Chapitre 10 - 1

7 minutes de lecture

Phényxia se délectait de cette ambiance de terreur que sa présence, ainsi que celle de ses acolytes, généraient à Pershkin. C’était si jouissif. Cette place, elle avait travaillé très dur pour la mériter. Elle comptait bien en profiter jusque dans le moindre aspect. Elle jeta un regard aux deux colosses qui l’accompagnaient.

— Montez la garde. Faites en sorte que personne ne vienne nous déranger.

Les démons se postèrent chacun sur un côté et Phényxia pénétra dans le bâtiment délabré. Un rapide coup d’œil lui permit d’identifier un vieil entrepôt rongé par l’humidité et le sel marin. Elle renifla avec mépris de ce manque de respect à son égard.

Un cliquetis désormais caractéristique, suivi d’une démarche légèrement claudicante, se fit entendre. Une lueur rouge sinistre apparut sur une silhouette de haute taille.

— Eh bien, je fus bien mieux accueillie chez le Bâtard des Dragons, soupira-t-elle avec mépris. Auriez-vous oublié mon rang, cher contractuel ?

Elle croisa les bras, comme si cela l’affectait plus que de raison. Elle entendit une pause dans le cliquètement. Elle sourit en son for intérieur : ses mots avaient fait mouche. Ce type allait essayer de la dominer, c’était certain. Sauf que là, c’était elle qui était en position de force.

— Puis-je savoir, Phényxia, comment êtes-vous parvenue à l’atteindre ? interrogea une voix sinistre. Cela fait de très nombreuses années que j’essaie, sans succès. J’ai du mal à croire qu’une personne comme vous ayez pu réussir un tel prodige.

Phényxia ne se laissa pas démonter par sa condescendance. Cette réaction était le résultat d’une frustration de voir une personne bien plus jeune que lui, être millénaire, réussir là où il avait échoué. Il était convaincu d’être supérieur intellectuellement que tout le monde, Dragons compris, et c’était ce qui causerait sa perte.

Œil-de-Sang sortit de l’ombre, menaçant. Mais Phényxia en avait vu d’autres. Il lui en fallait beaucoup plus pour l’impressionner. Elle fit mine de vérifier l’état de ses griffes entretenues et peinturées de vernis noir.

— J’en conclus que vous avez aussi repéré l’endroit où il se cache, observa-t-elle, moqueuse. Cela me rassure, pendant un instant, j’ai presque cru que vous aviez mis une centaine d’années avant de le retrouver.

Œil-de-Sang la toisa d’un regard chargé de menaces.

— Ne me provoque pas, Phényxia. Comment as-tu pu l’atteindre ?

Phényxia porta enfin son attention sur lui et se redressa avec nonchalance. Elle affronta son regard dérangeant.

— Il m’y a tout simplement invité, mon cher. Concernant le reste, il a disposé des pièges plutôt ingénieux sur les Monts, certainement pour empêcher une personne en particulier de traverser… vous, justement ? Cela expliquerait pourquoi, malgré-tout, des humains désespérés, Sans-Pouvoirs qui plus est, aient pu traverser et le rejoindre, d’après ce que j’ai pu constater.

Œil-de-Sang eut un imperceptible mouvement de surprise qui n’échappa pas à Phényxia, qui dût se retenir de jubiler.

— Impossible, gronda-t-il. Le Pouvoir Universel n’est qu’une bête sans réflexion, il ne peut réaliser un tel prodige.

Phényxia ne répondit rien, mais ne se départit pas de son expression moqueuse. Cet homme avait une vision des choses bien archaïque à son goût. Avec peu, on pouvait accomplir des choses impressionnantes, avec intelligence et ingéniosité. Ne pouvait-il pas admettre cette évidence ? Même les Clans le savaient. Elle-même était incapable de dire comment Serymar s’y prenait, mais elle savait qu’il avait de la ressource. Quelques années plus tôt, il était parvenu à ériger un bouclier surpuissant en utilisant, d’après ses dires, une écaille de Dragon. S’il était poursuivi depuis tout ce temps par ce type, il était logique qu’il ait pris certaines dispositions.

