Chapitre 12 - 2

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Une violente embardée secoua le navire et Karel eut à peine le temps de comprendre ce qui se passait que leur moyen de transport fut violemment aspiré par un puissant couloir d’air. Karel sentit son corps projeté vers l’arrière du navire. Heureusement, il put se retenir aux poignées des stabilisateurs, aidé par les gants fixés sur les mains : les doigts mécaniques prirent possession des siens et se refermèrent vivement sur les poignées. Les bottes mécaniques le maintinrent au sol en accompagnant ses mouvements pour ne pas le blesser.

« Incroyable ! »

Karel aperçut Wil, dont le corps s’était légèrement déplacé à cause du choc. Mais contrairement à lui, Wil était beaucoup plus stable sur ses jambes. Karel prit donc exemple sur lui et plaça ses pieds de la même manière.

Wil vira soudain à tribord, Karel tira de toutes ses forces sur l’un des stabilisateurs pour empêcher le navire de tanguer un peu trop dangereusement dans ce qui semblait être un virage particulièrement serré. Le mouvement fut si brusque qu’ils reçurent quelques éclaboussures. Karel eut une pensée pour Aquilée, à la vigie. Il n’osait s’imaginer la dangerosité de sa situation.

« Bon sang, Wil, mais comment faites-vous ça tous seuls ? »

Leur légende maritime n’était plus à démontrer.

— Wil ! hurla Lya à cause du vent. Tu es certain que je dois garder la voile déployée ? Nous allons beaucoup trop vite !

— Oui ! répondit Wil aussi fortement. Ne lâche rien, surtout pas ! Bâbord, vite !

Une nouvelle embardée. Karel manqua tout juste d’échouer dans son timing. Heureusement, les gants prirent possession de l’un de ses bras pour compenser le manque de force dans le tirage d’une poignée. Heureusement, la voile permit de ne pas forcer plus que de raison.

Le vaisseau avança à une vitesse fulgurante, emporté par le courant intense.

— Repliez tout ! ordonna Wil.

Karel ne prit pas la peine de réfléchir, après avoir constaté à quelle vitesse il fallait réagir. Il replia aussitôt les larges ailerons, Lya ferma la voile et le navire chuta soudain à une vitesse vertigineuse.

Il entendit les filles hurler de surprise et s’il avait cette capacité, il les aurait sûrement imitées. Karel dût s’accrocher aux poignées mécaniques pour se fixer au mieux au sol pour empêcher son corps de décoller. Wil poussa un hurlement de liesse comme s’il s’agissait d’une attraction.

« Sérieusement ?! »

Il dût se faire violence pour ne pas partir aider les filles. Wil lui offrit une expression sereine.

— Ne t’en fais pas, elles sont juste un peu secouées ! Aquilée n’est pas tombée, et Lya a réussi à se remettre sur ses pieds !

Karel décida de lui faire confiance et le remercia en son for intérieur d’avoir devancé sa pensée silencieuse. Il se fit encore violence pour ne pas bouger de son poste. Wil avait bien insisté qu’il était primordial que chacun reste à sa place en cette situation périlleuse.

Ils plongèrent dans ce qui devait être un bassin géant. L’eau submergea le navire quelques secondes avant que ce dernier ne remonte à la surface, mais replongea aussitôt dans le vide. Wil maintint sa barre en position initiale, comme s’il cherchait à plonger exprès. Le navire se pencha vers l’avant, tant et si bien qu’il fut presque à la verticale.

— Ouvrez tout ! hurla-t-il en déployant le parachute métallique à l’arrière du navire.

De concert, Lya déploya la voile, Karel tira fortement sur les deux stabilisateurs pour les déployer. Le navire reprit très vite une inclinaison plus conventionnelle.

— Bâbord ! ordonna Wil en faisant repliant le parachute.

Lya et Karel firent de leur mieux pour assister Wil, qui barra le navire avec effort, au vu de ses muscles tendus. À peine le vaisseau revint-il sur l’eau qu’une autre vague l’emporta dans un vif tourbillon d’eau géant. L’eau gicla à nouveau sur les passagers.

