Chapitre 15

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Serymar s’impatientait. Même en étant en possession d’une mèche de cheveu de Karel, il ne pouvait pas voir au travers d’un brouillard anti-magie. En particulier celui qui entourait la mystérieuse île de la Tribu de l’Eau. Lui-même n’avait jamais eu la chance de la visiter durant ses longs périples.

— Profite de ta chance, Karel… soupira-t-il, quelque peu envieux.

Cette île qui contenait un savoir immense, qui pouvait être considérée comme étant les archives de Weylor. Serymar avait toujours eu soif de savoir : il ne pouvait nier que l’envie de dévorer le moindre document de cette île l’avait souvent pris.




***




200 ans plus tôt.




Il tournait en rond. Pour la énième fois, il lâcha un long soupir. Assis sur le sol au sommet de l’une des ailes de la Tour dorée, le regard perdu dans l’horizon lointain. La vue était magnifique. La Tour était si haute qu’il pouvait apercevoir l’océan dans le lointain, par-delà les forêts d’un côté, par-delà les montagnes de l’autre. La Tour étant située au centre de Weylor, Serymar disposait d’une vue panoramique imprenable.

Au loin, il perçut la silhouette d’un autre Dragon dans le ciel. Celui-ci était beaucoup trop loin pour qu’il puisse deviner duquel il s’agissait.

Une ombre immense le recouvrit. Serymar ne bougea pas, bras croisés sur ses genoux remontés. Il avait abandonné son manteau depuis longtemps, mettant à jour ses membres draconiques. Il avait gardé les vêtements fournis par Valkor, une tunique sombre par-dessus un pantalon noir. Le vent léger faisait flotter ses longs cheveux d’ébène.

Illuyankas se posa derrière lui sans un bruit. Comme beaucoup de gens, Sang-Mêlé ne dépassait qu’à peine une des pattes immenses du Dragon.

— À quoi penses-tu ? résonna une voix profonde, mais impérieuse, dans sa tête.

Serymar avait appris qu’il était impossible de dérober son esprit d’un Dragon lorsque celui-ci demandait une réponse. La sensation de se faire fouiller les pensées n’étant jamais très agréable, il ne cacha pas son agacement.

— J’ai l’impression d’être revenu au point de départ : je suis dans une cage. Je suis à bout de patience. Il y a encore de nombreux endroits que je n’ai pas visité.

Un grondement se fit entendre.

— Les connaissances que tu nous as réclamées ne te suffisent-elles pas ? Nous t’avons pourtant beaucoup donné, sur ce plan-là. Et tu es bien le seul, à disposer de savoirs que les peuples de Weylor n’ont pas encore découvert et appris. Tu devrais être reconnaissant et apprécier ces dons que tu as obtenu.

Sang-Mêlé ignora la légère contrariété du Dragon.

— En effet, ce n’est pas assez. Et ça ne le sera jamais.

— Si tu es conscient que tu ne seras jamais comblé, à quoi bon vouloir en apprendre encore plus que tout ce que tu as déjà appris ?

— Car vous en conviendrez, ô Illuyankas, que l’évolution du monde ne passe pas par des pensées stagnantes et des pensées que l’on considère comme acquises. Si depuis la nuit des temps, les choses évoluent, c’est principalement parce que les réflexions sont toujours poussées plus loin, indéfiniment. Tant pour vous que pour les mortels, il s’agit d’un puissant moyen de survie, à condition de bien savoir exploiter cette capacité que nous avons tous.

Il marqua une courte pause et fixa l’horizon.

— Alors oui, je suis frustré de m’être battu pendant toute l’année pour arriver à ce résultat : être à nouveau celui dont l’existence doit être caché aux yeux du monde. J’ai entamé ce voyage pour enfin devenir une « personne ». Pas pour redevenir « la personne qui ne doit pas exister ».

— Tu es impatient. Un défaut courant quand on est encore jeune. Réglons d’abord la situation avec le Traître, et nous aviserons après, de savoir si oui ou non, les mortels ont acquis suffisamment de sagesse pour accepter l’existence d’un être tel que toi.

— Je ne tiendrais pas. J’en ai assez d’attendre. Ma vie défile, sans que je puisse en optimiser le temps pour réaliser des choses plus concrètes.

— Tu es semi-Immortel, lui rappela le Dragon. À l’inverse des mortels, tu bénéficies de beaucoup plus de temps. Tu as mon sang : tu es destiné à vivre pendant encore très longtemps. Tu n’en es qu’au début de ta vie.

— Peu importe… Il s’agit quand même de temps perdu.

Serymar réfléchit un instant et, résolu, se releva et fit face à Illuyankas.

— Placez-moi dans les archives de la Tribu de l’Eau. Cela m’occupera. Cette île est inatteignable pour ceux qui n’en sont pas originaire. Et invisible au reste de Weylor. Je pense qu’il s’agit d’un bon compromis au sujet de notre accord. La Tribu de l’Eau est plutôt discrète. Avec vos pouvoirs, vous pourriez…

— Hors de question, trancha Illuyankas. La révélation sur ta présence en ce monde a déjà suffisamment causé de problèmes. La Tribu finirait par être en péril, plus qu’elle ne l’est déjà avec les Clans et les pirates, contre lesquels nous les protégeons. Tu dois attendre encore. Nous aviserons une fois le problème du Traître réglé.

