Chapitre 13

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À peine Karel s’extirpa dehors que des bras lui enserrèrent la taille.

— Karel ! J’étais si inquiète ! Je suis si contente de voir que tu vas bien ! s’exprima Lya avec émotion.

Son frère lui passa gentiment une main dans ses cheveux roux cuivrés. Lui aussi, soupira de soulagement : elle allait bien. Il leva un regard vers les autres : Aquilée semblait en plein de forme et Wil affichait une expression à la fois soulagée et contrariée dans sa direction.

— Non, mais, qu’est-ce qui t’a pris ?! lui reprocha-t-il. Tu imagines, si tu avais basculé par-dessus bord ?! Je n’aurais pas pu te sauver !

Lya s’agita contre lui, et son frère la retint d’une simple pression de la main pour la retenir de répondre. Elle se fit violence : si elle-même aidait Karel pour certaines communications, lui-même l’aidait à déterminer quand elle pouvait se permettre de se laisser aller à ses émotions. Et en ce cas précis, Karel avait suffisamment observé Wil pour savoir ce qu’il allait dire.

— Enfin… merci d’avoir maintenu le cœur. Sans votre aide à tous les deux, nous n’y serons pas arrivés, les remercia Wil avec sincérité.

Karel répondit par un simple signe avec sourire.

— De rien, mon garçon, répondit Whélos.

Wil se passa une main derrière la tête, gêné.

— Je suis désolé de vous avoir mis en danger. Vraiment. Enfin, au moins, nous sommes arrivés. Le navire et son orbe pourront enfin être réparés comme il se doit, et nous n’aurons plus ce genre de problème. Sauf si on se prend une autre tempête créée par un Dragon maudit.

— C’était impressionnant ! s’écria Aquilée. En tout cas, ça fait du bien quand ça ne secoue plus ! Et si on y allait, maintenant ?

Tout le monde acquiesça et chacun retira son équipement pour le rendre à Wil, qui partit ranger le tout dans la pièce sous le pont.

Karel se pencha par-dessus bord et aperçut d’autres membres de la Tribu arriver : sans surprise, ils affichaient les mêmes caractéristiques que Wil : des yeux bleus, des cheveux foncés aux reflets bleutés, une certaine musculature développée et des branchies à la place des oreilles. Leurs tenues étaient plus ou moins similaires, adaptés à leur quotidien maritime.

— Des étrangers ! cria l’un d’eux. Appelez du renfort, vite !

Wil revint très vite et apparut aux côtés de Karel. Il envoya de grands signes des bras aux siens.

— Du calme ! Ils sont avec moi !

— Wil ! s’écria un des gardes, stupéfait. Tu as survécu !

Il se tourna vers ses collègues.

— Eh, les gars ! Wil est de retour !

Karel vit le soulagement se peindre sur les visages à quelques mètres en-dessous d’eux. Les gardes avaient probablement pensé que leurs pièges avaient été vaincus par d’éventuels ennemis.

Wil lança quelques cordes par-dessus le bastingage, que les gardes attrapèrent afin d’amarrer le vaisseau. Ceci fait, le jeune homme abaissa un levier permettant de dérouler une longue et étroite planche de bois qui vint se poser jusque que la terre ferme. Il jeta un œil au reste du groupe.

— Ne vous inquiétez pas. Laissez-moi faire. Suivez-moi.

Il passa en premier. Karel suivit, puis Lya, Aquilée, et Whélos ferma la marche. Quand Wil posa enfin un pied sur la terre ferme, un garde le rejoignit.

— Wil ! Nous étions tous inquiets ! Sans parler de ton oncle…

— Désolé… Mais je suis là, maintenant ! répondit Wil avec une expression qui se voulait rassurante.

— Qui sont ces personnes, Wil ? interrogea le second garde.

— Ce sont mes amis. Si je suis ici, c’est grâce à leur aide. Je prends toute la responsabilité sur ce qu’ils pourront faire ici. Je vous assure.

— Il s’est passé des choses sur le continent, fit le premier garde. Il faudra que tu nous en parles au Conseil. Némésis a été libéré de la malédiction. Y serais-tu pour quelque chose ?

