Chapitre 9

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— Karel !

Cela faisait deux bonnes heures qu’ils naviguaient. Karel se retourna en direction de la voix et aperçut Whélos le rejoindre.

— J’aurais besoin de ton aide, mon garçon. Maintenant que nous sommes au calme et qu’à priori, rien ne risque de nous tomber dessus, je pense que je peux enfin en profiter pour jeter un œil à… disons, certaines recherches.

Karel l’interrogea du regard.

— Ce totem, chez les elfes, et tout ce que nous avons découvert là-bas. J’ai découvert quelques documents qui pourraient peut-être répondre à nos questions.

Karel lui répondit par une expression abasourdie, alors qu’il comprenait à présent pourquoi les elfes et Œil-de-Sang s’étaient montrés aussi méfiants envers Whélos au point de le fouiller.

« Par quel subterfuge avez-vous réussi à dissimuler votre larcin ? »

Comme pour lui répondre, Whélos tapota sa besace.

— N’oublie pas où j’ai travaillé autrefois. J’avais quelques privilèges, dont celui d’accéder aux sorts jetables les plus poussés que l’on ne trouve pas sur les marchés communs. J’étais très bien payé, je n’ai donc pas manqué de me faire un certain stock en prévision de ces années de voyage.

« Vous êtes impressionnant. » admira Karel.

Il accompagna Whélos jusqu’à la pièce principale du navire, située en-dessous du pont. Karel descendit l’échelle métallique et rejoignit le chercheur derrière la table centrale.

Whélos posa sur la table son grand bâton de marche.

— Il fallait bien que je trouve une cachette indétectable. Le coup du chapeau et des chaussures avec double-fond, c’est classique. J’ai donc fusionné les documents sur mon bâton.

Le papier était une fibre de bois, cette fusion ne le surprenait donc pas. Karel jeta un regard admiratif envers Whélos avec un sourire entendu. Cela confirmait cette image qu’il renvoyait : un homme plein de connaissances et de ressources.

« Vous auriez fait un Mage de renom, c’est sûr et certain. Vous n’avez vraiment jamais envisagé de postuler pour Valkor ? »

— À toi de jouer, mon garçon, l’invita Whélos. Je suis sûr que c’est dans tes capacités. Si tu n’as pas encore les compétences pour être un Mage, tu es quand même au-delà du niveau de Sorcier.

Karel lui offrit une expression bienveillante en guise de réponse, touché par cet encouragement.

De sa main droite, il posa ses doigts sur le bâton de Whélos, qui lui indiqua la zone où il avait caché les documents. Karel effleura le manche de son artéfact de ses doigts libres, de la main gauche, et se concentra.

Whélos ne lui demandait pas quelque chose de très simple. Karel n’était pas certain d’y arriver et trouvait que Whélos l’avait peut-être un peu surestimé. Mais il n’avait pas l’habitude d’avorter ses efforts, avec Serymar comme mentor. Toutes les fois où Karel avait manqué de confiance en lui au point d’abandonner avant même d’avoir commencé, le Mage l’avait toujours forcé à exécuter ses demandes. Si le jeune homme trouvait que cette méthode manquait quelque peu d’empathie, il ne pouvait en nier les résultats.

Il ferma les yeux pour renforcer sa concentration. En premier lieu, il appela son énergie magique. Ce petit crépitement si familier parcourut ses veines jusqu’au bout de ses doigts touchant le bois.

Karel préféra prendre son temps pour éviter de détruire les documents par mégarde. Il parcourut chaque fibre du bois composant le bâton de Whélos, chaque nœud, la moindre parcelle interne. Ce faisant, il parvint à percevoir la présence d’encre et de matière en surplus, qui n’avait rien à faire là. Karel longea cette zone par magie, sentant chaque fibre superflue comme s’il le faisait dans la réalité. Il découvrit ainsi plusieurs couches de papier, comme si Whélos avait enroulé les documents autour de son bâton pour ensuite l’y attacher.

