Chapitre 12 - 1
— Réveillez-vous, tout le monde ! cria la voix d’Aquilée en frappant plusieurs coups sur la porte de la cabine des hommes. Allez, dépêchez-vous, nous approchons de l’île !
Si Karel eut quelques difficultés à émerger, ce ne fut pas le cas de Whélos qui bondit littéralement de son hamac et se précipita vers l’extérieur.
— L’île de la Tribu de l’Eau ! L’île secrète qui regorge de tant de connaissances poussées ! Enfin !
Karel étira un petit sourire amusé, mais aussi sincèrement heureux pour Whélos : le chercheur n’avait pas caché son désir de voir cette île mystérieuse un jour, sans savoir s’il vivrait encore assez longtemps pour ça. Il n’était donc pas étonnant de le voir ivre de liesse.
Le jeune homme préféra laisser les autres le précéder dans leur cacophonie. Se précipiter ne les ferait pas accoster plus vite. Il noua ses cheveux raides qui lui arrivaient jusque sous les épaules et sortit calmement de la cabine. En entendant les pas précipités de chacun au-dessus de sa tête, il avait l’impression d’être accompagné d’enfants excités à la vue d’un événement spécial. Cette comparaison l’amusait.
Il grimpa l’échelle métallique et fut rapidement dehors. Cela fait, il referma la trappe par sécurité et dirigea son regard en direction de la proue : au loin, une épaisse masse de brouillard grandissait à mesure de l’avancée du navire. Karel eut beau plisser les yeux, il lui fut impossible de percevoir la moindre forme de l’île dissimulée derrière.
— Bon, annonça Wil. Maintenant, il va falloir que l’on parle sérieusement. L’accès ne va pas être facile.
Tout le monde se tourna vers lui et se fit attentif. Wil avait apporté plusieurs cordages et quelques objets Avancés.
— L’île est entourée de pièges mortels. Mais ne vous en faites pas : tous les navigateurs de notre Tribu sont entraînés à les traverser sans problème. À condition que vous fassiez exactement ce que je demande. Ce brouillard fait plusieurs kilomètres de circonférence autour de l’île, et sont piégés. Ça va aller extrêmement vite. Vous vous souvenez de cette vague géante de la Tour ? Eh bien, c’est un peu le même genre, mais avec des sortes de lames de fond en plus de partout.
Toute l’excitation sur les visages disparut au profit d’une expression plus sérieuse. Wil présenta les cordes.
— Ça va vraiment secouer. Il vaut mieux que chacun s’attache solidement au navire, juste au cas où. Même nous, nous ne pouvons pas nager dans ces eaux, c’est dire.
Il distribua une corde à chacun.
— Moi, évidemment, je barre le navire. Je vais avoir besoin de beaucoup de concentration, s’il vous arrive quelque chose, je ne pourrai pas agir : si je lâche la barre ne serait-ce qu’une seconde, si je dévie ne serait-ce qu’un peu, nous serons aussitôt engloutis. Alors je vous fais confiance, d’accord ?
Karel opina et prit son propre cordage qu’il déroula pour l’attacher à sa taille.
— Toi, tu m’aides avec les stabilisateurs, comme la dernière fois, expliqua Wil. Prépare-toi à avoir de grosses courbatures ! Mais bon, vu ta dégaine, ça te fera du bien, de prendre un peu de muscles !
« Merci de penser à moi, Wil. » répondit Karel avec une expression ironique.
Wil lui rendit par un clin d’œil espiègle et lui tendit des sortes de gants métalliques avec quelques rouages.
— Ne le prends pas mal, mais vraiment, tu manques de muscles pour cette épreuve. Enfile-ça, la force de ces courants est vraiment difficile. Même pour moi. Tire de toutes tes forces sur les manivelles, sans craindre d’y aller trop fort : ces gants mécaniques compenseront.
Karel lui tendit les mains. Wil l’aida à enfiler les gants mécaniques et régla quelques paramètres au moyen des petits rouages.
— Si tu sens que tes doigts bougent contre ta volonté, ne t’étonne pas, expliqua patiemment Wil, qui savait que toutes ces inventions ne pouvaient sortir que de l’imaginaire de ses compagnons. Surtout, ne lutte pas, ou tu risques de subir des dégâts sur tes articulations. Ça va te faire bizarre, mais tu vas vite t’y faire. Essaie quelques mouvements, pour t’y faire, déjà.
Karel lui répondit par un signe affirmatif et testa quelques gestes simples avec ses doigts : les gants répondirent presque comme s’il ne portait rien. Le fait de ne plus avoir accès au toucher lui procura une étrange sensation.
Wil se dirigea vers Aquilée.
— Toi, miss, à la vigie. Tu gardes le communicateur en main et tu me décris tout ce que tu vois arriver. Ça va être intense, ne te préoccupe pas de m’assaillir d’informations. Au contraire ! Juste, concentre-toi là-dessus, ne pense à rien d’autre, je gère à côté.
— D’accord, Wil. Et si jamais je tombe lors d’une secousse, est-ce que tu t’en sortiras ? s’inquiéta Aquilée.
Wil lui offrit une expression rassurante.
— Oui, ne t’en fais pas. Nous apprenons à gérer ce parcours seuls, avec un équipement spécifique. C’est juste que c’est toujours plus facile à plusieurs, car on peut réagir encore plus vite, et donc, réduire la dangerosité de la situation.
