Chapitre 19

6 minutes de lecture

Wil s’approcha de l’étrange table composée d’éléments mécaniques. La curiosité anima Karel.

« Par quel procédé sont-ils parvenus à créer un catalogue aussi précis en mêlant magie et mécanique ? »

L’aisance de Wil avec ces inventions l’impressionnait. Le jeune homme s’approcha de l’appareil et Karel suivit avec intérêt les mouvements de sa main pour comprendre le fonctionnement. Wil appuya sur des boutons carrés sur lesquels étaient finement gravés les lettres de l’alphabet. Son ami pianota le mot « Prophétie » et pressa autre bouton.

Plusieurs pages du catalogue se feuilletèrent d’elles-mêmes comme si la magie les animait. Plusieurs dalles sur le sol brillèrent d’une lueur bleue, traçant un chemin dans le dédale de l’immense bibliothèque.

— Impressionnant ! commenta Whélos, admiratif.

— On a vraiment l’impression d’être dans un autre monde, ici, ajouta Aquilée. Est-ce pareil chez les Avancés, Wil ?

— Non, répondit-il. Je n’y suis jamais allé. Tout ce que je sais, je le tiens de d’autres marins de la Tribu. À ce qui paraît, tout chez eux est mécanisé, et ils sont parvenus à créer des inventions capables de rivaliser avec la magie. Mon peuple s’en est énormément inspiré pour la mêler à la magie, et créer des choses nouvelles. Mais bon, avec les Clans et les bandits, c’est plutôt difficile de proposer tout ça au reste de Weylor.

— Ce doit être frustrant, compatit Lya.

Wil confirma d’un mouvement de tête.

— Hélas. Sinon, ça ferait déjà plusieurs années que les gens vivraient dans un meilleur confort quotidien. Tu imagines ? Une personne âgée, seule, qui doit encore aller chercher du bois pour se chauffer l’hiver ou de l’eau… ce sont des charges plutôt pénibles. Ça serait sympa de rendre ce genre de tâche quotidienne plus facile, tu ne penses pas ? Admettez qu’avoir de l’eau directement dans sa maison est un luxe appréciable.

Chacun confirma.

— Bon, reprit Wil. Je pense que vous avez compris le fonctionnement. Vous tapez un mot concernant ce que vous souhaitez chercher, et la pièce vous indique le chemin. Si vous voulez faire une recherche plus précise, touchez simplement une section ou un ouvrage listé sur les pages du catalogue.

Il se recula, fixa Whélos et lui sourit.

— À toi l’honneur. Tu as tant attendu pour être ici, profite !

— Vas-y, Whélos, tu meures d’impatience ! renchérit Lya. Nous allons nous débrouiller chacun de notre côté. Allez ! Ou tu risques de le regretter !

Chacun soutint Lya en se plaçant à ses côtés. Un sourire amusé s’afficha sur le visage de Whélos.

— Avec une telle invitation, je ne peux pas refuser !

Il partit sans attendre.

— À qui le tour ? demanda Wil, le sourire aux lèvres.

Karel attendit que tout le monde passe avant lui. Il insista auprès de Wil, qui finit par obtempérer et disparaître dans l’immense dédale. Une fois seul, le jeune homme vérifia une dernière fois que personne ne le regardait, avant de s’approcher de l’étrange catalogue. Il se sentit un peu ridicule de ressentir ce besoin de se faire discret, mais sa gêne était la plus forte.

Il approcha les doigts du clavier et appuya sur certaines lettres. « Mutité – guérir ».

Whélos effectuait des recherches sur la Prophétie. Aquilée sur l’Histoire des Clans pour trouver un moyen de faire face à Phényxia. Lya s’était décidée à enquêter un peu plus sur les Dragons, tandis que Wil avait orienté ses recherches sur ce qu’il avait nommé « la mécanique bionique » pour en savoir plus sur ce totem macabre. Du groupe, il était le seul à avoir le plus de chance de comprendre cette science complexe. Au moins dans les grandes lignes.

Plusieurs lumières apparurent à ses pieds. Karel suivit le chemin tracé et, dans le dédale, fit en sorte de mémoriser le chemin.

Il marcha pendant quelques minutes, jusqu’à ce que la piste s’arrête. Karel regarda les innombrables étagères autour de lui et aperçut toute une colonne éclairée. Le Sorcier remarqua sur le sol une plaque accompagnée d’un levier : cela devait certainement servir à atteindre les livres rangés beaucoup plus haut.

« Seulement trois heures… » soupira-t-il. « Il faudrait beaucoup plus de temps rien que pour étudier toute une section ! »

Du bout de l’index, il effleura les diverses tranches des ouvrages qui se présentaient à lui. Il resta impressionné par la finesse de fabrication de chacun. Le moindre objet représentait une sorte d’œuvre d’art à ses yeux. Tout était beau. Karel avait toujours déploré la difficulté d’accès aux livres. Il ne comptait plus les fois où il s’était senti inculte, pas assez savant pour être capable de gérer certaines situations. C’était une des choses qui lui manquaient le plus depuis qu’il s’était enfui des Monts de la Mort.

