Chapitre 3
Wil émergea. Il gémit et passa une main sur son front. Il avait l’impression qu’un troupeau de bétail lui avait piétiné dessus.
Il se trouvait dans une des deux cabines du navire. Il était encore courbaturé, mais pas mal en point. Il se leva et sortit. Une fois dans la pièce principale, il aperçut Aquilée et Whélos concentrés. L’étonnement le gagna lorsqu’Aquilée disparut.
— Voilà ! Comme ça, petite ! l’encouragea Whélos. Tu es sur la bonne voie !
Aquilée reparut aussitôt.
— Désolée… Je n’arrive pas encore à tenir plus de quelques secondes.
Whélos lui donna une tape amicale dans le dos.
— Ne t’inquiète pas pour ça. Avec un peu d’entraînement, tu seras capable de tenir plus longtemps. Tu as bien réussi à maîtriser un don de Zmeï ! En moins de quelques heures, tu as déjà compris comment procéder. Il ne fait aucun doute que tu maîtriseras l’invisibilité très vite ! Surtout avec la magie du vent.
— Merci, Whélos, tu es gentil.
— Non, sincère. Tiens, Wil ! Comment te sens-tu, mon garçon ?
— Ça devrait aller… si on évite de remettre le couvert tout de suite, répondit Wil.
— Wil ! s’écria Aquilée. Je suis contente de te voir debout !
— Sérieusement, c’est ça que tu as subi une nuit entière ? s’enquit Wil. Je te plains ! Enfin bref ! Ça te dirait que l’on s’entraîne ensemble avec nos pouvoirs, histoire de comparer nos capacités ?
— Wil, ce n’est pas un jeu, contra Aquilée. On ne peut pas les utiliser à la légère et…
— Ça va, je plaisantais. Enfin, sauf pour la partie entraînement. Si je ne veux pas que ça se retourne contre moi, je ferais mieux de maîtriser ce pouvoir.
Aquilée lui sourit.
— Je t’aiderai volontiers.
— Super ! répondit Wil en lui tapant gentiment l’épaule. Où sont Lya et Karel ?
— Ils sont dehors, informa Whélos. Te sens-tu suffisamment d’attaque pour reprendre la mer ?
— Oui. De toute façon, il est hors de question que nous perdions encore plus de temps. Je récupérerai en chemin. Il faut revenir de toute urgence à notre île.
***
Karel soupira de colère et ses jointures blanchirent sur le bastingage. Il douta. Encore et encore. Avait-il fait une erreur en parlant avec franchise ? Avait-il bien fait de confier à Lya cette douloureuse vérité, avec laquelle il vivait depuis plusieurs années ?
Depuis toujours, il s’était senti éternellement redevable envers cette famille. La sienne, pourtant. Il avait beau les apprécier, il ne se sentait pas « fils de ». Il se figea.
« En fait… je ne sais même pas ce que ça fait... »
Il s’appuya contre le bastingage et regarda le ciel.
« Pourquoi, Maître ? Si je suis censé vous tuer, pourquoi m’avoir formé, pourquoi souhaiter que j’atteigne au moins la moitié de votre niveau ? Pourquoi… m’avez-vous sauvé la vie, ce jour-là ? »
Cette maudite oubliette. Ses blessures qui avaient récidivé plus tard. Si le côté dragon de Serymar lui avait permis de survivre, cela ne l’avait pas empêché d’être mal en point pendant plusieurs jours.
Incapable d’obtenir des réponses, Karel décida d’aller voir les autres. Il désirait par-dessus tout discuter avec Lya, se réconcilier avec elle, mais elle allait certainement le lui refuser pour le moment. Il ne supportait pas de se disputer avec elle.
Ses sombres pensées furent interrompues par l’apparition de Wil sur le pont. Le jeune homme semblait être en pleine forme. Karel le rejoignit et lui fit signe qu’il était heureux de le voir ainsi.
— Je vais mieux, oui. Enfin, je ne suis pas encore prêt à remettre ça tout de suite, pour être honnête. Dis, tu veux bien m’aider à larguer les amarres, s’il te plaît ? Plus vite nous partirons, mieux ce sera.
Karel lui répondit par un signe affirmatif et partit du côté opposé. Au moins, cela l’obligeait à se concentrer sur autre chose.
Une vibration sous ses pieds. Le cœur du navire avait donc été activé et donnait vie au vaisseau. Ce dernier s’éloigna lentement de la côte. Karel vit Wil monter sur le gaillard d’arrière et manœuvrer prudemment entre chaque rocher.
Karel s’approcha du bastingage et regarda l’île d’Hydroshca se réduire à mesure que le bateau s’éloignait de la rive. Un cri le tira de sa rêverie.
— Eh ! lui cria Wil. Est-ce que le circuit d’eau fonctionne ?
Karel se pencha un peu plus pour distinguer le mécanisme vers le bas de la coque. Le trou rejetait de l’eau. Karel envoya le signe affirmatif que Wil lui avait enseigné. Le marin barra le navire. Le jeune homme jeta un œil en direction de Pershkin, invisible depuis leur position.
***
Un rugissement résonna sur plusieurs kilomètres à la ronde. Debout, droite au sommet d’un pic rocheux et cheveux au vent, Phényxia regarda le navire s’éloigner au loin. Elle releva les yeux vers la Tour et aperçut le Dragon Némésis en sortir. Il déploya ses ailes majestueuses et disparut dans le ciel. Une autre malédiction avait été brisée. Parfait.
Elle tourna le dos à la Tour pour pivoter et jeter un regard au loin, tout au sud. Les Monts de la Mort étaient beaucoup trop éloignés pour être vus d’ici, mais cela ne l’empêcha pas de penser à ceux qui s’y cachaient.
« Patience, mon cher bâtard. Une fois les pouvoirs des Dragons dérobés, je reviendrai te faire une petite visite. Je t’humilierai, je te dominerai sous les yeux de ta petite servante avant de la servir à mes garçons ! »
— Phényxia.
Elle se tourna en direction de la voix : un autre membre de son Clan, un démon à l’allure athlétique.
— Notre contractuel te demande audience.
— Entendu. Fais-lui savoir que je le retrouverai à Pershkin.
— Nous n’avons pas confiance en lui, Phényxia. Je suis sûr qu’il veut les pouvoirs draconiques, lui aussi. Il doit attendre le bon moment pour nous les prendre.
Phényxia étira un mauvais sourire.
— J’en suis parfaitement consciente. C’est évident. Mais nous allons le piéger.
— Et comment ? N’oublie pas que c’est lui qui a…
— Je le sais. C’est pourquoi il faut justement nous en débarrasser. De lui et du bâtard des Dragons. Veille aussi à ce que Lockran tienne ses engagements actuels. Nous allons commencer à voyager vers les Monts Onyx pour prendre les devants sur le Clan de la Terre. Juste au cas où.
— Le voyage sera très long. Ils vivent tout à l’extrême opposé de Weylor à partir de notre position.
— Justement. Va. Je vais m’occuper de notre… contractuel.
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