Chapitre 24 - 2

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— Je suis tellement, mais tellement désolé, Karel ! se lamenta Whélos. C’est moi qui t’ai vendu à ce monstre ! C’est à cause de moi qu’il a réussi à te localiser ! C’est à cause de moi que tes parents ont tant souffert, c’est moi qui ai gâché vos vies, à Lya et à toi !

Karel ne répondit rien. Il essayait encore de digérer l’infamie causée par son ancien mentor.

« Comment les Dragons peuvent-ils songer que je puisse faire quoi que ce soit contre ce genre de personne ? »

— Nous sommes fautifs, ajouta Whélos, malheureux. Même si je vous avais trouvé avant, tu aurais aussi été prisonnier et isolé… Nous ne valons pas mieux que ton monstre de Maître !

Il hurla les derniers mots, pris d’un soudain accès de folie, de ressentiment envers lui-même, remettant en cause tout ce qu’il avait pourtant admiré. S’était-il trompé de voie durant tout ce temps ?

— Tout ce que je souhaitais, c’était maîtriser parfaitement mes connaissances en magie, ajouta Whélos, amer. Pas ce genre de chose. Mais, emporté par ma soif d’apprendre, j’ai fini par arriver très haut. Au début, j’ai trouvé ça merveilleux : j’avais accès à un nombre presque illimité de connaissances, même les plus secrètes ! Jamais je n’aurais pensé que cela me mènerait à ce genre de finalité…

Il marqua une courte pause, prenant le temps de nettoyer ses lunettes.

— Ce fut pour cette raison qu’après cette agression, j’ai quand même décidé de te retrouver, pour accomplir la Prophétie. Ton Maître m’avait certes volé les souvenirs liés à cette prédiction, mais pas mon passé : j’ai donc pu enquêter sur ce que j’avais perdu, et c’est ainsi que j’ai appris ce qui était malheureusement arrivé à la Kyrma, peu de temps avant que Serymar ne me rattrape. Cette mission que je me suis donnée a pour seul but de me racheter auprès de vous. De restaurer la prospérité de Weylor à mon petit niveau, d’arranger les choses comme je le peux. Mais je doute que cela suffise à effacer mes erreurs.

Whélos se tut et réinstalla ses lunettes sur son nez.

— Je suis tellement désolé, mon garçon. Vraiment. Si j’avais pris conscience des choses plus tôt, j’aurais peut-être pu éviter cette catastrophe, et ainsi me faire repérer par Serymar. J’ai été tellement aveugle et stupide ! Et je ne pourrai jamais corriger cette erreur du passé ! Même en suppliant Illuyankas de m’accorder les pouvoirs du Temps !

Sur ces mots, Whélos saisit son bâton pour se lever. Karel l’intercepta d’une poigne ferme sur son épaule et l’obligea à rester assis en face de lui, le regard sévère.

« Whélos, regarde-moi ! J’ai besoin que tu me regardes pour te parler ! » hurla-t-il en pensées.

Les autres pouvaient toujours s’imposer en hurlant, il était aisé d’ignorer Karel en lui tournant le dos ou en fermant les yeux. Cette situation injuste se rappela à Whélos, qui lutta contre le réflexe de baisser le regard. Karel le relâcha et le fixa avec intensité.

— « Je suis en colère », signa-t-il. « Mais pas contre toi. Cette situation n’était pas de ta faute, tu étais pieds et poings liés ! Cette situation me révolte ! Whélos, qu’aurais-tu pu faire d’autre ? Laisser Œil-de-Sang me tuer ou faire de moi un monstre sans cœur ? Laisser Serymar m’enlever de ma famille ? Ce n’est pas comme si tu avais cherché à nous séparer ! Je connais mes parents, maintenant. Ils auraient accepté de quitter Var pour me protéger. Dans tous les cas, ma vie était déjà tracée ! »

Il marqua une pause, le temps pour Whélos d’assimiler ses signes.

— « Tout ceci n’incombe pas de votre volonté », insista Karel. « J’ai compris le dilemme qui t’a animé. Et honnêtement… j’ignore si j’aurais été capable de faire mieux, à ta place. Tu n’as rien fait de mal. Tu as juste essayé de me protéger. »

Karel était bien placé pour savoir à quel point il était difficile de prendre le dessus sur un adversaire comme Serymar.

— « Whélos… si même les Dragons ne peuvent s’en prendre à lui… qui le pourrait ? »

La Prophétie avait beau attester l’inverse, Karel était toujours incapable d’y croire. Serymar connaissait tout de lui. La moindre de ses failles. Son fonctionnement entier. Il n’avait pas tout à fait vingt-cinq ans. Comment pouvait-il rivaliser contre un semi-Immortel avec autant d’expérience et des pouvoirs aussi extraordinaires ?

