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 ⸺ Hana ? Hana ! Réveille-toi !

Ces mots furent les premiers que j’entendis en me réveillant. Après quelques grains de sables, j’identifiai celle qui les prononçait :

Lola ? Qu’est-ce que…

Comprenant sans-doute que sa seule voix ne suffirait pas à me tirer du lit, celle-ci passa à la phase supérieure. La jeune fille me saisit donc par les épaules et commença à me secouer comme un prunier.

Je grognai, ma voix enrouée par le sommeil. Pourtant, j’avais eu la sensation de m’être réveillée sitôt après avoir fermé les yeux.

⸺ Raah…

⸺ Allez, du nerf ! Bouge-toi un peu, on n’a pas que ça à faire !

Comme je restai amorphe, ma seule réaction étant de m’émerveiller – quoique le verbe ne soit pas forcément bien choisi – de sa familiarité soudaine avec une fille rencontrée la veille, elle finit par s’impatiente :

⸺ On doit s’entraîner, figure-toi ! Et crois-moi, il est hors de question que tu descendes dans cet état. Alors si on veut bénéficier d’un peu de temps pour pouvoir te rendre plus convenable aux yeux de tous ceux qui n’attendent qu’un prétexte pour te discréditer, il va falloir que tu te lèves !

Sur ces mots, elle m’empoigna le bras pour me relever, récupéra quelques affaires au passage, et nous partîmes en direction des sources chaudes.

*

 Je soupirai, continuant de me masser le poignet. Après quelques tentatives infructueuses, j’étais enfin parvenue à me libérer de la poigne de fer de ma tortionnaire, et ce n’était pas pour me déplaire. Le souvenir des expressions faciales des Chasseurs de Nuit croisés dans les couloirs devant le duo insolite que nous formions ; Lola avançant d’un pas ferme et décidé comme – ce que je supposais être – à son habitude, me tirant par la main comme on emmène un enfant récalcitrant ; était pour moi un douloureux souvenir que je n’évoquerais pas le sourire aux lèvres avant un petit bout de temps.

Quelque-chose comme quelques nombreux Möks.

Enfin, nous arrivâmes aux sources. Des éclats de voix étouffés nous parvinrent au travers de la pierre.

Lola lâcha un juron.

Raísk, Les sources sont occupées ! On est arrivées trop tard, ajouta-t-elle en me foudroyant du regard.

⸺ On peut toujours récupérer un baquet et aller se laver ailleurs, sinon, tentai-je prudemment.

Je n’avais pas été friande de mes ablutions d’hier soir, mais ils avaient eu l’avantage de me débarbouiller un peu ; et s’il y avait bien une chose que je détestais, c’était d’être en retard.

Ce matin était une exception.

Lola m’observa avec de grands yeux effarés. Sans peine, je pouvais m’imaginer ses mots si d’aventure elle ouvrait la bouche.

Ça va pas ?

Je levai les yeux au ciel. Elle plissa les siens, soupçonneuse.

⸺ Comment tu sais, pour les baquets ?

Je reniflai un petit rire : à l’entendre, on aurait pu croire que les baquets d’eau froide était un secret d’initiés.

⸺ Samira nous a fait faire le tour du propriétaire – et accessoirement nous laver là-bas – avant de nous amener avec les autres.

La jeune fille écarquilla les yeux :

⸺ Samira, la Samira ?

Je me grattai distraitement le menton.

⸺ Je suppose, oui. Enfin, ça dépend du nombre de Samira chez les Chasseurs de Nuit, mais…

Lola poussa un sifflement admiratif.

⸺ Eh ben ! Pour une nouvelle, t’as le bras long ! Samira, le fils du chef et Kent qui vous a assez à la bonne pour empêcher les Chasseurs de Nuit de vous écharper…

Kent, nous avoir à la bonne ? Je n’ose même pas imaginer ce que ça doit être d’être dans sa ligne de mire…

⸺ Quand je vais dire aux autres que tu as pu parler avec Samira, ils vont être verts.

⸺ À ce point ?

⸺ Et pas qu’un peu, crois-moi ! confirma-t-elle en riant.

⸺ Jusque-là ? soulevai-je avec suspicion.

L’adolescente opina du chef.