— Le récupérateur est prêt, préféra-t-elle lui annoncer. Une fois le Pouvoir Universel entre vos mains, vous serez enfin en mesure d’éradiquer les Dragons. Mais vous conviendrez que tous ces efforts méritent une compensation.

— Bien entendu, Phényxia.

« Vil hypocrite. »

Jamais cet homme ne leur donnerait ne serait-ce qu’une goutte de sang de Dragon. Phényxia se doutait du véritable but de cet homme, un but déplaisant et qui allait plus loin que simplement évincer les Dragons pour prendre leur place. Si ce sombre projet n’atteignait que les autres peuples, Phényxia ne s’en serait que très peu souciée. Sauf que cet objectif incluait son propre Clan. Tout ce qu’elle avait bâti pour rendre son Clan plus puissant et plus libre aurait été vain.

Elle comptait bien récupérer les pouvoirs des Dragons avant, pour être en mesure d’affronter à la fois cet homme et Serymar. Elle n’avait pas oublié l’humiliation qu’il lui avait causée. Cela avait même failli coûter sa place, pour laquelle elle avait dû se battre contre ses congénères. Elle avait condamné chaque rebelle à une lente agonie par noyade pour s’assurer de la loyauté des autres.

— Retournez aux Monts de la Mort, poursuivit Œil-de-Sang. Et faites en sorte de l’en faire sortir.

Phényxia dût se maîtriser pour ne pas le faire fondre sur place. Comment osait-il lui donner des ordres ? Phényxia se contenta de toiser l’homme aux membres bioniques de haut.

— Oh, mais quel dommage… ricana-t-elle avec une expression carnassière. Nous nous sommes quittés en mauvais termes !

Son interlocuteur la fusilla du regard. Phényxia l’ignora superbement et entreprit de natter ses longs cheveux avec des gestes sensuels.

— Je suis capable de faire tomber n’importe quel mâle à mes pieds, mais défaire un attachement étrange, mais fort, envers une autre femme ne fait pas parti de mes pouvoirs.

Elle s’attendit à une démonstration de colère ou quelque chose dans le genre, mais rien ne vint. Phényxia risqua un œil vers son interlocuteur et décela de la surprise sur son visage. Voilà qui était inattendu. Elle fit comme si elle n’avait rien vu et continua à s’occuper de ses cheveux soyeux.

Œil-de-Sang posa sa main humaine sur son menton, regard vers le bas en pleine réflexion.

— Impossible… Cette fille est morte depuis très longtemps.

« Tiens donc. En voilà une information fort intéressante… »

Son interlocuteur ne semblait pas connaître l’existence de la servante du bâtard des Dragons. Il parlait donc d’une autre personne. Phényxia décida de garder cette découverte pour elle. Elle pourrait certainement se servir de ce quiproquo pour prendre l’avantage sur Œil-de-Sang et Serymar.

« Se pourrait-il que cette petite servante ne soit pas si insignifiante que ça ? » sourit Phényxia en elle-même.

Si le concept d’attachement profond envers une personne était étranger à Phényxia, elle avait appris à observer : le jour de son arrivée dans les Monts de la Mort, le bâtard était allé jusqu’à massacrer ses deux subordonnés d’une manière plutôt significative.

Un plan commença à se former dans sa mémoire. Elle pourrait exploiter ce malentendu à son avantage pour les anéantir une bonne fois pour toutes, en obtenant les pouvoirs draconiques en prime. Cela fait, elle pourrait enfin éliminer les autres Clans.

Œil-de-Sang la toisa soudain, plus menaçant que jamais.

— Tu essaies de me berner, Phényxia ! Cette femme a été tuée en même temps que l’agent que j’avais envoyé pour piéger ma créature !

