Chapitre 3
Hythlodée s’était remise au travail. Tout en accomplissant les tâches qui lui incombaient, elle pensait qu’elle devait se rendre le soir même le plus discrètement possible dans l’arrière-salle de L’Étoile du Sud, jusqu’à présent épargnée par les services de renseignements intérieurs. La réunion était programmée à 21 heures. Leur groupe s’était peu à peu structuré. La jeune garde, exclusivement composée de femmes, accéderait enfin aux commandes et redresserait le pays. Elles étaient désormais convaincues qu’elles gagneraient les prochaines élections. Les éléphants devraient s’écarter. Hommes ou femmes, ils étaient tous à mettre dans le même sac. Aucun n’avait tenu ses engagements. Il leur fallait renverser le cours du monde. Le groupe reconnaissait que chacun s’était émancipé avec acharnement, à coup de grands discours et de patientes conciliations. Les vieux avaient défriché le terrain, menant une lutte de chaque instant pour relever les troupes meurtries par la colonisation. Après des années d’asservissement, on aurait pu s’attendre à une éducation de masse. Mais le visage de la réalité se révélait grimaçant. Le développement de l’enseignement primaire s’était réalisé sur la base démagogique. On avait seulement tenté de le mettre en conformité avec l'ambition des populations. L’honorable projet s’était résumé à une volonté d’améliorer les « chiffres des statistiques » jugés dégradants. Les problèmes relatifs à l’ouverture de nouvelles classes n’avaient pas été pris au sérieux. Les populations en avaient été réduites à construire elles-mêmes les écoles. Le gouvernement s’était révélé incapable de piloter à bien la formation de maîtres qualifiés et la gestion du matériel indispensable à un enseignement normal. Bon an, mal an, les communautés avaient cherché à tenir bon, mais les résultats parlaient d’eux-mêmes. Certaines ne décrochaient même pas un seul élève admis aux examens. De toute façon, l’investissement scolaire n’était pas rentable. Les compromis réalisés pour l’obtention de ce précieux capital menaient le plus souvent à l’impasse. Pourquoi faire des sacrifices ? Le clientélisme s’appliquait au compte-gouttes laissant de côté de nombreux lauréats des enseignements secondaire et supérieur.
Peu à peu, le mirage s’était volatilisé. L’un après l’autre, les leaders avaient tous cédé aux chants des sirènes. Les dieux s’étaient révélés de simples humains. Leur chute avait des origines diverses, mais universelles et intemporelles : péché de chair, d’orgueil, rêves de pouvoir, folie de l’or. Dans les villages où ils avaient vu le jour, des constructions en dur étaient apparues, attestant aux yeux de tous que l’argent ne s’était pas rendu là où il était attendu. Les salaires, quand ils étaient versés, l’étaient avec des mois de retard. Alors, les hérauts de l’Afrique libre et consciente de sa dignité avaient baissé les bras, déserté leur poste. Les écoles étaient restées abandonnées, le drapeau national effiloché au haut du mât, les claustras ne laissant plus filtrer ni les chants patriotiques ni les répétitions mécaniques des leçons psalmodiées. La désertification intellectuelle régnait, les ombres des enfants noyées dans le sable. L’ancien colonisateur pouvait ricaner. Les hyènes, revêtues de noir, s’étaient faufilées le long des murs en banco et lorgnaient les terres incultes. L’assèchement avait tracé leur chemin. Personne ne payait les impôts et les multinationales poursuivaient leur enrichissement sans que jamais les dividendes ne permettent au peuple de sortir la tête hors de l’eau. Était-ce si compliqué de partager ?
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