs, tu ne l’as pas remarqué. Il va se jeter à mes pieds quand il le verra !
⸺ Se « jeter à tes pieds » n’est peut-être pas le terme exact, corrigea une voix dans notre dos. Toutefois, je pense pouvoir affirmer que, effectivement, la vue de ces jeunes gens me réjouit.
Hana et moi nous retournâmes d’un commun accord, sur nos gardes.
Un groupe d’hommes et de femmes se tenaient là, sortis de nulle part. J’en passai rapidement les membres en revue.
D’abord, une petite femme blonde à la peau claire qui nous détaillaient froidement, l’air prêt à tout. En un mot, une tueuse.
À ses côtés, une dame que je soupçonnai immédiatement d’être apparentée à Samira, tant leur ressemblance était grande
Et un peu à l’écart, un homme pâle comme la mort, presque livide.
Finalement, mes yeux revinrent au centre du groupe pour se river sur le vieillard qui venait de parler.
Le vieil homme – que je subodorais très fortement être ledit Kent au vu de la déférence qui lui était réservée – s’adressa à notre guide d’une voix douce, en attente :
⸺ Samira, est-ce que…
Elle acquiesça imperceptiblement. La tension dans les traits de l’ancêtre se relâcha :
⸺ Excellent, excellent… murmura-il dans un souffle.
Il se mit à faire les cent pas. Au bout de plusieurs poignées de sables, pendant lesquelles aucun d’entre nous n’osa briser le silence installé, il s’arrêta devant celui qui nous avait « accueilli » à notre arrivée :
⸺ Ostrom, Ostrom… Ne t’arrêteras-tu donc jamais de boire ? Nos réserves ne sont pas infinies, tu devrais le savoir.
Il balaya ses excuses d’un revers de la main avant de s’approcher de nous. Nous, c’est-à-dire Hana et moi.
Surtout moi.
Arrivé à ma hauteur, il leva ses deux mains en l’air et agrippa mon crâne entre ses doigts crochus, telles les serres d’un faucon s’emparant de sa proie.
Ma tête encagée entre ses griffes, il me força à me baisser d’une simple pression, disposant mon visage à hauteur du sien.
Pour quelqu’un de son âge, il possède une force étonnante…
⸺ Qui es-tu ?
⸺ Liam Walk.
⸺ D’où viens-tu ?
⸺ Ça vous regarde ?
Sans paraître s’offusquer de ma réponse insolente, il poursuivit son interrogatoire, me posant des dizaines de questions sans intérêts, jusqu’à l’ultime :
⸺ Es-tu digne de confiance ?
⸺ Sincèrement ? Je serais tenté de vous dire non rien que pour voir votre réaction.
Quelqu’un claqua la langue.
Sûrement Samira. Ou Hana.
Je me mordis la langue. Je pouvais sans peine m’imaginer ce que celle-ci me dirait si elle le pouvait :
Bon sang, Liam, c’est pas le moment !
Quelque chose dans la voix du vieillard m’incitait à lui répondre, et ça m’agaçait fortement. Cela dit, ce n’était pas le moment de tout foutre en l’air par une impertinence trop prononcé, et le regard noir que me décocha Hana lorsque je lui jetai un coup d’œil me fit jurer intérieurement de ne plus jamais l’oublier.
Heureusement, Kent ne sembla pas s’en offenser, une fois de plus. Au contraire, il éclata de rire. Je clignai des yeux, abasourdi.
Qu’est-ce qu’il lui prend ?
Une fois calmé, il essuya une larme du coin de l’œil, m’examinant dans un état de malice et de satisfaction conjuguées :
⸺ Je me suis souvent demandé à quoi tu pouvais ressembler, mais j’aurais dû me douter que tu serais son portrait craché, que ce soit par ton physique ou par ton arrogance !
⸺ Pardon ?
⸺ Mis à part cette vilaine cicatrice, évidemment… continua-t-il en tapotant ma joue balafrée, sans prendre en compte un seul instant mon intervention. À part ça, tu es vraiment la copie conforme de ton père au même âge !
⸺ Mon père ?
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