Michel II

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Le lendemain, en arrivant au Café de Fleur, Mégane se dirigea vers la table inoccupée de Montvil et s'installa à sa place sur la banquette. Un jeune serveur lui montra du doigt le petit rond doré marqué « réservé », elle haussa les épaules en souriant. Face à son assurance et parce qu'il en voulait à son patron pour des heures sup non payées, il n'insista pas.

Elle déplia son ordinateur et procéda à l'envoi d'un mailing à tous les auteurs de Tradimard dont elle avait récupéré les adresses dans la base de données. Grâce à l'identifiant et au mot de passe communiqués par Carine à son arrivée, elle accédait à tout. Cette vieille entreprise n'avait apparemment aucune idée de l'importance de la sécurité informatique. Elle possédait, à présent, une liste de prospects qui valait de l'or. Appuyant sur « Entrée », elle vit un Michel amusé, tirant la chaise face à elle, surpris de la trouver à la place du vieux.

« Eh bien Mademoiselle Courage, on a eu une promotion ? questionna-t-il.

— Pas exactement, répondit-elle avec espièglerie. Mais je suis très heureuse de vous revoir. Vous aussi, vous avez rendez-vous ?

— Oui, mais pour une fois je suis en avance. Votre stage se passe bien ?

— Il s'est très bien passé, merci.

— Si je peux me permettre, méfiez-vous des petites lignes si Montvil vous propose un contrat. Ne vous laissez pas griser. Lisez avant de vous engager, conseilla-t-il gentiment.

— Aucun danger que je signe chez Tradimard, ils sont finis. D'ailleurs, je me suis permise de vous envoyer un mail pour vous proposer mes services d'agent littéraire. Je sais que vous êtes attaché à cette maison mais les temps changent. Aujourd'hui les éditeurs ne sont plus indispensables. Seuls les imprimeurs et surtout les distributeurs restent cruciaux. Le numérique et les plate-formes d'auto-édition ouvrent de nouveaux horizons aux écrivains. Puis surtout, avec moi, ce sera une commission de cinquante pour cent par livre vendu, ajouta-t-elle ponctuant son dernier argument d'un clin d' œil exagéré.

— Pardon ? Vous m'intéressez ! sursauta-t-il stupéfait.

— Eh bien disons, pour faire simple, que si vous me confiez un mandat pour la promo de votre manuscrit. Je m'occuperai de le rendre disponible en un simple clic sur toutes les plates-formes du e-commerce spécialisées pour sa version numérique. J'ai créé mon site d'auto-édition en partenariat avec plusieurs imprimeurs très réactifs et un grand distributeur pour la version papier. Les librairies, les médiathèques, les particuliers passent leur commande et sont livrés sous quarante-huit heures. Les maisons d'édition sont vouées à disparaître, c'est terminé pour elles.

— Incroyable ! s'extasia Michel.

— Et pour vous ce serait même soixante-dix pour cent, précisa-t-elle. Vous me donneriez un sacré coup de pouce en me faisant confiance. Nous allons lancer des Prix pour valoriser les productions de l'auto-édition, le Goncourt des internautes, un eFémina, un ePulitzer, un prix littéraire des eLecteurs. Vous rentreriez dans l'Histoire en tant que premier grand écrivain reconnu à avoir eu l'audace de tenter l'aventure...


Michel écoutait cette gamine expliquer avec une simplicité effrayante que la vie des auteurs allait enfin changer. Tout un pan de l'économie littéraire allait disparaître à la faveur des progrès technologiques. Cela avait déjà été le cas dans d'autres secteurs. Cette jeune femme représentait l'avenir, la liberté, et encore plus de notoriété.


L'arrivée de Montvil interrompit leur passionnant échange.


« Eh bien, faut pas vous gêner ! gronda-t-il en plantant son regard courroucé dans celui de Mégane. Le succès vous monte à la tête, Mademoiselle !

— C'est que les choses changent Monsieur, rien ne dure toujours. Vous devriez accorder moins d'importance à ce qui en a si peu. Installez-vous à mes côtés sur la banquette, ou en face, il reste une chaise de libre » le provoqua-t-elle souriante.

Il n'avait qu'une envie : la saisir par un bras et la mettre dehors avec un coup de pied aux fesses. Mais il se contint.

« Voyez, mon cher Michel, de quelle façon la nouvelle génération traite ses pairs. Comment allez-vous ? gémit-il en tirant la chaise et s'asseyant à côté de lui.

— Que voulez-vous, c'est la vie Montvil. De plus, cette jeune femme a raison : certaines habitudes doivent changer et parfois cela ne fait pas de mal.

— Vous avez raison ! s'inclina Charles. Aujourd'hui il donnerait raison à Michel sur toute la ligne. Avez-vous terminé votre travail ? Aurai-je la joie et l'honneur de vous lire dès ce soir ?

— Arrêtez de tergiverser, mon contrat arrive à son terme. Nous gagnerons du temps, lança Michel revanchard.

— Mais je sais Michel, je sais, et j'ai de très bonnes nouvelles pour vous. Votre nouveau contrat est prêt, je comptais vous inviter à La Toque d'Or pour fêter ça ! En compagnie de ma nouvelle assistante ici présente. Mon nouveau bras droit, précisa-t-il en appuyant sur les mots. Elle me succédera dans peu de temps car l'heure de la retraite va sonner et je vous laisserai entre de très bonnes mains, mon ami, annonça-t-il grand seigneur.

— Oh là, je vous arrête tout de suite ! s'esclaffa Mégane. Je ne serai ni votre bras droit ni votre bras gauche. Mon stage est terminé !

— C'est la première fois que j'assiste à une amputation aussi rapide, ajouta Michel, hilare.

— Vous disiez vouloir travailler avec moi, s'offusqua Charles. Je n'ai rien inventé : Michel m'en est témoin. Je crois me souvenir que vous m'avez supplié. Alors, réjouissez-vous mon petit : je vous engage !

— Tu m'étonnes ! J'ai fait exploser les ventes de trois bouquins que vous pensiez destiner au pilon. La vérité c'est que vous ne savez plus lancer de nouveaux auteurs. Vous êtes largué Monsieur Montvil. »


Charles se taisait, refusant de comprendre ce qu'elle lui jetait à la figure. Subissant un véritable choc thermique, après le bain bouillant dans le bureau de Gaston et les remerciements prodigués par l'actrice de ses rêves, voilà qu'il prenait un seau d'eau glacée sur la tête. Ses pensées s'affolaient sous son crâne et plus aucun mot ne s'échappait de sa bouche entrouverte.

Michel en profita pour assouvir son désir de vengeance et lui asséna le coup de grâce :

« Pour le contrat, vous négocierez avec mon agent littéraire.

— Ah bon ? réussit à articuler un Montvil en décomposition. Mais qui est-ce ? Je le connais ?

— Elle est devant vous ! » précisa-t-il, désignant Mégane d'un signe élégant de la main.


Ce fut l'électrochoc dans la goutte qui fit déborder le vase ! Le vieux s'effondra, chutant de sa chaise sur le carrelage.

Le jeune serveur paniqué prévint les secours.

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