Karel eut la désagréable sensation de perdre son sens de l’orientation et ses repères spatio-temporels : le navire tournait dans un sens, puis dans un autre dans un enchaînement sans fin. Son seul point de repère furent les ordres de Wil.

— On y est presque, s’exprima Wil, les yeux fixés sur les hauts rebords de ce bassin aqueux qui semblait s’entêter à vouloir les engloutir.

Mais le jeune marin eut beau forcer sur la barre, Lya maintenir la grande voile déployée et Karel stabiliser le navire, le vaisseau ne sembla pas parvenir à remonter.

Karel fut animé de frustration, incapable de lui demander ce qui se passait et encore moins de demander ce qu’il pourrait faire pour aider plus. Il n’osait se permettre de lâcher les stabilisateurs sans l’aval de Wil, de crainte de finir noyés sans aucune chance de s’en sortir.

Wil agrippa le petit micro accroché autour de son cou d’une main.

— Whélos, augmente pleinement la puissance du cœur !

Les moteurs grondèrent sous ses pieds. Karel examina l’expression de Wil : tendue, mais pas désespérée. Le navire sembla se surélever, comme s’il montait de quelques étages, toujours en tourbillonnant. Karel déglutit. S’ils se rataient dans le moindre virage, c’était la mort assurée. Il fut partiellement rassuré lorsque le vaisseau fut emporté par un autre tourbillon étendu, accompagné d’une rampe aqueuse en pente que Wil essayait d’emprunter sans encore y parvenir.

— On y est presque… grinça Wil entre ses dents. Allez !

Un autre virage violent et soudain, Karel entendit des éclats de voix de Whélos au travers des appareils.

— Wil ! Le cœur a un problème ! Il est devenu extrêmement brûlant !

Wil jura. Il saisit une manette de son tableau de bord qu’il tira vivement.

— Attention Whélos, c’est glacial ! Maintiens la pleine puissance !

Le navire prit encore de la hauteur, grâce à l’élan prit dans le dernier virage. Une grande secousse manqua de faire trébucher tout le monde. Karel s’accrocha encore au mieux, et fut soulagé de ne plus sentir l’espace tourner de manière incessante. Une énième embardée saisit le vaisseau.

— Wil, grésilla la voix inquiétante de Whélos. Des fissures sont apparues sur le cœur.

— Nous y sommes presque ! encouragea Wil.

Mais Karel ressentait son inquiétude. L’angoisse se peignit sur le visage du jeune marin, ainsi que la colère : il devait jurer contre les elfes qui avaient maltraité ce précieux objet.

« Wil, ne laisse pas tomber ! »

Il désirait tant lui crier de ne pas abandonner, que sa famille l’attendait, et qu’il ne pouvait pas les décevoir ! Mais s’il utilisait la télépathie, Karel risquait de surprendre son ami, et de le déconcentrer. Tout allait si vite que le moindre écart risquait de tous les tuer.

— Wil ! cria la voix de Whélos.

— Encore un peu ! Ça va tenir ! riposta Wil, les dents serrées.

Karel comprenait un peu le jeune homme : que pouvait-il faire, là, en cet instant ? S’il lâchait la barre, ils étaient tous fichus. Il n’avait pas d’autre choix que de continuer, et ce malgré sa furieuse envie de tenter quelque chose. Lui seul pouvait naviguer sur ces courants mortels.

« Tout est conçu pour qu’ils puissent naviguer seuls. » se rappela Karel.

Il extirpa une main de l’un des gants métalliques, le laissant agir automatiquement. Wil saurait gérer sa soudaine absence. Karel se libéra des bottes métalliques comme Wil le leur avait expliqué.

— Karel ! Qu’est-ce que tu fiches ?! l’invectiva le marin.

Karel ne prit pas le temps de répondre et sauta sur le pont. Il courut jusque vers la trappe menant au sous-sol. Pour éviter de basculer par-dessus bord, il profita de la présence de la fine couche d’eau sur le sol pour glisser, le corps le plus proche possible du sol, à vive allure jusqu’à la trappe. Lorsqu’il arriva proche de celle-ci, il sortit son artéfact et prit le risque de trancher sa corde de sauvetage avant qu’elle ne se tende violemment. Karel chuta brutalement dans la cale, prit le réflexe de se protéger la tête et son corps heurta plusieurs fois l’échelle métallique avant de rencontrer le sol.