— Oui, mais pas que. Je vous assure, nous éclairerons la situation ensemble. Mais en attendant, comme vous le voyez, le bateau a besoin de réparations urgentes. Le cœur a été sérieusement endommagé et nous avons bien failli ne pas arriver jusqu’ici. Est-ce que l’un de vous pourriez emmener ce navire dans la zone technique, s’il vous plaît ?

Le garde répondit par un bref signe de tête et héla quelques collègues pour manœuvrer le bateau à plusieurs.

— Allez, reprit le garde. Entrez donc. Je vais avertir le Conseil, il se tiendra certainement demain. Repose-toi, en attendant. Sinbad sera tellement heureux de te savoir vivant ! Va vite le rassurer !

Il jeta un regard vers les autres :

— Quant à vous… désolé, mais la situation est très tendue, depuis que l’un des nôtres nous a trahi. Sans compter ces maudits Clans !

— Vous ne faites que votre travail, assura Whélos. Il n’y a aucun problème. Merci de nous permettre d’entrer sur votre île.

Le groupe se fit escorter par les gardes restants. Karel en profita pour regarder les alentours : le brouillard opaque était toujours visible mais désormais à plusieurs mètres des côtes sur lesquels ils se trouvaient. L’air était très humide. Karel se retourna vers la direction dont il supposait leur arrivée et découvrit une grande chute d’eau opaque, telle une porte dissimulant l’enfer qu’ils venaient de traverser. Le son du roulis intense des pièges aqueux qui se trouvaient derrière continuaient à lui parvenir aux oreilles. Le jeune homme se permit un discret soupir de soulagement à l’idée que cette épreuve soit enfin terminée.

Karel reporta son attention à ce qui l’entourait : à part un sentier humide recouvert d’un tapis vert moelleux accompagné du son de plusieurs chutes d’eau alentours, il ne distingua pas grand-chose. L’air restait brumeux.

Un discret gémissement à peine audible l’interrompit dans sa contemplation des lieux. Karel jeta un regard vers Lya, qui tentait machinalement de masser sa main blessée. Son frère remarqua qu’elle était légèrement enflée, et put apercevoir une partie de sa cicatrice rougie. Alors qu’il entama un geste envers elle, Lya le rassura d’un regard.

— L’humidité, le rassura-t-elle. Ne t’inquiète pas.

« La blessure infligée par Uriel n’est donc pas encore totalement guérie… »

Ils arrivèrent devant un grand portail doré en fer forgé, serti entre deux hautes colonnes sculptées. D’autres gardes s’y trouvaient.

Wil et le garde clarifièrent la situation, et les autres hommes ouvrirent le portail. Whélos eut du mal à contenir son excitation.

Des pavés blancs apparurent sous leurs pieds, créant un sentier qui menait jusqu’à la ville. L’île de la Tribu de l’Eau ressemblait à un bloc montagneux géant perdu en mer. De nombreux étages semblaient avoir été sculptés, au vu des nombreuses habitations à la pierre blanche et aux toits bleus qui s’éparpillaient à de nombreux endroits, semblant presque comme suspendus aux parois rocheuses. De nombreuses chutes d’eau décoraient ces parois, des escaliers et échelles, ainsi que des chemins cachés à l’intérieur de la montagne. À son sommet, Karel distingua ce qui ressemblait à un grand palais, juché au-dessus de tout le monde. Les filets de brouillard donnaient une apparence mystique à l’île toute entière.

Ils passèrent sous une arche blanche.

— Bon. Wil, je te laisse ici avec tes invités, informa le garde. Je pars prévenir le Conseil. Au fait, aurais-tu des nouvelles d’Uriel ?

À ce nom, l’expression de Wil s’assombrit aussitôt.

— Non, malheureusement.

Karel échangea un regard gêné avec les autres : d’un commun accord, Lya s’avança.

— Wil, je… nous pourrons peut-être répondre à cette question…

Wil se retourna vivement vers elle, abasourdi. Il la saisit vivement par les épaules.

— Qu… quoi ? Comment ça ? Vous l’avez vraiment vu ? Quand ?

Karel trouvait Wil bien concerné par cette histoire. Bien plus que le garde, qui se contentait de les analyser d’un air songeur. Ils étaient donc indéniablement proches, autrefois.

Alors que Lya ne sut comment répondre, Whélos intervint en posant une main sur l’épaule de la jeune fille et regarda Wil dans les yeux.

