Une Chimère

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Phargeh était en pleine chasse quand il le découvrit baignant dans son sang. A travers la forêt et malgré le temps qui était à l’orage, ses sens aiguisés et son odorat surdéveloppé lui avaient permis d’en sentir l’odeur si caractéristique. Il n’y avait qu’elle pour avoir cette saveur métallique. Il l’avait tant de fois goûté, sous toutes ses variantes : le sang humain, le sang des animaux, qu’ils soient herbivores ou carnivores — car oui, il y avait une différence —, le sang des elfes, le sang des orcs et des gobelins. Il avait eu même droit une fois à goûter du sang de dragon et du sang de vampire pure souche. Mais quelle que fut son origine, le sang avait toujours cet arrière-goût métallique. Goût qu’il arrivait à percevoir dans l’air humide en cet instant.

Il avait suivi la piste et s’attendait à trouver le corps d’un orc justement au vu de l’odeur. Il avait été surpris de découvrir un jeune homme à la peau pâle gravement blessé et respirant à peine.

Phargeh retint le monstre assoiffé en lui pour venir en aide au malheureux. Il pourrait toujours chasser plus tard, ce n’était pas comme si c’était vraiment nécessaire. Il n’aimait juste pas avoir cette sensation de besoin non assouvi dans son corps. Mais cela pouvait attendre. Là, l’homme avait besoin de soins où il ne passerait pas la nuit. Pas que cela soit un réel problème pour lui mais il préférait de loin sauver un mourant plutôt que de ramener un mort à la vie. Cela lui drainait beaucoup moins d’énergie.

En effet, Phargeh était depuis quelques décennies un nécromancien accompli. Il avait atteint un niveau de maîtrise de cette magie comme on n’en voyait que rarement. Il ne lui restait plus que se tourner vers les mondes infernaux et les démons mais il n’était pas prêt, il en était même très loin.

Il ramena l’inconnu dans sa modeste demeure, une caverne parmi tant d’autres qu’il avait investie dans les Montagnes Sacrées. Elle était presque invisible et, surtout, difficile d’accès pour quiconque n’ayant pas une habileté surhumaine pour sauter à une dizaine de mètres de hauteur. Maintenant, si un hybride possédant des ailes venait à découvrir sa cachette et osait braver les histoires et les superstitions au sujet des Vénérables vivant dans les montagnes, là il pourrait potentiellement avoir des ennuis. Tout dépendait des compétences de l’hybride en question.

Il inspira profondément alors qu’il ramenait pour la première fois un être vivant et pensant dans son repère, même blessé. Cela pouvait constituer un immense risque pour lui. Mais un visage si jeune et sa présence dans les Montagnes Sacrées dans un tel état démontraient une certaine force et une volonté de survivre. Ou peut-être un certain penchant suicidaire…

Il le saurait bien assez tôt.

Il posa le corps sur sa table de bois brut et ôta les guenilles ensanglantées qui lui servaient de vêtements. Il se figea. Il le savait blessé assez sérieusement mais là … Le corps était parcouru de blessures causées pour certaines par des coups de fouets, d’autres par des lames, lances ou épées, et il était transpercé çà et là par des flèches à la forme particulière qu’il n’avait jamais vues être forgées qu’à un seul endroit : l’armurerie du château de Roktheclt, la capitale de l’Empire du Seigneur Ecarlate. Et sur son bras droit, juste en dessous de l’épaule, le blessé avait un tatouage.

— Tu viens du Conditionnement, murmura Phargeh en glissant trois doigts sur la marque incomplète. Trois gênes. Tu es un orc sans aucun doute mais pour le reste… Quel genre de Chimère es-tu ?

