Chapitre 17
Le malaise s’empara de Karel. Se retrouver au milieu de la foule et scruté par de nombreux regards, lui restait vraiment inconfortable. Isolé avec ses compagnons sur une plateforme flottante au milieu d’un amphithéâtre blanc géant bâti avec des coquillages. La nervosité le gagnait, si bien qu’il eut du mal à se concentrer sur tout ce qui se disait. Une énième conversation à laquelle il pouvait à peine participer, ou au mieux, de manière passive.
Il tenta de s’isoler mentalement pour ne pas se laisser envahir par le brouhaha que la révélation de leur quête venait de provoquer.
Quelques heures plus tôt, Sinbad les avait emmenés, après leur avoir fait traverser presque l’île entière. Ils avaient monté de nombreuses pentes et escaliers taillés dans la roche, au point où le groupe n’avait plus été capable de repérer la maison familiale une fois arrivés à destination.
Le palais s’était révélé imposant, majestueux et d’une beauté saisissante, grâce à ses murs blancs et à son architecture finement travaillée. Mais le rêve avait été de courte durée, lorsqu’ils avaient pénétré dans la salle du Conseil.
Une chaleur familière interrompit son flot de pensées. Une main se glissa contre l’une de ses paumes. Lya. Karel répondit à son geste en refermant ses doigts sur sa main pour la remercier d’être présente à ses côtés. Cela l’aida à résister contre cette envie d’utiliser le don que Némésis lui avait donné, ainsi qu’à Lya et Aquilée : le don de se rendre invisible.
Il avait la désagréable impression de redevenir la personne asociale qu’il avait été au début de ce voyage. De reculer, alors qu’il avait tant avancé. Karel ne parvenait pas à lutter contre son désir de s’enfermer au fin fond de lui-même et de subir en attendant que ça passe, et laisser sa sœur parler pour lui.
Toutes ces voix consternées qui fusaient autour d’eux envahissaient son esprit jusqu’à l’empêcher de penser correctement. La Tribu de l’Eau était affolée, débattait sans relâche.
« On perd du temps ! »
Karel réprima son envie de leur hurler de se taire et d’avancer sur la discussion, au lieu de perdre du temps en remarques inutiles. Suivie de cette éternelle frustration d’être obligé de subir.
« Mais qu’est-ce qui me prends, à penser de cette façon ? » se désola-t-il, déçu de lui-même.
— Éloignons-nous de Weylor ! s’écria l’un des membres du Conseil. Partons vers une terre où nous serons enfin libres de la menace des Clans !
— Et laisser le reste de Weylor entre leurs mains, alors que nous pouvons leur fournir l’aide dont ils ont besoin grâce à notre technologie avancée ? contra un autre. Il est temps de se réveiller, au lieu de nous cacher éternellement !
— Notre technologie n’est pas faite pour créer des armes ! tempêta un autre en frappant son poing sur sa table. Elle ne doit servir qu’à aider les gens dans leur quotidien, et à assurer le bien-être et le confort d’un maximum de personnes ! L’inverse serait déshonorer nos ancêtres, et surtout, les Dragons à qui nous devons la vie !
Une autre vague de brouhaha emplit l’amphithéâtre. Personne ne savait comment aborder le problème.
Aquilée se leva et rejoignit un petit appareil qui servait, d’après Wil, à amplifier le son d’une voix.
— S’il vous plaît, veuillez m’écouter.
Karel ne fut pas le seul à être impressionné. Il ne reconnaissait plus la jeune fille qu’il avait rencontré à Sheyral : Aquilée semblait avoir gagné en maturité et redoutait moins d’aller de l’avant. Même si sa main restait encore crispée, traduisant sa nervosité et son manque d’assurance.
Le bruit ambiant se calma un peu, remplacé au fur et à mesure par des chuchotements. Karel vit Aquilée expirer discrètement.
— La question n’est pas de savoir ce que vous devez faire, mais quelle position allez-vous prendre. Beaucoup de peuples sur Weylor sont comme vous, nous voulons tous la même chose : vivre en paix, pouvoir échanger en sérénité. Nous devons faire face à cette situation en fonction de nos capacités propres. Vous disposez d’une magie extraordinaire, que vous avez intelligemment mêlé à la science Avancée. Mon peuple est le plus rapide, et le plus apte à envoyer des messages à travers Weylor toute entière, et ce en dépit des risques que représentent les Clans et les bandits. La Tribu de l’Esprit est maîtresse dans l’art de la défense. La Tribu de la Terre sait parfaitement comment sécuriser les plus faibles. Et ainsi de suite.