— Mh ? Vraiment, je ne vois pas ce que vous voulez dire, riposta calmement, mais sincèrement cette fois Phényxia. Je ne connais pas vos petites histoires. Le fait est que mes charmes n’ont pas fonctionné sur lui.

En son for intérieur, elle jubila devant la colère et les interrogations de son interlocuteur. Pour le moment, Phényxia préféra taire l’existence de la servante. Elle n’en avait que faire de son sort, mais elle tenait à abattre le moins de cartes possibles pour garder l’avantage. Si même le bâtard des Dragons se méfiait à ce point malgré toutes ses ressources, cela signifiait bien qu’Œil-de-Sang était un adversaire sérieux.

Œil-de-Sang fit les cent pas, comme cherchant une explication à ce phénomène. Il s’immobilisa dans une attitude dédaigneuse.

— En réalité, cela ne devrait pas m’étonner. Ce n’est pas une personne. Il est incapable d’aimer, ou même de s’attacher à qui que ce soit. Je ne l’ai pas conçu pour être ainsi. Les elfes noirs en sont incapables, et les Dragons ne voient pas ces choses comme les mortels.

Phényxia ne répondit rien mais garda sa posture dominatrice. Inutile de convaincre un convaincu, même si sa pensée était stupide.

« T’as jamais appris que l’on évoluait selon l’expérience vécue ? Dangereux savant idiot… »

Elle-même n’avait aucune considération pour les faibles et la vie de ses prisonniers, mais elle avait toujours été consciente de l’existence des sentiments forts. C’était justement sur ces points qu’elle jouait pour mieux torturer.

« Tu crois ton savoir incontestable. Je commence à comprendre pourquoi le bâtard a pu t’échapper pendant tant d’années… »

Elle ne tint plus et éclata de rire, portant avec grâce une main devant son visage.

— Dois-je donc comprendre que vous avez essayé de le piéger en lui envoyant une pauvre fille ? ricana Phényxia à gorge déployée. Mais comme elle ne semblait pas revenir, vous avez envoyé quelqu’un d’autre pour achever le travail ? Ah ! Que les hommes sont stupides !

Œil-de-Sang la foudroya du regard et l’attaqua de son bras mécanique pour lui transpercer le ventre. Phényxia esquiva au moment même où deux grandes masses musclées apparurent à ses côtés dans un tintement métallique sourd.

Un silence tendu tomba. Phényxia garda son expression suffisante et fixa la lance mécanique à un mètre de son abdomen, bloquée par les armes de ses compagnons. Elle regarda son interlocuteur et posa une main sur les épaules des deux colosses à ses côtés en leur offrant une caresse sensuelle, suivant la courbure de leurs muscles puissants sous ses griffes. Tous deux avaient brandi un large bouclier de métal de simple facture. Rien de tel qu’un objet non-magique pour contrer une arme anti-magie.

Elle s’avança en roulant des hanches vers Œil-de-Sang sans le lâcher des yeux.

— Je ne ferais pas ça, si j’étais vous… N’oubliez pas notre contrat, mon cher. Votre récupérateur est certes entre de très bonnes mains. Mais si vous nous contrariez, nous risquons de ne plus être en mesure de garantir sa sécurité.

Œil-de-Sang la toisa d’un regard furibond.

— Vous êtes plus maligne que ce que vous paraissez, Phényxia.

Il se recula et les deux démons abaissèrent leurs armes et leurs boucliers.

— Je peux en dire autant sur vous, riposta Phényxia avec nonchalance. Créer une descendance des Dragons pour obtenir le Pouvoir Universel, c’était… plutôt audacieux.

Elle se détourna de son interlocuteur et, sans aucune gêne, adressa un regard ardent à ses sbires brûlants de désir.

— Mes chéris, vous serez récompensés comme il se doit pour votre dévouement. Ne me décevez pas. Vous avez une reine à combler, ce soir.

***

Suite ===>

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0