Chapitre 11 - 3

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Il sortit de la cabine et aperçut le chercheur dans la pièce principale, assis à l’unique table longue. Le jeune homme s’immobilisa soudain, interloqué par l’expression bouleversée de Whélos. Comment un homme tel que lui, qui parvenait toujours à garder la tête froide même dans les situations dangereuses, pouvait-il flancher face à de sombres rapports dont il s’était douté de la teneur ?

Karel ne se sentait pas de le laisser comme ça. Il s’approcha de lui, posa les documents sur la table et posa une main sur l’épaule du chercheur pour signaler sa présence. Il s’agissait aussi de son seul moyen de lui communiquer son soutien. Whélos avait retiré ses lunettes, posées sur la table, sa main posée sur ses yeux fatigués et choqués.

— Oh Karel… gémit-il. Je ne pensais pas qu’il existait plus monstrueux encore que celui qui t’a élevé !

Ses muscles se tendirent soudain. Karel retira sa main, tandis que Whélos passa une main sur son front, juste avant de remettre ses lunettes et de les ajuster sur son nez.

— Cet homme, chez les elfes noirs, continua-t-il d’un ton indigné. Il est véritablement dangereux ! Phényxia s’est bien gardée de nous avertir de cette menace ! Cet homme est fou ! Je le sais, désormais, il ne reculera devant rien, mais rien, pour obtenir le Pouvoir Universel, détruire les Dragons et imposer sa vision à tout le monde !

Karel ne put que répondre d’un léger signe affirmatif de la tête, la mine sombre, attestant qu’il était arrivé à la même conclusion. Le Sorcier se souvint parfaitement du regard que cet homme lui avait porté chez les elfes. Il frissonna à ce souvenir en se rappelant le profond dégoût qu’il avait ressenti envers ce regard qui l’avait analysé.

« Comme un vulgaire objet. »

Cela avait réveillé en lui une facette qu’il ne s’était jamais soupçonnée. Jamais Karel n’avait regardé quelqu’un avec autant de mépris et de défi. Pas même Phényxia, à Sheyral. Whélos se tourna vers Karel depuis sa chaise et planta ses yeux bleus dans les siens, grave. Il réajusta ses lunettes à nouveau.

— Karel, réponds-moi très honnêtement, s’il te plaît.

Le concerné ne répondit pas mais se fit attentif, quoiqu’avec une pointe d’appréhension.

« Par les Dragons, Whélos, qu’avez-vous découvert ? »

— Es-tu certain qu’il n’y avait pas d’autres enfants que toi derrière ces montagnes ?

La stupeur figea Karel, désarçonné par cette question. Mille et une question submergèrent son esprit déjà en ébullition. Il se demandait s’il aurait été capable de répondre s’il avait eu une voix. Karel se contenta d’affirmer qu’il avait été bel et bien le seul à cette époque.

« Qu’essayez-vous de me dire ? » songea-t-il avec angoisse.

— Vraiment ? insista Whélos. Es-tu certain de ne pas avoir vu des choses qui auraient pu attester de la présence d’un autre enfant avant toi ?

« Mais pourquoi toutes ces questions ? Quel rapport avec Œil-de-Sang ? »

Karel affirma sa position. Il avait fouillé ce château jusque dans ses moindres recoins pour occuper ses journées solitaires. Il n’avait jamais rien découvert de tel. Les seuls jouets qu’il avait pu voir avait été ceux qu’il s’était lui-même fabriqué lorsqu’il était encore en âge de s’amuser avec. Ses anciens vêtements d’enfant avaient été assemblés sur place avec des restes d’habits d’adultes que son ancien entourage avait pu trouver.

Whélos soupira, soudain las. Il désigna la partie du rapport qu’il avait étudié de son côté.

— C’est très flou, il n’y a pas beaucoup de détails à ce sujet, c’est même assez confus. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, il semblerait que ton mentor ait eu un enfant.

Karel souffla de soulagement. Aussi ne comprit-il pas ce qui pouvait perturber Whélos à ce point.

— C’est étrange, tu n’as pas l’air surpris, remarqua Whélos, intrigué.

Karel lui signa le mot « image » et mima la forme d’un ventre parfaitement rond. Il termina par le signe correspondant au mot qu’il souhaitait exprimer pour l’apprendre à Whélos. Puis il forma le signe « femme », suivi de celui qu’il venait d’apprendre à son ami : « enceinte ».

