Chapitre 1 : L'arrivée du brouillard.
-Nathanaël ! Où est-ce que tu es encore ?
Le jeune homme à la chevelure châtain clair soupira bruyamment en reposant le livre sur l'étagère. Il avait reconnu la voix de son père et comme souvent, il était en train de lire sur son lieu de travail, confortablement installé dans un fauteuil mis à disposition des clients. Oui, malgré cette musique de merde, -alias les chansons de Noël qu'on entendait tous les ans à la même période-, il avait réussi à se concentrer sur sa lecture et à s'évader dans un autre monde fait de vampires et de mystères.
Nathanaël avait la chance de travailler dans une librairie, il en était le gérant car elle appartenait à ses parents. Sa grande sœur, Amy, en gérait une autre et leurs parents, la première qu'ils avaient ouverte, il y avait maintenant de cela, de nombreuses années. En tout, ils possédaient trois librairies familiales et pour le jeune homme qui adorait les livres, c'était un pur bonheur. Il aimait lire, rêver de ces histoires, toucher la couverture d'un livre, détailler la mise en page, analyser les mots, la tonalité, la description des personnages... Il s'imaginait au cœur de l'histoire, vivant toutes sortes d'aventures que la réalité ne lui offrait pas. Oui, il aimait les livres plus que tout, au grand dam de sa famille qui, parfois, ne comprenait pas toujours le temps qu'il pouvait dédier à la lecture.
-Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il en arrivant devant son père.
Son père lui ressemblait beaucoup, en plus grand, en plus âgé et avec des lunettes mais ils avaient tous les deux la même forme de visage, les mêmes cheveux qui commençaient à grisonner pour le plus âgé et les mêmes yeux vert clair.
-Tu étais encore en train de lire, n'est-ce pas ?
Le plus jeune soupira mais ne répondit pas, ce n'était pas la peine.
-Un client était à l'accueil et attendait que quelqu'un vienne, il avait besoin d'un conseil. Heureusement que je suis arrivé à ce moment-là ! Tu as des responsabilités, Nathanaël ! Tu as pratiquement vingt-huit ans, tu n'es plus un gamin ! Tu es le gérant alors comporte-toi comme tel ! s'écria son père d'un ton sévère.
Le jeune homme soupira de nouveau, baissant les yeux, faisant profil bas.
Jingle bells, jingle bells, jingle all the way ! O what fun it is to ride in a one-horse open sleigh.... Il allait finir par tuer cette chanson ! Il s'imaginait en train d'attraper les mots et de les écraser de ses mains encore et encore et encore jusqu'à les broyer complètement et qu'il n'en reste plus que des miettes... Il n'en pouvait plus de l'entendre tous les jours à la librairie !
Enfin, si c'était possible, c'est ce qu'il ferait ! pensa-t-il en levant les yeux au ciel et en rencontrant le regard tueur de son père qui attendait. Hou là ! Profil bas, profil bas !
Il savait après tout, que son père avait raison et il aimait son métier, c'est juste que parfois, quand il n'y avait aucun client, il aimait choisir un livre parmi tous ceux étalés devant ses yeux et qui le tentaient, et alors que la plupart du temps, il pensait seulement les feuilleter, il se retrouvait happé par les mots et par l'histoire. Bien sûr, lorsqu'il lisait un livre, il l'achetait, le livre devait rester neuf pour les futurs clients mais ça ne l'empêchait pas de continuer sa lecture sur son lieu de travail...
-Je m'excuse et tu as raison. Je me suis laissé emporter par le livre et je pensais que Marcus s'occupait des clients.
-Il a pris sa pause cigarette et n'a pas entendu que quelqu'un était entré. Faites attention tous les deux ! dit-il alors que ledit Marcus, jeune homme de vingt-six ans à l'allure un peu négligée avec ses cheveux blonds qu'il ne coiffait pas souvent, venait d'arriver. Ne prenez pas vos pauses en même temps. C'est mon premier et dernier avertissement, sinon je sévirai. On est d'accord ?
Les deux jeunes hommes hochèrent la tête en prenant un air gêné et contrit, rappelant les petits garçons qu'ils avaient été dans le passé et le père, satisfait, partit dans le bureau, sans doute pour vérifier de la paperasse, se dit Nathanaël.
-On a eu chaud aux fesses ! s'exclama Marcus.
-Ouais... Mais il a raison. Notre attitude n'était pas professionnelle. Il faut faire attention à ne pas prendre de pause au même moment pour ne pas laisser seul, un client. Non seulement, c'est irrespectueux mais en plus, si le client était parti sans acheter de livre, ça aurait été de l'argent perdu et on a tous les deux besoin de notre salaire ! Sans compter la responsabilité de bien gérer la librairie familiale qui pèse sur mes épaules...
Marcus ne répondit pas, se contentant de hocher la tête avec un petit sourire montrant qu'il avait compris. Plus le droit à l'erreur pour les deux ! Le reste de la journée se passa dans une ambiance pesante avec le propriétaire des lieux qui choisit de rester jusqu'à la fermeture pour surveiller que tout se passait bien et que les deux jeunes hommes avaient bien compris qu'il ne plaisantait pas.
-Tu dois être content, les fêtes approchent. Après tout, je sais à quel point tu rrraffffoooles de cette période, monsieur NOËL ! s'exclama Marcus sur un ton taquin.
