Chapitre 4 - 2
Il descendit les marches et mit de longues minutes pour arriver tout en bas. D’un geste de la main, il envoya plusieurs boules de feu qui embrasèrent les différentes torches accrochées le long des murs sombres, donnant un éclairage inquiétant à la pièce.
Tout au fond, enchaîné au mur, le frère de Syriana, Eryon, le visage rougi par deux jours à rester pendu par les pieds. D’une rotation du poignet, Serymar le libéra et Eryon tomba avec fracas contre le sol dans des gémissements étouffés. Il s’assit avec difficulté. Serymar l’enchaîna par les chevilles au sol par magie.
Cet homme maudit releva le regard vers lui, après avoir pris quelques secondes pour s’habituer à la nouvelle clarté des lieux et attendre que son sang recommence à circuler normalement.
Il était sale, ses joues creusées du manque de nourriture et d’eau. La folie avait saisi son regard. Serymar s’approcha de lui avec un grand calme, plus menaçant que jamais. Le changement en lui dût se sentir, car pour une fois, son prisonnier ne rit pas. Il ne l’observa pas de haut. Il se contentait seulement de soutenir son regard en essayant de dissimuler sa terreur.
Serymar darda son regard flamboyant et perçant sur son prisonnier.
— Dis-moi… quelle impression cela te procure, d’être désormais devenu un objet enchaîné ?
Eryon n’eut pas la force de répondre. Serymar ne se priva pas de savourer cet instant, devenant tout ce qu’il avait toujours renié. Il étira un sourire machiavélique.
— Aujourd’hui, nous allons tenter une expérience. Comme ta secte affectionne : nous allons inverser les rôles. Aujourd’hui, tu seras l’objet de toutes les expériences.
Le visage du jeune homme perdit les dernières couleurs qui lui restaient. La folie anima ses yeux, son corps pris d’une force nouvelle pour essayer de se défaire de ses chaînes.
— Non ! Non ! Par pitié, je ne suivais que les ordres ! Tuez-moi directement !
— Oh, tu ne suivais que les ordres ? se moqua Serymar, glacial.
Comment pouvait-on refuser de réfléchir à ce point ? Comment un homme comme lui, qui avait eu le privilège de naître avec des droits et une éducation, avait pu à ce point rejeter ce cadeau ? Ce luxe que Serymar n’avait jamais eu. Qu’il avait dû aller chercher et acquérir. Constater ce fait ne fit qu’attiser sa haine et son mépris.
Une explosion se fit entendre, suivi d’un bruit d’éclaboussure. Le prisonnier cria de douleur et de terreur. Son hurlement fit trembler les murs en découvrant sa main séparée de son corps, gisant inerte entre ses jambes. Son sang coulait abondamment et Serymar ne fit rien pour l’aider. Il appréciait de voir Eryon agoniser comme lorsqu’il avait été à sa place. Cette fois, les Dragons n’interviendraient pas.
Il saisit soudain son prisonnier à la gorge pour le faire taire, enfonçant sans hésiter ses griffes à l’intérieur de sa peau, arrachant des gémissements de douleur et d’autres traînées de sang.
— Tu vas payer ce choix que tu as fait, l’avertit-il, féroce. Pour m’avoir torturé, pour ta lâcheté, pour avoir assassiné Syriana !
— Je ne pouvais pas accepter qu’elle se soit liée à un démon ! hurla Eryon, furieux.
— Ce n’étaient pas tes affaires !
Le bras d’Eryon explosa dans un autre hurlement glaçant qui envahit le couloir. Ses échos se répétèrent à mesure que Serymar explosait ses os un par un avec une minutie calculée. Eryon appela à la clémence plusieurs fois. Son tortionnaire l’ignora superbement et arriva à l’os de l’épaule.
— Non ! Achevez-moi ! Tuez-moi !
La rage s’empara aussitôt de Serymar.
— JE T’INTERDIS D’UTILISER CES MOTS ! hurla-t-il en lui assenant un violent coup de poing dans la mâchoire qui fit choir sa victime sur le sol.
Un son écœurant entre gargouillement et gémissement se fit entendre. La mâchoire de son prisonnier gisait à terre, brisée. Serymar saisit Eryon à la gorge et le souleva du sol. Ses yeux étincelaient de colère. Un regard de tueur.
— M’avez-vous épargné ces jours où je prononçai ces mots ? Ces jours où je vous quémandai cette SEULE faveur ?! M’avez-vous accordé ce droit ? Tu m’as mortellement ouvert le dos, tu as torturé mon âme, tu m’as brisé, et je devrais avoir pitié de toi ?