Un jour où il avait été un peu trop curieux, Karel avait découvert un souvenir de Serymar enfermé dans un cristal sombre. À l’intérieur s’était déplacée ne femme plus ou moins en milieu de grossesse, qui semblait plutôt proche de Serymar. Bien sûr, une telle relation surprenait Karel, au vu de ce qu’il connaissait de son ancien mentor. Au vu de son passif et de ses difficultés à se lier aux autres, Karel estimait qu’il s’agissait plutôt d’une bonne chose, que son ancien Maître soit parvenu à obtenir ce style de relation sincère.

Enfin, Karel intima à Whélos de lui expliquer ce qui l’avait vraiment bouleversé, car il ne pouvait croire que cette découverte le mette dans un état pareil. Whélos le fixa avec gravité.

— Karel… Cela fait plus de 200 ans que cet homme cherche à avoir Serymar. Sans succès, visiblement. Il a donc tenté une manière très hasardeuse de parvenir à ses fins, d’une manière abjecte.

Le jeune homme l’encouragea à continuer. Whélos sembla encore plus épuisé.

— Ce monstre, il… bon sang… Il avait souhaité que cela arrive, dans le but d’avoir une nouvelle ressource plus facilement manipulable pour sa maudite arme ! Et en même temps, espérer enfin faire plier ton ancien maître pour obtenir le Pouvoir Universel avec lequel il est né !

Karel hésita. Il y avait quelque chose qui ne collait pas.

— « Je ne comprends pas comment Œil-de-Sang a eu vent de cette histoire. » signa-t-il.

Uriel lui avait expliqué que Serymar ne laissait jamais quiconque repartir vivant des Monts, ou amnésique dans le meilleur des cas. Seule Phényxia et lui avaient échappé à la règle. Quand bien même Œil-de-Sang aurait envoyé un espion, Serymar avait dû le réduire au silence.

— Je comprends ton interrogation.

Whélos sortit des documents une feuille qu’il tendit à Karel. Le jeune homme y découvrit une lettre.




« Maître,

J’ai retrouvé l’expérience. Votre plan a merveilleusement réussi. Je l’ai surpris à la capitale, annotant un calendrier avec des dates correspondant à la durée d’une gestation humaine. Il s’est engagé auprès d’un médecin local pour apprendre à faire accoucher une femme. Je pars immédiatement retrouver ma sœur pour vous ramener ce qu’elle porte. Cette chose vous appartient de droit. »




La nausée saisit Karel, choqué que l’on puisse considérer les gens comme des cobayes. Il leva les yeux vers Whélos et l’interrogea du regard.

— Ce genre de chose est beaucoup trop précis pour n’être qu’un hasard. Je ne connais pas beaucoup ton ancien mentor, Karel, mais je pense viser juste en disant qu’il ne se serait pas risqué à sortir de ses protections sans une excellente raison, tu ne penses pas ? Si Œil-de-Sang était bloqué chez les elfes à cause des Dragons, se risquer hors des Monts de la Mort devenait possible.

Whélos s’interrompit et fixa Karel, le regard voilé.

— Pour le reste… je n’ai pas les mots.

Whélos soupira et tendit une autre feuille à Karel. Il hésita. Voir Whélos aussi sombre lui faisait redouter la prochaine découverte.




« L’arme de transfert que j’ai octroyé à Eryon a fonctionné à merveille. Son sacrifice n’aura pas été vain. J’ai pu récupérer l’embryon et l’installer dans l’incubateur. Il ne sera jamais assez fort pour faire fonctionner l’arme. Mais il devrait me rendre le Pouvoir Universel. »




Karel rendit la feuille à Whélos comme s’il s’était brûlé.

« Ça suffit… »

Cette pensée fusa dans son esprit, telle une supplication. Karel n’en pouvait plus. C’était beaucoup trop. Il avait beau en vouloir terriblement à Serymar et le craindre, Karel saturait de cette manière de le désigner dans ces textes horribles. Dans son esprit, s’il y avait bien une personne au monde qui était le parfait opposé de la non-réflexion, c’était bien son ancien mentor. En dépit de tout, Karel avait gardé un certain respect pour la personne qu’il était. L’insulter était comme s’en prendre à un membre de sa propre famille.

Incapable d’en supporter davantage, Karel s’excusa avec des gestes nerveux et disparût.

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