Whélos ne répondit pas. Karel s’adoucit.

— « Whélos. Je t’en prie, cesse de t’en vouloir. En dépit de ce drame, tu as encore essayé de me retrouver. Tu as réussi. À l’époque, je refusais catégoriquement de faire face à mon passé. Je pensais qu’avec le temps, cette gêne s’estomperait, mais j’ai compris, maintenant, à quel point je me mentais et me complaisais. Ce n’est pas en tournant le dos à son passé que l’on se reconstruit. »

Whélos resta mutique, encore bouleversé par les récents événements. Mais il demeura attentif aux signes de Karel, une lueur de curiosité dans le regard, l’invitant à développer.

— « J’étais dans le déni le plus total : je refusais de voir à quel point j’avais perdu mon temps dans une illusion, et faire ce constat me rendait dingue. Vous m’avez tous ouvert les yeux. Et même si ça m’a fait mal, je vous en remercie, du fond du cœur : vous m’avez apporté exactement ce qu’il me fallait. Je commence enfin à faire la part des choses. »

Il marqua une pause. Jamais Karel ne s’était senti aussi léger, allégé du poids de ses souffrances. Il était sincère et espérait que Whélos comprendrait. Il plongea son regard dans les yeux de Whélos.

— « Merci. Du fond du cœur. Je t’en prie, ne tombe pas dans ce travers. Affrontons l’adversité ensemble, nous avons besoin de toi. »

— Karel…

Le jeune homme lui prêta une oreille attentive. Whélos ajusta machinalement ses lunettes.

— Tu devrais avoir plus confiance en toi-même.

Karel l’interrogea du regard.

— Tu utilises de plus en plus la magie sans utiliser ton artéfact. Tu ne l’as pas utilisée dans le bateau, avec ce tabouret que tu as transformé. Tu t’en es aussi passé d’autres fois au cours de notre voyage.

Karel se figea. Il ne s’était pas rendu compte. Whélos le regarda dans les yeux.

— Je pense que tu peux te permettre de t’entraîner à mieux maîtriser tes pouvoirs. À passer à l’étape supérieure. Tu es en bonne voie pour devenir un Mage.

« Mais cela demande des années d’entraînement… Je n’en suis quand même pas à ce point… »

Bien qu’il ne put entendre sa pensée, Whélos lui envoya un regard bien significatif.

— Je te l’ai dit : tu devrais avoir plus confiance en toi-même. Tu fais ça de plus en plus naturellement. Si je n’ai pas une bonne opinion de ton ancien Maître, je dois reconnaître qu’il t’a excellemment formé. Vu le peu dont j’ai pu être témoin de sa part et ce que tu m’as raconté, ça ne m’étonne que très peu. Tu es beaucoup plus en avance que ce que tu penses, pour ton âge. Crois-moi.

Karel ne répondit pas, abasourdi par cette déclaration. Nerveux, il riposta qu’il serait bien trop présomptueux pour prétendre à ce statut.

— Je peux t’apprendre, si tu veux. Enfin, jusqu’à ce que tu puisses trouver un Maître qui maîtrise la magie. Je ne pense pas être au niveau de Serymar, mais je ferais de mon mieux.

Karel mit de longues secondes avant de répondre, mais offrit un sourire à Whélos.

— « Si tu étais doté de magie, j’en suis sûr, tu aurais fait un très grand Mage, et puissant, avec le savoir que tu possèdes. Je serais honoré de bénéficier de tes nombreuses connaissances, Whélos. J’ai beaucoup à apprendre de toi. Merci. »

— Ce sentiment est partagé, lui répondit Whélos avec une expression émue. C’est un honneur pour moi de vous aider à atteindre le sommet de vos capacités, à tous les quatre. J’ai enfin l’impression d’avoir trouvé ma véritable voie.

« Il n’y a pas forcément besoin de magie pour l’enseigner » signa le jeune homme.

Dans ses souvenirs, même Serymar avait usé, au final, de bien plus d’explications et de démonstration physique que de magie en elle-même pour lui transmettre son savoir.

— « Tu devrais postuler pour Valkor », proposa Karel. « Du fait que tu sois un Sans-Pouvoir est un plus : tu pourrais changer les mentalités, Whélos. Et prouver que l’on n’a pas besoin de magie pour atteindre les sommets. »

— Mh… je devrais y réfléchir.

Il marqua une courte pause et fixa Karel.

— Tu as beaucoup changé, depuis notre première rencontre à Sheyral. En bien. J’ai beaucoup de mal à reconnaître le jeune homme introverti et déboussolé à qui j’ai offert un repas.

Karel inclina légèrement la tête avec une expression reconnaissante.

— « C’est grâce à vous tous, que j’en suis là. Je ne vous remercierai tous jamais assez de m’avoir tant apporté. »

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