Sonné, le dos et les bras douloureux, Karel se releva malgré les protestations de son corps. Il trébucha, s’accrocha à la longue table fixée au sol et rejoignit Whélos. L’état du cœur était en effet inquiétant : d’un rouge volcanique, l’orbe semblait être sur le point d’exploser et de prendre feu. La majorité du vaisseau étant en bois, la situation serait critique en cas de flammes à bord.

Le chercheur grogna, alors qu’il tentait de maintenir le cœur intact en projetant des jets glaciaux via une commande du panneau. À l’arrivée de Karel, un bout de corde sectionné autour de sa taille, il écarquilla les yeux.

— Mon garçon, mais tu es complètement fou !

Karel l’ignora, se rua en direction de la machinerie et fit appel à son pouvoir terrestre. Comme il n’y avait pas de terre ou de plante à sa disposition pour lancer un quelconque sortilège, Karel attrapa de sa main libre le premier objet en bois qu’il attrapa : un tabouret, qu’il lança en direction du cœur qui crachait des volutes de fumée de façon inquiétante. Whélos s’écarta brusquement d’un bond, tandis que Karel tendit sa main droite en direction du tabouret et, par magie, le métamorphosa en un contenant enferma d’une manière hermétique le cœur du vaisseau. Le feu avait besoin d’oxygène pour se répandre. Le Sorcier espéra que cela tiendrait au moins le temps d’arriver à bon port.

Au moment où Whélos alla ouvrir la bouche pour dire quelque chose, Karel manqua de paniquer quand il aperçut de fines volutes de fumée s’échapper de son contenant improvisé. Il créa un bouclier psychique autour de la machine qui contenait l’orbe : la fumée sembla s’étouffer de nouveau.

Pendant que Karel tentait de maintenir son sortilège avec difficulté, Whélos se jeta sur le communicateur.

— Wil ! Sommes-nous presque arrivés ?

— Presque !

Whélos afficha une expression déterminée.

— Alors fonce, et ne te soucie pas de ce qui se passe ici. Nous gérons la situation. Concentre-toi sur la navigation, on va tout faire pour te faire gagner du temps !

Le chercheur posa l’appareil, et se tourna vers Karel.

— Tiens bon !

Le jeune homme fit de son mieux. La magie de l’orbe prit le dessus sur son propre pouvoir. La mâchoire et les muscles du bras de Karel se crispèrent sous l’effort. Il utilisa sa main libre pour manipuler son bouclier psychique à distance avec plus de force qu’avec une seule, comme s’il cherchait à maintenir une boîte fermée à tout prix. Whélos fouilla dans son sac de voyage et en tira un sort jetable dont il jeta une petite poignée en direction du bouclier psychique : une coque de glace se forma par-dessus.

Si cela ne pouvait contrer la magie de l’orbe, cela aida un peu Karel qui sentait sa force refluer un peu.

Le navire accéléra brusquement. Karel, non-tenu, trébucha et son sort se défit aussitôt. La fumée revint et prit de plus en plus d’intensité. Whélos se jeta au secours du Sorcier, coinça fermement son bâton de voyage dans un recoin pour que Karel puisse se maintenir dessus. Le jeune homme, une fois à peu près campé sur ses jambes, compta sur Whélos pour le maintenir au mieux, tandis qu’il recréa le plus rapidement possible son bouclier. Mais la magie de l’orbe devint de plus en plus incontrôlable. Ses paumes commencèrent à lui brûler. Lorsque Whélos s’en aperçut, il lança sur les mains de Karel son sort jetable de glace, ce qui le soulagea instantanément et lui permit de tenir.

Un choc ébranla le navire et fit trébucher les deux amis sur le sol. Le vaisseau ralentit enfin de manière considérable, si bien que Karel et Whélos se sentirent un peu hébétés pendant deux secondes.

— Nous avons réussi ! hurlait Wil au travers des micros. Nous sommes tous arrivés sains et saufs !

Karel relâcha son sortilège, soupira bruyamment de soulagement, le cœur battant. Juste à temps. Vidé de son énergie, il se laissa tomber sur le dos à même le plancher : c’était enfin terminé.

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