Il savait parfaitement que Nathanaël détestait la période des fêtes, en particulier Noël. Cela remontait à loin, à vrai dire depuis sa plus tendre enfance. Son nom de famille était « Noël », il s'écrivait et se prononçait de la même manière que la fête qui en portait le nom. Cela lui avait valu des moqueries de la part de ses camarades durant pratiquement toute sa scolarité. A tel point qu'une fois majeur, il avait envisagé de changer de nom malgré ses bonnes relations familiales mais lorsque sa mère s'était mise à pleurer en écoutant son fils raconter qu'il voulait se nommer différemment, parce qu'elle voyait cela comme un rejet de ses proches, Nathanaël avait rapidement abandonné cette idée... A présent, il était adulte et le supportait mieux.
-Va chier avec ton pull ridicule ! grommela-t-il en ouvrant la porte d'entrée.
Enfin, la plupart du temps...
Dans son pull vert sur lequel trônaient fièrement en relief, les dessins de boules à paillettes que l'on mettait dans le sapin,-oui rien n'était trop beau pour la période des fêtes-, Marcus éclata de rire et lui envoya un bisou du bout des lèvres.
-Moi aussi, je t'aime, mon petit Noël !
Et sur ces mots qui donnèrent lieu à un joli doigt d'honneur de la part de Nathanaël, il sortit de la librairie pendant que ce dernier fermait la porte. La journée était enfin terminée ! A lui, le chocolat chaud à la cannelle accompagné de ses biscuits préférés ! Il avait bien besoin de réconfort culinaire après cette journée merdique !
Une fois rentré bien au chaud dans sa petite maison qui ne se trouvait qu'à un petit quart d'heure de marche de la librairie, il ne perdit pas de temps pour retirer son bonnet, son écharpe et son manteau pour aller prendre une douche brûlante qui était plus que la bienvenue. Nathanaël n'aimait pas le froid et aujourd'hui, il neigeait. Les températures devaient être en-dessous de zéro degré...
Tout propre, en pantalon de pyjama rayé, t-shirt blanc et chaussettes épaisses de la même couleur, le jeune homme aux yeux verts sirotait son chocolat chaud tant attendu d'où se dégageait une fumée chaleureuse sur son canapé bleu foncé. Un sapin bien décoré trônait dans le salon et la guirlande électrique illuminait de sa douce lumière la pièce aux allures douillettes avec ses fauteuils, son canapé, ses nombreux coussins posés dessus, tous dans des couleurs pastels et bleutées. Nathanaël n'aimait peut-être pas les fêtes de Noël mais bizarrement, il en appréciait les symboles qui le réchauffaient du froid ambiant. Des biscuits en forme d'étoiles et de bonhommes qu'il avait faits lui-même, étaient même posés dans une assiette sur la petite table basse et une musique des années cinquante et début soixante se faisait entendre dans la petite maison. Le jeune homme avait toujours eu un faible pour les vieilles chansons et depuis quelques années, il avait un coup de cœur pour les douces mélodies de cette époque.
Nathanaël avait une âme romantique à son plus grand dam car il voyait cela comme une faiblesse dans une société où l'on prônait la consommation des corps avant celle des âmes. Combien de fois avait-il eu le vain espoir qu'un homme s'intéresse réellement à lui, ne cherchant pas à le mettre dans son lit dès les premiers jours de leur toute nouvelle relation alors qu'ils ne se connaissaient même pas encore vraiment ou même dès les premières heures ? Il avait fini par laisser tomber.
Il se sentait quelquefois si déphasé avec ce monde, qu'il préférait s'en isoler quand il le pouvait à travers ses livres chers à son cœur. Avec les années, ses espoirs de rencontrer un homme fait pour lui, s'étaient ainsi presque évanouis. Cela ne l'empêchait pas de rêvasser... Et c'est justement alors qu'il s'imaginait à la place d'un des personnages de son livre qui reposait sur lui, qu'il s'assoupit.
-Nathanaël...
Hein ? Le jeune homme ouvrit soudainement les yeux, croyant avoir entendu une belle voix grave l'appeler.
-Nathanaël...
Ok... Le bel endormi se réveilla parfaitement et se redressa. En voyant qu'il n'y avait personne dans le salon où il se trouvait et après avoir tendu l'oreille à la recherche de n'importe quel bruit inquiétant, il eut le réflexe de regarder par la fenêtre. Quand est-ce que le brouillard était tombé ? se demanda-t-il en découvrant l'épaisse nappe grise qui avait envahi la cour derrière sa maison. Elle était si épaisse qu'on ne pouvait plus rien distinguer. C'est en pensant cela que le jeune homme vit soudainement une silhouette sombre se dessiner dans la grisaille, faisant écarquiller ses yeux.
-Viens à moi, mon amour. Viens. Maintenant.
En entendant de nouveau cette voix, une sorte de décharge électrique traversa le corps de Nathanaël qui se figea un instant avant de se retourner et de commencer à marcher comme un automate jusqu'à la porte donnant sur la cour. Sans comprendre, l'esprit aussi embrumé qu'au-dehors, il ouvrit la porte qu'il ne referma pas, continuant son chemin sans être étrangement, atteint par le froid. Alors qu'il avançait lentement en chaussettes dans la neige d'où seul le bruit de ses pas se faisait entendre dans le brouillard, englouti par la grisaille, sans voir quoi que ce soit, la silhouette sombre d'où l'on ne distinguait aucun détail, se montra de nouveau à quelques mètres de lui, le faisant se stopper.
-Nathanaël, tu es à moi.
Quoi ?...
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