Aquilée marqua une courte pause. Les chuchotements se turent, indiquant que toute l’attention était concentrée sur la jeune fille. Aquilée eut du mal à soutenir autant de regards.
— Les Tribus ne sont pas les seuls peuples à avoir ce souhait. Que cela soit Sheyral, Winror ou la capitale… je suis certaine qu’ils voudront bien nous aider. Dans tous les cas…
Karel la vit flancher. Aquilée perdit soudain ses mots. Sa frustration granfit. Ses pensées se bousculèrent dans son esprit avec violence, comme pour l’implorer de les laisser s’exprimer. Mais Karel ne le pouvait pas.
Il se contenta de venir au secours de son amie : il la prit doucement par les épaules pour l’éloigner de l’amplificateur de voix, à défaut de l’encourager par les mots.
— Je suis désolée… s’excusa Aquilée dans un murmure en baissant les yeux.
Karel tenta, par sa prise, de lui assurer qu’elle n’avait pas à s’en vouloir. Wil s’avança et saisit l’amplificateur de voix.
— Il faut faire vite. Nous ignorons combien de temps nous avons.
L’homme au centre de l’assemblée, un homme massif d’un âge mûr qui imposait le respect, fixa Wil droit dans les yeux.
— Il est facile de dire ça, mon jeune ami. Entends bien que nous devons réfléchir : personne ne tient à envoyer quiconque de plus vers une mort prématurée.
Wil ne se démonta pas.
— Je le sais bien, Chef. C’est justement pour ça que nous nous en remettons à vous, qui avez plus d’expérience sur le sujet. Je vous prie seulement de me laisser vous informer du danger qui nous menace dehors, afin que vous puissiez prendre la décision la plus éclairée possible.
— Raconte-nous ce que tu as vu, lui fit le Chef avec bienveillance. Tu as toute notre attention.
— Je vous remercie, répondit humblement Wil en s’inclinant.
Il se redressa.
— Nous avons vu… ce qui a causé la Malédiction des Dragons il y a deux cent ans.
Des murmures paniqués et consternés parcoururent l’assemblée. Le Chef de la Tribu leva la main pour ordonner le retour au calme.
— Je sais que cela paraît inconcevable, reprit Wil. Mais cette abomination existe bel et bien. Cette machine a le don de résister à la magie. L’être à l’origine de cette chose est une personne qui désire instaurer sa propre suprématie, et éradiquer tous les possesseurs de magie de Weylor. Comme à l’époque de nos ancêtres. Sauf que cette fois, cet homme désire en plus détruire les Dragons.
Wil marqua une courte pause, laissant le temps au Conseil de saisir la gravité de la situation.
— Mes amis et moi-même avons vu cette abomination de nos propres yeux. Elle est en parfait état de fonctionnement.
— Comment expliques-tu que son possesseur ne l’ait pas encore utilisée contre les peuples ? cria une voix.
Wil hésita et consulta ses amis du regard : Karel frissonna et jeta un regard gêné vers Whélos, qui se fit songeur. Devaient-ils révéler l’existence de Serymar ? Si le Mage avait fait en sorte de se cacher des yeux de Weylor depuis plusieurs années, c’était bien pour une raison. Que Karel ne comprenait que depuis leurs dernières découvertes. Discrètement, il indiqua à Wil de garder cette donnée encore secrète. Wil assentit.
— Il leur manque… une magie particulière, répondit-il à la place. À défaut, ils essaient de faire autrement, sans succès. C’est pour ça qu’ils m’ont volé le cœur du navire, pour en extraire la magie pour faire fonctionner cette machine. C’est pour ça que mon bateau a failli ne plus passer nos pièges ! Et que nous subissons régulièrement des attaques !
Des murmures s’élevèrent. Le Chef de la Tribu se releva.
— Très bien, annonça-t-il. Merci pour cet avertissement, Wil. Vous pouvez disposer. Nous allons voir ce que nous pouvons faire pour affronter cette situation ensemble. Nous allons aussi contacter les autres Tribus et organiser un conseil des Chefs pour établir un plan d’action. Continuez votre quête, sauvez les Dragons restants. Les Dragons nous ont permis de vivre, et nous ont beaucoup donné. Il est temps de leur rendre la pareille, et de leur venir en aide !
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