⸺ Mais pourquoi ?

Elle me fixa sans comprendre. Je développai :

⸺ Qu’est-ce qui rend Samira si spéciale ?

Non pas que je n’eusse pas d’idée, mais…

⸺ Et bien, je dirais… Sans-doute parce que Samira n’est rien de moins que notre meilleure combattante. Quand on la voit combattre, on croirait presque qu’elle danse ! À ce qui paraît, elle serait même la seule – avec le Roi-Pêcheur – à avoir vaincu un dragon mature en un contre un, rajouta ma confidente sur le ton de la cachotterie.

J’ouvris grand les yeux. Elle avait vaincu un dragon mature seule ? Je l’avais vu combattre, et je pouvais appuyer la grâce de ses mouvements lorsqu’elle tranchait la carotide d’un homme. Un dragon adulte, en revanche, constituait une autre paire de manche. Sur le coup, j’étais soufflée.

Nous avions donc ici quelqu’un capable d’égaler la fine fleur des dragonniers…

Si tous les gardes – dragons compris – d’Arkën Soa possédaient ne serait-ce qu’un dixième de son prétendu niveau, peut-être aurions-nous pu éviter le massacre… réalisai-je avec aigreur.

Mes sourcils se froncèrent de leur propre chef, incitant mes paupières à se baisser jusqu’à mon invalidité visuelle.

Même dans ce cas-là, ça n’aurait probablement rien changé. Inutile de revenir sur ce qui s’est passé. Les remords ne feront pas revenir les morts… essayai-je de me convaincre.

J’avais beau être consciente de son exactitude, cette vérité me laissait un goût acide sur la langue.

⸺ Tu ne trouves pas qu’ils mettent un temps fou, là-dedans ?

Les paroles de Lola me sortirent de ma torpeur. Je relevai les yeux, me laissant les quelques grains de sables nécessaires à une remise en contexte avant de dire :

⸺ Si, mais que veux-tu qu’on y fasse ?

Sans prendre la peine de me répondre, elle se redressa de toute sa hauteur avant de s’approcher de l’axée aux sources.

⸺ Lola, attends… ! Qu’est-ce que tu fais ?

⸺ J’y vais.

⸺ Quoi ? Ça va pas ?

Elle se retourna vers moi avec une expression féroce :

⸺ Je ne suis pas un satyre ! Mais franchement, on perd du temps, et ce serait vraiment stupide d’être en retard à l’entraînement parce qu’une poignée de Chasseurs font mumuse dans l’eau. On y va, on se nettoie rapidement, et repart propres et en formes pour la journée, énonça-t-elle, adoucie.

Mes émotions durent transparaître ne serait-ce que brièvement sur mon visage, car presque aussitôt le sien se durcit de nouveau :

⸺ Je pensai avoir été claire là-dessus, dit-elle d’une voix glaciale. Dans la vie, il y a faune et satyre. Ce n’est pas parce que je ne suis pas gênée de mon propre corps que j’ai envie de sauter sur ceux des autres. C’est clair ? Je veux juste ne pas finir en retard, alors tu es priée d’accepter l’idée que, oui, je sais me tenir devant des corps dénudés.

Penaude, je la suivis sans autres esclandres.

Les voix se firent de plus en plus fortes et claires à mesure que nous avancions, de même que l’humidité qui se faisait ressentir un peu plus à chaque pas effectué. Je ne savais d’ailleurs pas si les deux éléments étaient liés de quelque façon que ce soit, mais mon courage et ma résolution semblaient inversement proportionnels à notre progression : plus celle-ci augmentait, plus les deux premiers diminuaient.

Je jurai à voix basse en glissant sur l’une des multiples flaques qui jonchaient le sol, me rattrapant de justesse au mur de pierre.

Il y a des jours où l’on regrette de s’être levé…

Enfin, nous atteignîmes ce qui ressemblait à la fin de ce maudit couloir.

⸺ Allez, avance ! m’intima Lola, à côté de moi.

Avant même que je puisse protester, elle m’administra une puissante tape dans le dos pour me faire avancer.

Hélas, mon pied glissa sur la surface polie par l’érosion, et je m’étalai de manière fort peu gracieuse sur la surface rocheuse, face contre terre.

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