Karel fut étonné de trouver plusieurs feuilles. Le dossier semblait cacher beaucoup de choses. Une fois qu’il eut fait le tour et qu’il fut certain de n’avoir oublié aucun détail, Karel commença à désincruster minutieusement chaque feuillet. S’il dosait mal son énergie magique, ces documents seraient détruits. C’était comme s’il devait retirer une écorce sans la casser et sans abîmer les fibres de bois le composant. Une tâche plutôt périlleuse et qu’un Mage aurait été plus aisément en mesure de réaliser.

Au bout d’une longue demi-heure, Karel acheva son œuvre. Sa tâche accomplie, une fatigue soudaine l’assaillit. Il attrapa la première chaise qu’il put avant que ses jambes ne se dérobent et se laissa choir dessus en soupirant de soulagement : il avait réussi.

— Remarquable ! le félicita Whélos en assemblant les feuilles. Je savais que tu en serais capable !

Karel regarda le dossier avec une certaine appréhension. Au vu des horreurs qu’ils avaient découvert dans ce totem, il redoutait le contenu de ce dossier. Il ne faisait aucun doute qu’Œil-de-Sang se mettrait en quête de le retrouver. Son attitude vindicative avait tout dit.

« Mais peut-être découvrirons-nous enfin la vérité… Ça tombe bien que nous nous dirigions vers une île mystérieuse. Cela brouillera les pistes. »

Il découvrit l’expression soudain très sérieuse de Whélos. Il semblait penser à la même chose… mais pas que. Il fixa ses yeux bleus sur Karel, grave.

— J’espère que nous pourrons enfin comprendre la raison pour laquelle tu as été arraché à ta famille trop tôt. Aussi controversée qu’ait été la décision des Dragons à ton propos, je doute qu’elle ait été prise d’une manière aussi hasardeuse. Il doit y avoir une raison.

Il marqua une courte pause et baissa les yeux sur ses poings fermés.

— Je pense… que je le savais, avant que ton mentor ne me rattrape et m’efface la mémoire après avoir obtenu ce qu’il souhaitait.

Karel ne manqua pas son attitude crispée.

« Encore cette culpabilité… Mais pourquoi, Whélos ? Ce qui m’est arrivé n’est pas de votre faute ! »

— Nous pourrions… découvrir des choses très désagréables, dans ces documents. Des choses que nous ne devrions pas savoir et que nous regretterons de savoir, prévint Whélos.

Karel lui répondit par un regard résolu : même si la vérité serait terrible, ils devaient en savoir plus.

Une envie le saisit et une motivation nouvelle naquit en lui. Karel ressentait le désir d’aller plus loin dans la discussion sans se laisser décourager par les limites de son handicap. Depuis qu’il côtoyait Wil, Karel avait commencé à comprendre qu’il était toujours urgent de se rendre compte à quel point la complaisance inconsciente était facile, face aux difficultés de la vie. Wil aurait pu sombrer. Au lieu de ça, il s’était relevé, à chaque fois. Karel avait soudain pris conscience qu’il était lui-même responsable, bien malgré-lui, de la perception que les gens pouvaient avoir sur sa personne. Il avait sombré dans la complaisance pendant trop longtemps et voulait y remédier.

Alors il signa, sans se bloquer à se demander si Whélos le comprendrait.

— Peux-tu m’épeler ce signe, s’il te plaît ? lui demanda Whélos en répétant le geste qui lui bloqua la compréhension.

Une vague d’allégresse saisit Karel, ému de voir que ce premier effort de sa part venait de payer. Sa motivation se décupla. Il pouvait être compris. Il devait juste accepter d’avoir des discussions plus lentes pour apprendre aux autres à le comprendre, comme Whélos venait de le faire.

Il composa respectivement les lettres A, F, F, R, O, N, T, E, R et répéta plus doucement le signe avec ses mains. Whélos l’imita, comme pour mieux le graver dans sa mémoire.

— Tu as raison. Nous ne pouvons plus reculer.

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