— Il est vivant, si c’est ce que tu veux savoir. Nous te dirons tout ce que nous savons en temps voulu. Pour l’instant, il me semble que tu as de la famille à rassurer d’urgence, dont une personne qui ne peut vraiment plus attendre.

Wil prit sur lui, acquiesça sombrement et relâcha Lya. Karel ne put s’empêcher de remarquer la subtile expression du garde : une expression de malaise.

— Rentre vite à la maison, Wil. Et préparez-vous tous pour demain. Bonne journée.

Avant que qui que ce soit ait pu l’interroger davantage, il tourna les talons et les laissa sur place.

« Je le sens mal. » songea Karel, sombre.

Son intuition lui criait que quelque chose s’était produit. Le malaise s’empara de lui : Wil n’avait-il suffisamment souffert ? Qu’allait-il devoir encaisser, encore ? Sentant un mouvement de Lya, qui avait dû aussi remarquer son changement d’expression, Karel baissa le regard et lui intima par un geste discret de ne rien dire, les dents serrées de colère et de frustration.

« Si ça se trouve, je me fais des idées, comme souvent. Nous venons de survivre à un enchaînement de dangers mortels. Mon esprit doit être encore perturbé, voilà, c’est ça… » tenta-t-il de se convaincre.

Mais son intuition s’entêta à lui hurler le contraire. Alors qu’il se demandait comment dissimuler son expression angoissée, les doigts de sa sœur se glissèrent dans sa main, qu’elle serra comme pour lui redonner courage. Karel apprécia cette chaleur et referma ses doigts sur la main de Lya. Grâce à sa présence, il trouva la force d’inspirer, et de reprendre contenance. Ce n’était pas le moment d’alerter leur ami. Dans quelques instants, Wil aurait bien plus besoin de soutien que d’encaisser le mal-être des autres. Il avait tant attendu ce moment, ce retour désespéré chez les siens.

Le cœur de Karel se serra davantage quand la joie illumina enfin le visage de Wil, qui s’empressa de les mener jusqu’à chez lui. Il aurait tant souhaité partager sa joie !

Leur groupe attirait les regards. De nombreuses personnes cessèrent leurs activités et s’agitèrent, à la fois à la vue d’étrangers parmi eux, et aussi sur ce retour improbable de l’un des leurs. Le nom de Wil fut bientôt sur toutes les lèvres, accompagné d’une expression de soulagement sincère.

Après avoir passé plusieurs maisons blanches au toit rond entourés de petites arches et de colonnes, Wil se dirigea vers l’une d’elle de manière précise. Dès qu’ils furent à quelques mètres de celle-ci, un homme de forte carrure, deux fois plus large que Wil, sortit avec précipitation de la maison, descendit du perron et accourut vers lui les bras ouverts. Les larmes aux yeux, Wil courut se jeter dans ses bras.

— Oncle Sinbad ! s’écria-t-il avec émotion.

— Wil, mon garçon !

Les deux hommes s’étreignirent avec émotion dans les bras. Le dénommé Sinbad était si grand et large que même Wil semblait être une brindille à côté. Son oncle le dépassait d’une bonne tête, avait des cheveux noirs de jais et portait une barbe noire qui se posait jusque sur le haut de son torse. Sa peau était burinée par le soleil, ce qui rendait ses traits encore plus durs, ce qui contrastait beaucoup avec son expression chaleureuse.

— Tu es vivant ! s’écria-t-il. Par les Dragons, quand j’ai su que la malédiction avait obligé Némésis à démonter la mer, je n’ai plus eu de nouvelles ! J’ai bien cru que tu étais mort !

Wil se replaça sur pieds et se dégagea doucement.

— Je suis désolé de t’avoir causé autant de soucis, mon oncle. Mais regarde ! Je suis bel et bien là !

— C’est le plus important, fiston. Enfin une bonne nouvelle !

L’expression de Wil s’assombrit.

— L’état de Maman ne s’est pas arrangé, n’est-ce pas ? Mais tout va bien ! Regarde ! J’ai trouvé quelqu’un qui pourra peut-être la sauver !

— Wil…

Sinbad baissa les yeux. Wil devint livide.

— Non… Ne me dis pas que… que…

— …Je suis désolé, Wil, reprit lentement Sinbad. Mais la nouvelle de ta disparition a ébranlé ta pauvre mère. Elle est morte, mon garçon.

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