Il jeta sa victime contre le mur du fond. Certains os d’Eryon se brisèrent sous le choc avant de rencontrer une énième fois le sol. Il tremblait d’une terreur indescriptible en prenant conscience de sa situation : les places venaient d’être échangées. Il subissait désormais un échantillon des maux infligés à l’hybride pendant de nombreuses années. Les seules choses qui les différenciaient, c’était que Serymar était à la fois très résistant et capable de se régénérer avant que la mort ne l’emporte.
— Alors, qu’est-ce que cela fait, d’être soi-même traité comme un jouet expérimental ? questionna froidement Serymar, confirmant les craintes d’Eryon. De ne plus pouvoir prétendre au rang de… comment cela s’appelle-t-il, déjà ?
Il fit semblant d’y réfléchir, se donnant une fausse attitude nonchalante.
— Ah oui… une personne, acheva-t-il avec une attitude de prédateur.
Seul un grognement plaintif lui répondit. Serymar n’en avait cure : il voulait que cet homme paie pour tout ce qu’il lui avait fait subir. Pour la seule raison qu’il était particulièrement résistant à la mort, ils l’avaient privé de sa dignité, d’éducation, d’expériences de la vie, de joies. Aujourd’hui, ils avaient osé lui arracher son avenir. Ses espoirs. Serymar souhaitait qu’Eryon souffre autant que lui-même.
Fou de rage et de douleur, Serymar plongea sa main dans le ventre de la victime et déchira sa peau. Eryon hurla de plus belle, déversant son sang dans la cellule. Serymar ne le ménagea pas. Saisi d’une folie meurtrière qu’il ne s’était jamais autorisée jusqu’alors, il fit exploser d’autres membres de son prisonnier, un par un, fulminant de colère.
— Tu n’es pas en droit d’utiliser ces mots ! Je vais t’apprendre ce que cela fait, de se faire refuser cette faveur !
Sa mémoire lui rappela toutes les souffrances qu’il avait endurées. Eryon paierait. Cette fois, la créature, c’était lui. Serymar lui explosa une côte dans un autre concert de braillements d’agonie.
— Combien de fois vous ai-je réclamé à mourir ?!
Une seconde côte. Eryon eut du mal à respirer, les traits déformés par la souffrance et la terreur.
— Vous en avez bien profité, de cette semi-immortalité pour tester vos pires ignominies et les pires tortures mentales ! fulmina Serymar.
Ses dernières barrières cédèrent et il exprima toute la violence dont il pouvait être capable. Personne ne viendrait au secours d’Eryon. Comme lui autrefois, à l’intérieur de ce maudit totem. Isolé. Seul. À l’agonie. Il voulait qu’Eryon endure tout ce qu’il avait pu ressentir en cette sombre période.
D’un geste, Serymar déchira le dos de sa victime dont les râles atroces envahirent l’étage entier et lui vrillèrent les oreilles.
— Allons, ce n’est que le début, tempéra cruellement Serymar en se plaçant derrière lui à pas mesurés. Voyons voir… par où avais-tu commencé, déjà ? Il me semble… que c’était ici !
Il planta sa dague dans la colonne vertébrale d’Eryon dont le corps fit un bond extrêmement violent en éructant d’agonie. Un cri provenant du plus profond de ses entrailles.
— Oh, cesse donc de te plaindre, lui susurra Serymar avec une expression cruelle. Si je souhaitais reproduire ce que tu m’as fait, j’aurais fait en sorte d’immobiliser ton corps sur une table. Il y a l’embarras du choix, ici, le sais-tu ?
Eryon essaya de répondre quelque chose, mais son état l’en empêchait. Ivre de colère, Serymar ne réprima plus ses instincts sauvages et sanguinaires, hérités des elfes noirs. Par magie, il explosa chaque muscle de son prisonnier, provoquant un hurlement à chaque fois. Puis Serymar décida de lui refaire face. La folie vengeresse qui s’était emparée de lui le quitta brutalement, le rendant à sa colère et à son désespoir qui le détruisaient depuis deux jours. Sa peine l’envahit. Refusant de se montrer ainsi, il retrouva son masque de tortionnaire vengeur, mais n’y parvint pas. Son cœur lui faisait atrocement mal.
Serymar jeta un regard haineux à Eryon et sa rancœur grandit : lui, au moins, avait l’indécence de s’en sortir en mourant d’un moment à un autre. Cette pensée augmenta drastiquement la souffrance qu’il ressentait déjà, à un point qui lui était impossible à accepter.
