Nuit des Fauves XIII

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Ils poussèrent un nouveau hurlement, transperçant la nuit, sans cesse repoussés. Impatients, confus, aveuglés par la rage. Leurs attaques étaient innombrables, leurs lourdes armures s'écrasant en vagues successives contre les murs, leurs tranchoirs ravageant le couloir, cherchant le corps de Puck, résolus à lui faire payer son affront.

Mais leurs assauts étaient mis à mal. L'homme bondissait, courait, roulait, les évitant tour à tour, semblant diriger leurs corps loin de lui par des forces invisibles. Comme s'il commandait aux vents, ou a l'espace lui-même, les balayant sur des dizaines de mètres d'un revers de main.

Alors, ils hurlaient, lançant leurs corps contre lui, se heurtant les uns les autres, dans la confusion la plus totale, faisant poussière de la pierre brisée.

Leur colère, sanguinaire, les redressant après chaque heurt, après chaque coup, inexorable armée, avançant, avançant sans cesse.

L’intendant reculait, en continuant pourtant de les tenir à distance, de les entraver dans leur avancée inexorable - de faire de leurs mouvements chaotiques une danse maîtrisée.

Mais, en temps et en heure, le petit homme se trouverait sur le trajet d’une de leurs lames, et il mourrait. Ils le savaient. Ce n'était qu'une question de temps avant que ce petit homme seul ne paie pour avoir tué un des leurs, et pour les avoir privé de leur instant grandiose, promis, mille fois promis.

Déjà il suait, le petit homme, grognant à chaque mouvement sec du bras, alors que ses grands gestes balayaient ses agresseurs, divisant les vagues de leurs corps avec expertise, certes, mais ne les défaisant jamais.

Le petit homme allait mourir. Oui.

Tôt ou tard.

Et ils auraient leur vengeance, disaient les ombres qui emplissaient maintenant les couloirs, épongeant toute lumière, faisant de leur champ de bataille un espace indistinct, traître. Et l'air bouillait, de plus en plus, brume chaude et poisseuse, en éteignant les torches, une par une.

Ils auraient leur Meurtre.

Leur Meurtre.

Et le Poison les sustenterait.

--

Puck Vendrilo Tensil n'avait pas le temps de réfléchir à la provenance de ces étranges hommes en armure - leurs yeux semblaient jaunis et inhumains, et malgré le fait qu’ils semblaient transfigurés par la rage, ils continuaient de se relever sans cesse.

Il suait, à grosses gouttes, mais maîtrisait la situation.

Puisant encore et encore dans la source du monde, les yeux grands ouverts, brûlant en son sein les gouttes du pouvoir. Ses mains guidant les vagues d'une onde invisible et cataclysmique, heurtant les corps contre la pierre avec violence. Sans doute, en d'autre temps, aurait-il trouvé solution plus élégante. D'un geste, il écrasa une silhouette à dix mètres, le corps se crispant, le métal de l'armure pliant sous la force soudaine. D'un autre geste, il repoussa trois autres intrus, les plaquant au sol dans un bruit désagréable de métal et de brisure d'os.

Nécessité faisait loi.

Balayant leurs corps lourds dans cet espace restreint, dans l'espoir vain de les entraver. Mais ils continuaient d'avancer, sans que leurs os se brisent, sans que leurs têtes n'éclatent. Se relevant.

Encore et toujours.

Il ressentait presque une sorte d'émerveillement, remarqua t-il alors qu'une lame lui passa a quelques dizaines de centimètres du buste, pour finir sur la cuirasse d'un autre assaillant.

Étaient-ils des hommes, des barbares aux esprits embrumés par la drogue, berserkers inexorables, ou des monstres faits de chair, ceux qu'il affrontait? Leur résistence surnaturelle semblait trahir la seconde hypothèse.

Il y avait quelque chose de désarmant, dans cette multiplicité de corps, une sorte de beauté insectoïde, horrifique par aspects, certes, mais hypnotique. Le mouvement des corps qui s'entravaient et s'écrasaient et se heurtaient en arythmies saccadées, dans le trop petit couloir. Ces choses, comme mimant l'humain étaient... fascinantrd.

Pour autant, il allait avoir besoin d'aide, très vite.

Les corps s'entrechoquèrent soudain, glissant les uns contre les autres, libérant de la multitude une boule de membres et de fer. Ils se jetèrent sur lui comme à l'unisson, faisant preuve d'une synchronicité jusque là absente de leurs mouvements, l'acier crissant soudain dans leur bond effrayant.

Puck déglutit, sentant son contrôle lui échapper, les lames se rapprocher de lui, armées, prêtes à détacher sa tête de son corps, lancées trop vite, trop précisément.

Ce n'était pas le moment de mourir, décida t-il avec une froideur analytique. Il y aurait bien d'autres occasions, et sans doute de plus séduisantes.

Un grognement lui échappa, alors qu'il projeta son esprit dans un assaut sphérique. Le monde explosa une nouvelle fois, projetant les corps sur les murs en une cacophonie orchestrale de métal et de pierre brisée.