Karel ignorait ce qu’il cherchait vraiment. Était-ce une malédiction lancée par les Dragons ? Une anomalie de la nature ? D’où provenait cette incapacité physique d’utiliser une voix ? Il décida de laisser libre cours à son excitation depuis qu’il avait mis les pieds ici.

Sa main tira soigneusement un livre. Karel apprécia le contact de la matière sous ses doigts et découvrit enfin les premières pages. Une expression sereine passa sur son visage : combien d’années n’avait-il plus eu l’occasion de tenir un livre dans ses mains ?

Durant les premières secondes, ce fut comme s’il redécouvrait un objet rare. Le vieux livre pour enfant de Lya n’était plus suffisant depuis des années, bien que Karel ressentait un pincement au cœur de le savoir réduit en cendres avec la maison familiale.

Karel reposa le livre et en choisit un autre, mais ne trouva pas de réponse à ce qu’il recherchait : y avait-il un moyen de guérir de son problème ?

Après plusieurs heures, un cri le fit sursauter et l’arracha de sa lecture.

— Non ! Non ! Ce n’est pas possible ! Cela n’a pu se passer ainsi !

Affolé, Karel rangea le livre à sa place et se précipita en courant vers la source de la voix. Celle de Whélos.

Ce ne fut qu’après plusieurs détours qu’il manqua de rentrer dans Aquilée. Tous les deux se remirent à courir en direction de Whélos jusqu’à le rejoindre. Ils se figèrent.

Lya et Wil avaient déjà rejoint le chercheur, à genoux sur le sol, ses mains accrochées sur ses tempes, le visage déformé par une intense grimace de douleur et de désespoir.

— Eh ! Whélos ! Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda Lya, les mains sur ses épaules.

Le chercheur fut incapable de répondre et gémit en resserrant de plus belle son étreinte sur ses tempes.

— On… hésita Wil. On dirait que ses souvenirs arrachés reviennent…

Le cœur de Karel se contracta en voyant la souffrance déformer le visage de leur ami. Whélos ne semblait plus voir ce qui se passait autour de lui. Il devait revivre son agression avec Serymar. Karel frissonna de terreur : l’image du serviteur mourant brutalement à ses pieds, les yeux révulsés par la souffrance, s’imposa de nouveau à son esprit, de même que le bras ensanglanté du Mage, ainsi que les cadavres qu’il avait pu apercevoir durant sa fugue.

« Bon sang, mais que vous a-t-il fait ? » paniqua-t-il.

Aucun d’entre eux ne pouvait venir en aide à Whélos d’une manière concrète. En revanche, ils n’étaient pas seuls.

Karel prit les devants et s’élança vers Wil. Il ne laissa pas son ami se remettre de sa surprise et le tira vivement par le bras pour le pousser en direction de la grande double-porte. Wil se ressaisit et comprit le message que cherchait à lui communiquer Karel. Le marin se précipita aussitôt vers les double-portes, sortit de la bibliothèque en courant pour appeler de l’aide.

Whélos sembla sortir d’une longue apnée. Son regard redevint lucide, mais les Sorciers furent frappés par l’intense détresse qu’ils y perçurent. Le chercheur ne les avait jamais habitués à cette réaction de sa part.

Lya et Aquilée le soutinrent chacune par un bras.

— Whélos, est-ce que ça va ? s’enquit Lya.

Le chercheur fixa Karel avec intensité. Le jeune homme se figea. Le désespoir dans les yeux de Whélos le frappa comme une lance en plein cœur. Il peinait à articuler le moindre mot. Ses mains tremblaient et son visage était ravagé par une douleur intense.

— Karel… articula Whélos avec difficulté. Mon garçon, je t’en supplie, pardonne-moi…

Sa voix s’étrangla. Chaque mot prononcé sembla lui causer une souffrance telle que Whélos devait lutter pour ne pas céder à la folie qui cherchait à le gagner.

Karel ne sut comment réagir.

— Whélos, qu’est-ce qui te met dans un état pareil ? intervint Aquilée pour lui. Pourquoi Karel devrait-il te pardonner ?

Whélos se força à respirer, une main sur le cœur et releva ses yeux embués vers Karel. Chaque Sorcier était choqué. C’était la première fois qu’ils le voyaient ainsi.

— Je t’assure, je… je ne voulais pas de ça ! Je ne pensais pas que ça se passerait ainsi ! C’est…

— Whélos, dis-nous ce qui se passe ! l’encouragea Lya.

Le chercheur se raidit. Ses larmes s’intensifièrent.

— Ma chère Lya, j’espère que tu me pardonneras aussi… Je… Par les Dragons, mes enfants, je suis celui qui a provoqué les drames de votre famille !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Eylun ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0