Chapitre 23 - 1
Karel s’était écroulé. Entre le Conseil, la découverte de la Prophétie et les heures suivantes où personne n’avait su comment aborder la situation, la fatigue l’avait terrassé. Lorsqu’il émergea, il se rendit compte qu’il était le dernier, au vu des hamacs vides suspendus dans la chambre de Wil. Il se leva et s’habilla.
Après sa conversation avec Wil la veille, Karel était aussitôt allé voir Lya, et avait pris le temps de vraiment discuter avec elle. Après cette journée quelque peu chaotique, cette discussion avait apporté une douceur plus que bienvenue.
Karel termina de nouer ses cheveux vite fait au niveau de sa nuque, enfila ses chausses et poussa la porte menant à la pièce principale. Il aperçut Sinbad de dos, affairé derrière ses plaques de cuisine. Il songea qu’il s’agissait d’un système bien plus pratique que les poêles à bois qu’il fallait couper ou qui nécessitaient de fabriquer du charbon.
— Ah ! Enfin réveillé ! Tu semblais si éreinté par la fatigue que personne n’a osé te réveiller ! l’accueillit Sinbad.
Karel alla lui demander où se trouvaient ses amis, mais se rappela que Sinbad ne comprenait pas la langue des signes. À défaut, il se contenta de le saluer poliment d’un signe de tête approprié. Sinbad se retourna, un plateau comportant une théière en fonte fumante, quelques tasses, du pain et de quoi le garnir. Il posa le tout sur la table basse centrale et s’assit sur l’un des coussins disposés autour.
— J’ai mis ta part de côté. Viens, installe-toi donc !
Karel hésita, gêné par tant d’attention. Voilà un bon moment qu’il estimait qu’ils envahissaient un peu le vieil homme. Sinbad afficha une expression sévère.
— Si tu ne t’assois pas et que tu ne te sers pas, je risque de me vexer, mon garçon, annonça-t-il d’un ton bourru. Je n’aime pas avoir des restes sur les bras.
Ne souhaitant pas contrarier son hôte, Karel obtempéra et s’installa en face de son hôte, qui lui versa le thé fumant dans une tasse en bois qu’il lui tendit. Karel se crispa.
« Pourquoi même dire « merci » doit-il être aussi compliqué ? »
Il redoutait de contrarier Sinbad et de paraître impoli.
— C’est donc vrai. Tu ne peux vraiment pas parler.
Karel perdit le fil de ses pensées chaotiques et leva les yeux vers Sinbad.
— Il suffit d’observer. Depuis que tu es arrivé, je n’ai pas entendu le son de ta voix. Les autres ont tendance à parler pour toi. J’ai vu les regards que tu échangeais avec la petite rouquine. Quand elle parle, elle a tendance à signer sans s’en rendre compte.
Karel ne répondit pas, mais une expression soulagée s’afficha sur son visage. Il se souvint d’une réflexion de Wil, alors que celui-ci s’excusait pour son attitude lors de leur rencontre : « mon oncle aurait vraiment eu honte de moi s’il avait eu vent de ma première façon de me comporter avec toi ». Sinbad semblait être quelqu’un de très ouvert d’esprit.
Pendant que Karel se servit à manger, Sinbad lui tendit une feuille de papier avec un crayon.
— Je me sens trop vieux pour avoir le courage et la patience d’apprendre toute une langue. Même notre propre savoir commence à me dépasser, c’est dire ! Je compte prendre ma retraite et donner mon bateau à Wil. Il en a bien plus besoin que moi.
Karel répondit par un léger sourire amusé.
« Votre neveu a raison. Vous aimez bien bavarder. »
Il avait tant de questions à lui poser sur sa vie. Karel trouvait cet homme intéressant. Il admirait sa force et son courage, d’avoir enduré et traversé tout ce que la vie lui avait imposé. Le jeune homme souhaitait du fond de son cœur, que Sinbad soit enfin débarrassé de tous ces tracas et que son avenir devienne plus serein.
Il prit le crayon et inscrivit un nom. Karel tourna la feuille et la fit glisser jusqu’à Sinbad.
— Whélos ? Votre ami érudit, si je me souviens bien ?
Karel confirma.
— Il est sorti. Mais il a refusé de déjeuner avec nous. Il tenait à être seul. J’ignore où il est. Et comme tu ne peux demander à personne… mh… il me semble qu’il était très intéressé par la conception de nos navires. Tu peux peut-être commencer tes recherches là-bas : ma fille travaille sur le chantier naval. Elle saura certainement t’aider !
Karel reprit le morceau de papier, nota autre chose, et le rendit de nouveau à Sinbad.
— Oh, pour ça, ne t’en fais pas, tu sauras la reconnaître ! Elle est aussi espiègle que mon Wil ! Et avec la même énergie, en prime… Ah, cela me rappelle l’époque où ils étaient enfants, pas un pour rattraper l’autre ! C’était à qui faisait le plus de bêtises, quand ils ne s’y mettaient pas à deux. Là, on pouvait vraiment s’attendre à tout. Ils nous en ont fait voir, tous les deux !
Il but une gorgée de son thé.
— Un jour, quand ils étaient des ados, tous nos bateaux refusaient de fonctionner. Nous avons découvert que ces deux garnements s’étaient amusés pendant la nuit à mélanger les orbes servant à les faire fonctionner. On leur a exigé de réparer leur bêtise pour punition, mais tu parles… ils sont restés hilares jusqu’au bout !
Karel répondit par une expression amusée, appréciant d’en apprendre un peu plus sur la vie de son ami. Il inscrivit le prénom d’Uriel.
— Uriel était un peu introverti. Il est l’aîné de Wil de cinq ans. Athéna est un peu plus jeune que Wil, elle a ton âge. Uriel préférait rester à l’écart et s’occuper de ses propres affaires.
Karel acquiesça puis inscrivit « chantier naval » sur le morceau de papier, et termina son petit déjeuner.
— Pour accéder au chantier naval, suis le chemin en sortant de la maison. Prend sur ta droite au premier croisement, jusqu’à trouver des escaliers qui descendent. Prends-les jusqu’au bout, et tu arriveras au chantier naval.
Karel le remercia d’un signe de tête et se releva, la vaisselle dans les mains. Sinbad le dissuada du regard.
— Laisse ça, ou je me fâche. C’est moi qui invite, c’est moi qui m’en occupe. Va retrouver ton ami, plutôt !
Suite ===>
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