Serymar se refroidit et serra ses doigts sur la pierre, comme pour maîtriser sa colère. Rester enfermé sans rien faire d’autre que regarder les choses se dérouler, lui devenait de plus en plus insupportable. Être le bras droit des Dragons ne lui suffisait plus.




***




Les pensées de Serymar dérivèrent : il se souvenait de ce fameux soir, plusieurs années plus tôt, où Karel lui avait demandé pourquoi ils étaient différents. Pourquoi était-il le seul enfant. Des questions légitimes. Serymar lui avait expliqué que le monde extérieur n’était pas suffisamment évolué pour accepter des personnes comme eux. Des mots semblables à ceux d’Illuyankas à son égard.

Serymar se souvenait de son malaise face à Karel, qui ignorait encore tous les enjeux de cette situation. Ce garçon s’était souvent senti comme enfermé dans une sorte de cage. Ce qui avait d’autant plus augmenté le malaise de Serymar, qui avait eu le sentiment de reproduire ce qu’il avait reproché aux Dragons.

Alors il lui avait exprimé son regret, toutefois sans rentrer dans les détails.

« Je regrette. »

Karel avait été incapable de comprendre son allusion. Mais contrairement à lui, son Apprenti avait pris la chose avec beaucoup plus de philosophie. Il s’était mis en tête de devenir encore meilleur pour convaincre Serymar de le laisser quitter les Monts un jour.

« Tu t’es montré bien plus intelligent que moi sur le sujet, Karel. »

Serymar laissa son espionnage de côté : inutile de perdre du temps à attendre que le groupe quitte l’île, alors qu’il pourrait avancer sur autre chose.

Il rangea avec soin la mèche de cheveu dans un tiroir en bois, à côté d’une mèche rouge comme les flammes : celle de Phényxia.

Il ressentit soudain une sensation en provenance de l’un des cristaux placés sur les Monts. D’un geste, Serymar s’y téléporta.

Il arriva à l’endroit indiqué et aperçut avec soulagement Orën, complètement éreinté par son voyage.

— Bonjour, Maître. J’ai bien vérifié, je ne me suis pas fait suivre, assura-t-il.

Serymar prit le temps d’étendre ses sens un peu plus loin, juste au cas où. Il ne ressentit aucune autre présence. Mais il y avait quelque chose d’autre. Serymar remarqua très vite la manche sale de son interlocuteur. Une blessure. Une profusion de pensées envahit aussitôt son esprit.

— Un problème à signaler ?

— Une simple agression de rue. Des voleurs.

— Plutôt agressifs, pour de simples voleurs, objecta Serymar.

— Maître, si je puis me permettre… Pourquoi me poser des questions dont vous avez déjà trouvé la réponse ?

Serymar observa un court silence, toujours pris au dépourvu quand ses serviteurs démontraient leurs capacités d’observation et de réflexion, et en particulier quand ça le concernait. Mais il passa outre : ce n’était pas ce genre de remarque qui pouvait le déranger. Au contraire.

— Je peux toujours me tromper, répondit-il. Mais au vu de ta réponse, il semble que j’ai vu juste. Que s’est-il passé ? Je veux ton compte-rendu dans les moindres détails.

Comme Serymar avait déjà deviné la véritable origine de ces prétendus voleurs, Orën ne perdit pas de temps sur les détails de l’attaque.

— Ils portaient les mêmes éléments mécaniques de la boîte anti-magie qui vous a piégé autrefois. Heureusement, je ne me suis pas fait attraper. J’ai vérifié, ils n’ont pas réussi à me dérober quoi que ce soit.

Orën lui expliqua comment il avait procédé pour s’échapper. Serymar écouta avec attention : son ennemi était donc bel et bien dans le secteur. Ce qui n’était pas bon du tout.

« C’est beaucoup trop tôt. Karel n’a libéré que deux Dragons. »

L’index sur le menton et plongé dans ses pensées, Serymar analysa le compte-rendu de son serviteur.

— As-tu perdu du sang en chemin ? l’interrogea-t-il.

— Non, Maître. J’ai aussitôt refermé la plaie comme je l’ai pu et attendu qu’elle ne saigne plus avant de venir ici.

— Parfait.

Avec cette science Avancée, Serymar savait que ce peuple était capable d’aller loin. Il ignorait précisément de quoi ils pouvaient être capables encore, mais il avait déjà pu se faire une petite idée. L’idée qu’ils soient capables de pister quelqu’un grâce au sang ne l’étonnerait guère.

Orën sortit de son sac de voyage un livre épais qu’il lui tendit. Serymar le prit.

— Vous ne l’avez pas demandé, mais j’ai pensé que cela vous intéresserait quand même. D’ailleurs, c’est ce qui m’a valu cette agression.

Serymar effleura d’un doigt le titre écrit en lignes argentées, appréciant toujours le travail effectué sur les ouvrages. Le volume traitait du fonctionnement de l’anti-magie. Le genre de livre que l’on ne trouvait pas de partout. L’invention principale de son ennemi. Orën était donc allé au-delà de ses attentes.

— Impressionnant, commenta-t-il. Ne traînons pas ici.

D’un autre geste, il les fit disparaître de la place.

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