Wil lui tendit une sorte de paires de lunettes rondes avec quelques petits éléments mécaniques.
— Mets ça sur ta tête : grâce à ce petit appareil, tu pourras me transmettre tout ce que tu vois, rien qu’en regardant de toi-même. Je vais porter le même, et en gros, ça me permettra de voir tout ce que tu vois.
Aquilée mit l’objet sur ses yeux violets.
— Oh là là, c’est bizarre, de regarder là-dedans !
— Je sais, assentit Wil. Mais ça permet de voir au travers du brouillard comme s’il n’y était pas. Crois-moi, nous allons en avoir besoin.
— Cette « magie » est vraiment impressionnante, souffla Lya, admirative.
Wil lui sourit et aida Aquilée à régler la sangle des lunettes. Il sortit une seconde paire qu’il installa sur sa tête et vérifia les réglages. Il fit ensuite face à Whélos et lui présenta de tous petits appareils métalliques.
— J’aimerai que tu surveilles l’état du cœur. Je ne suis toujours pas certain des dégâts qu’ont pu causer les elfes, ça me rassurerait vraiment d’avoir des yeux dessus, histoire de voir si la magie contenue dedans ne s’emballe pas.
— Pas de problème, mon garçon. À quoi servent ces étranges choses ?
— À entendre tout ce que je te dirai directement dans les oreilles. T’inquiète, ce n’est pas dangereux. Je vais porter les mêmes. Tout ce que tu diras dans le communicateur me sera transmis directement dans les oreilles. Comme je devrai absolument rester concentré, je ne pourrai pas me permettre de décrocher mon communicateur à la barre. Je vais aussi porter un micro. C’est un objet qui remplace les communicateurs, si vous voulez, mais en version miniature et portatif.
Enfin, Wil se tourna vers Lya.
— Toi, tu es la plus agile d’entre nous, j’aimerai que tu diriges la voile. Tu penses que c’est dans tes cordes ?
— Fais-moi confiance, Wil, assura Lya. Tu peux te reposer sur nous.
Wil lui répondit par un petit sourire et lui tendit aussi des oreillettes.
— Je n’aurais vraiment pas le temps de vous dire des phrases, donc ne le prenez pas mal si je parais un peu… disons, impérieux, je ne le ferais pas exprès, s’excusa-t-il. Vous comprendrez sur place, mais je vous assure que ça va si vite qu’on n’a même pas le temps de prendre la moindre pause.
— Ne t’en fais pas, rassura Lya. Tu nous l’as dit, tu auras besoin de toute ton attention pour nous conduire sains et saufs. Tu as suffisamment de pression comme ça, ne t’en rajoute pas, et fais-nous confiance.
Wil ne répondit pas, mais une expression émue passa sur son visage. Il se reprit très vite et présenta plusieurs paires de bottes mécaniques.
— Pour éviter au mieux de décoller, les à-coups seront vraiment violents. Si jamais ça vous arrive malgré-tout et que vous vous retrouvez coincés, appuyez sur ce bouton, ici. Les bottes se briseront et vous pourrez vous libérer. Ne vous en faites pas si les éléments se perdent dans la nature : c’est fait pour. Pensez à votre vie d’abord. Nous avons beau avoir développé ces équipements, cela ne protège jamais complètement contre le danger. Chez moi, on dit que la mer gagne toujours. On ne peut rien contre la Nature.
Chacun se mit à son poste, après avoir enfilé les bottes mécaniques. Wil s’équipa aussi d’une paire de gants mécaniques en plus du reste par précaution.
Karel le rejoignit vite sur le gaillard d’arrière, vérifia que l’autre extrémité de sa corde était solidement attachée et déploya les stabilisateurs comme Wil le lui avait appris. Les ailes du navire se déployèrent aussitôt dans un cliquetis de rouages. Karel se mit en place entre les deux poignées sorties du plancher. Les doigts de métal s’y accrochèrent aussi naturellement que ses doigts de chair.
Wil ajusta son équipement, notamment les lunettes, les oreillettes et le micro. Avec les gants et les bottes, cela lui donnait une drôle d’apparence. Comme tous les autres, il vérifia sa propre corde. Il se plaça à barre à roue, ferma les yeux.
— Enfin… murmura-t-il pour lui-même. Bientôt à la maison. Maman, oncle Sinbad, j’arrive.
Karel aurait tant souhaité lui donner des encouragements, mais le temps n’était plus aux effusions : le brouillard s’était rapproché du navire, l’horizon avait disparu. Le jeune homme se campa sur ses jambes et se prépara à la suite.
Le brouillard eut tôt fait d’engloutir le navire. Le ciel ensoleillé avait laissé place à une ambiance de nuit et Karel ne ressentait plus que le roulement des vagues sous le navire. C’était un peu perturbant de ne plus rien voir. Il comprit mieux l’intérêt des lunettes.
« Tout va bien se passer », s’ordonna-t-il. « Wil l’a déjà fait plusieurs fois. Il nous a suffisamment appris pour éviter les drames. Les autres vont s’en sortir. Il faut que je leur fasse confiance. »
Lya avait raison quand elle lui avait fait remarquer que sa tendance à tout vouloir gérer était une forme de non-confiance aux autres. Aquilée, Lya et Whélos avaient démontré leurs capacités depuis le début de ce voyage. Karel inspira et se concentra sur sa mission.
Suite ===>
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