Il les avait repoussés une nouvelle fois.

Puck, haletant, sentit la pression anormale et pourtant familière sur ses veines. Pulsante. Ce qui était en lui, le secret des sourceliers, lui faisait payer ses efforts colossaux.

Pourtant, malgré le choc, comme inchangés, les corps en armure se tortillaient au sol, reprenant pied, lentement, retrouvant dans les débris leurs armes.

D'une main, il écrasa, de l'autre, il renversa. Encore, et encore, et encore.

Mais ses ennemis, inexorables, malgré les os brisés, lentement, se relevaient.

Encore. Et Encore. Mais son corps, son corps à lui, se crispait de fatigue. Maîtrisant sa respiration, il essayait de toutes ses forces d'aspirer toute la source qui restait, autour de lui.

Mais, leurs pas résonnant sur la pierre, Puck n'eut pas besoin de voir les sourires fous qui déformaient leurs visages glabres pour comprendre que tout cela n'était qu'un jeu. Qu'il finirait par se fatiguer bien avant eux. Un d'entre eux, nuque courbée dans un angle macabre, se relevait, s'appuyant sur la pierre avec dans les yeux une lueur immonde et brillante.

Pourtant, il n'avait pas le choix. Il ferma les poings, une fois, puis deux fois, sentant la pression du monde sur tous ses muscles, comme pour faire repartir sa circulation.

Calme, méthodique.

Il vit alors une ombre, se découpant au loin dans les couloirs, qui attira le coin de son œil.

Alors, lorsque dans l'avancée lente et délibérée de ses terribles adversaires, il vit l'opportunité, il réagit avec la vitesse de l'éclair, un sourire sur les lèvres.

Le déroulé de sa main projeta une onde sourde, qui plaqua les corps sur le mur. D'un revers, il en envoya valser trois plusieurs mètres en arrière. Le reste, dans un rugissement bestial, se jetèrent sur lui, leurs lames traçant des arcs de cercle contradictoires, crissant des étincelles qui lui caressèrent le visage alors qu'il esquiva de justesse.

Tombant au sol, il roula, sentant le contrôle lui échapper. Mais le Sergent Baldequin fut rapide, en bondissant sur les trois adversaires que Puck lui avait envoyé. Il plongea sans réfléchir son épée courte dans la gorge du premier, qui roulait encore au sol.

Le second tenta de se relever, furieux, mais le bras gauche du Sergent lui flanqua un coup de bouclier monumental, qui résonna dans tout l'édifice.

Derrière lui surgirent le reste de la garde du Palais, s'extrayant des couloirs petit à petit, visages paniqués mais armés jusqu'aux dents. Kenway, a quelques cinquante mètres, surgissant au fond du couloir, n'eut même pas un instant d'hésitation avant de décocher un carreau au milieu de la mêlée.

La tête acérée de l'ustensile transperça droit le crâne d'un des assaillants, qui tomba au sol en un rugissement terrible, ses mains prises de spasmes se fermant sur son crâne.

Puck se permit un sourire, qu'il ravala vite en voyant trois silhouettes le dépasser par la gauche, se lançant dans les escaliers pratiquement à quatre-pattes, avec une vitesse monstrueuse. Il voulut se relever, mais quelque chose dans sa vision se troubla soudain alors qu'il trébucha, purement et durement.

Le sol le heurta, froid et visqueux.

Cette fois, la force qui le quittait ne lui suffirait pas à éviter le coup qu'il vit arriver. La lame d'un des monstres roula le long du mur, soulevant des étincelles en un bruit acéré. Vers lui. Vers sa tête. Vers sa mort.

Puis un "THUNK" lourd.

Puck, tentant de se redresser à la force de ses bras flagellants, vit l'intrus s'écraser au sol devant lui, s'allongeant au sol dans une position désarticulée.

De son crâne entrouvert seyait la garde d'une épée courte, et seulement dix centimètres de lame. La blessure aurait dû résolument mortelle. Pourtant, le corps continuait d'être travaillé de tressautements de souffrance, tentant de se relever - mais, chose encourageante, il n’y parvenait plus.

Puck tourna un regard surpris vers le couloir, distinguant au travers de la mêlée le corps tendu du Sergent Baldequin, dont les mèches brunes de son catogan mis à mal étaient prises dans la barbe.

Dont le visage était tout entier ouvert, comme la main qu'il avait toujours devant lui. Partagé entre l'inquiétude et la surprise.

N'arrivant pas à croire à son coup miraculeux, le Sergent Baldequin, touchant un homme à vingt mètres dans un couloir bondé avec un lancer catastrophé. Un coup magistral, incongru. Une chance insolente.

Il lui fallut vite retrouver ses esprits, car la bataille faisait rage. Et les corps blessés, lentement, terriblement, continuaient, malgré les trous béants dans leurs gorges, dans leurs crânes, de se relever. Et de crier.

Et, lancés dans une course de bête sauvage, les trois échappés montaient à l'étage.

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