— Tu vas payer. Pour toutes les souffrances que tu as causées. Pour avoir empêché Syriana de mener la vie qu’elle souhaitait ! cria-t-il en explosant un des os de son prisonnier.
Il se laissa envahir par les hurlements glaçants d’Eryon. Ses cris envahissaient son esprit et l’empêchaient de réfléchir, et c’était ce dont il avait besoin pour ne pas céder à la folie de la douleur qui le menaçait. Serymar continua de mutiler Eryon, membre après membre. Il voulait évacuer sa colère. Sa peine. Assouvir sa folie avant qu’elle ne prenne possession de lui et ne le fasse errer comme les Dragons maudits.
— Syriana avait fait son choix ! hurla-t-il au milieu des cris d’agonie et de terreur. PERSONNE n’avait à le contester ! Comment as-tu osé lui faire payer son choix de sa vie ?! Peu importe le temps que cela me prendra, mais je vous éliminerai, je vous achèverai jusqu’au DERNIER !
Sa main plongea dans le torse du jeune homme. Ses doigts s’enfoncèrent profondément et détruisirent sans ménagement les côtes restantes qui le gênaient. Sa main se referma sur le cœur qu’il serra et arracha. Un râle lui répondit.
Serymar laissa tomber l’organe. Le silence s’abattit dans toute la pièce. Le vide l’envahit, cruel et implacable. Comme si, soudain, il se réveillait après un long cauchemar. Sauf que ce cauchemar était bel et bien réel.
Il prit un instant pour évaluer l’ampleur des dégâts, refusant de fuir, s’imposant de regarder en face l’expression du plus sombre de son être : de grandes tâches vermeilles recouvraient la majorité des murs sales et imbibaient le sol. Éparpillés çà et là, des morceaux d’entrailles explosés. De nombreux bouts d’os accompagnaient cette scène macabre. À ses pieds, son prisonnier, démembré jusqu’à la tête, deux orbites rouges avaient remplacé ses yeux.
Le sang maculait ses bras et remontaient jusqu’aux coudes. Son visage en était recouvert et quelques mèches de cheveux s’étaient collées entre elles. Il empestait. Serymar se rappela qu’en réalité, il détestait ça. Le peu d’estime de soi qu’il avait gagné auprès de Syriana vola en éclat.
Il avait du mal à se positionner : dire qu’il regrettait de s’être vengé comme une bête sauvage serait hypocrite. Il avait ressenti un plaisir malsain à le torturer d’une des pires façons qui soient, et sa mort ne lui pesait pas sur la conscience. De l’autre, il se dégoûtait : depuis toujours, il avait tout fait pour ne pas ressembler aux elfes noirs. Si eux prenaient plaisir à torturer et à faire agoniser leurs victimes, Serymar s’était toujours imposé de tuer uniquement pour se protéger, et sans faire souffrir inutilement ses victimes. Jusqu’à aujourd’hui.
— Je le jure… cette blessure sera la dernière que vous m’infligerez, souffla-t-il, la gorge douloureuse d’avoir tant crié. Je le jure sur les Dragons.
Tout ce qu’il avait renié lui revint de plein fouet. Quoiqu’il faisait, il le payait dans le sang.
« Était-ce vraiment trop demander, de vivre loin de tous sans plus se mêler au monde ? D’avoir osé désirer ce projet de vie ? »
La déception l’envahit : en s’acharnant sur Eryon, il avait cru que sa douleur en serait soulagée. Ce n’était pas le cas. Sa souffrance était toujours aussi vive. Sa culpabilité non-plus : elle l’étouffait davantage. Serymar aurait dû s’écouter, et non la bonté de Syriana. Son instinct ne l’avait jamais trompé, et s’il l’avait suivi, peut-être que Syriana serait encore en vie. Il l’aurait peut-être perdue, mais au moins serait-elle vivante. Il aurait accepté qu’elle refasse sa vie éventuellement avec quelqu’un d’autre. Il avait échoué à la protéger. Cette culpabilité le menaçait de folie.
Cette dernière devint de plus en plus insupportable lorsque sa mémoire lui fit défiler tous ces merveilleux moments qu’ils avaient passé ensemble, depuis ce fameux soir où leurs sentiments s’étaient déclarés. Son souffle sur sa peau. Sa présence. La chaleur de sa main. Ses magnifiques yeux verts. Il revit tout, dans les moindres détails.
Tremblant de rage, Serymar se téléporta ailleurs, en quête désespérée d’un moyen de se débarrasser de sa douleur qui le torturait de la pire des manières.
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