Hélas, il ne pourrait le savoir qu’en examinant son sang de plus près et encore, pas avant son réveil. Mais s’il venait du Conditionnement et qu’il ne l’avait pas terminé — la marque incomplète l’attestait —, cela voulait dire qu’il s’était échappé. En général, cela signifiait la mort pour les Chimères. Elles étaient créées pour devenir des soldats de l’Empire. Si leur entraînement n’était pas terminé, elles constituaient un danger. De ce fait, elles étaient irrémédiablement exécutées. Que le malheureux ait survécu jusque-là était un exploit car, en plus de l’ascension dans les montagnes, il y avait déjà tout le chemin depuis Roktheclt. Il était certes presque mort mais c’était déjà signe d’une forte endurance et d’une certaine résistance. Digne d’un orc.

Phargeh retroussa ses manches et se mit au travail pour le sauver. Il rassembla sur le bord de sa table quelques baumes et onguents nécessaires pour les soins ainsi que du fil et une aiguille pour recoudre la longue entaille qu’il avait au flanc gauche. Tout en s’affairant autour de lui, il nota que les plaies guérissaient plus rapidement que celles d’un être humain normal, ou même d’un orc. Un système régénérateur particulier qu’il ne connaissait que sur deux espèces : les vampires et les loups-garous. Vu qu’il ne ressentait aucune aversion vers cet être blessé, aucune envie de le tuer qui soit viscérale, il devait sans doute avoir lui aussi des gênes vampires. C’était définitivement le gêne préféré de l’Empire… Quand on connaissait le Seigneur Ecarlate, lui-même un Seigneur Vampire, ce n’était pas étonnant.

Mais cet orc-vampire, était-il un Seigneur ou un Vampirion ? Seul le temps pourrait le lui dire. Il espérait clairement pas un Seigneur car sinon, il y aurait irrémédiablement conflit et il ne voulait plus se battre. Il avait déjà bien trop vu et fait. Il ne dégainerait plus son épée. Pas sans une excellente raison.

Il termina les soins et nettoya le matériel qu’il avait utilisé dans de l’eau bouillante avant de s’installer à l’entrée de sa grotte pour observer le soleil se lever. Il avait sorti sa guitare et en joua distraitement alors que le soleil glissait peu à peu ses rayons sur la pierre et puis sur lui, le réchauffant progressivement.

Cela avait été une longue nuit pour sauver ce malheureux et pourtant il ne souhaitait pas dormir. Il n’était pas tranquille. Il était resté depuis si longtemps seul, loin de toute civilisation venant des plaines et des forêts d’en bas, surtout des Chimères. En avoir une chez lui, surtout un semi-orc, il restait malgré tout sur ses gardes. Il ne s’autoriserait pas de repos avant de savoir le fin mot de l’histoire.

Avait-il fait une erreur en le sauvant ? Pour quelle raison son Contionnement n’était pas achevé ? Il n’y avait que deux explications possibles. La première, et la plus appréciable, serait pour insubordination. La seconde, et la plus terrible serait pour sa dangerosité et son côté bestial. C’était probable vu que deux des trois gênes qui le constituaient venaient de deux espèces fortes et belliqueuses. Mais peut-être que le troisième gêne — encore inconnu pour lui — pourrait contrebalancer ces points de caractère. Phargeh l’espérait vraiment. Il ne voudrait pas avoir à ôter à nouveau la vie, surtout après avoir tout fait pour le sauver. Mais s’il s’avérait que la Chimère allongée sur sa table en ce moment n’avait pas suffisamment d’humanité en lui pour se comporter de manière plus ou moins civilisée à son réveil, il serait dans l’obligation de terminer le travail des soldats du Seigneur Ecarlate et de l’exécuter.

— Encore jouer avec la vie et la mort… Vivement que l’Empire tombe et que ces êtres contrenature ne soient plus créés à des fins de conquêtes… Cela n’engendre que chaos et destruction… Il n’y en a déjà eu que trop.

Il continua à jouer avec le soleil et patienta le réveil de son invité pour l’amener chasser avec lui. Ou le tuer. Il verrait bien.

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