Chapitre 21

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Monts de la Mort.

— Puis-je avoir un instant ?

Serymar se retourna et aperçut Elma dans l’encadrement de la porte. Elle semblait confuse. Elle n’était pas la seule. Il n’en revenait toujours pas de son audace. Le feu de ses lèvres se faisait encore ressentir sur les siennes. Contrairement à Syriana la première fois, il l’avait laissée faire sans la repousser et y avait même répondu en réprimant l’envie d’aller plus loin. Il se dégoûtait, à l’idée de se dire qu’il ne valait pas mieux que ceux qu’il détestait au plus haut point.

Il fixa Elma. Depuis cet événement, aucun n’osait évoquer cet instant d’égarement. Elle entra dans le bureau avec cette assurance nouvelle qu’elle lui affichait depuis qu’elle l’avait poussé à tout lui dire. Elle arriva à sa hauteur. Il resta de marbre, refoulant ses questionnements à leurs propos. Il avait l’impression de la voir telle qu’elle était après tant d’années à l’ignorer et à la blesser. Elma n’était pas aussi raffinée que Syriana, mais sa résilience, son courage et sa détermination l’impressionnaient. Il en regrettait de l’avoir insultée de soumise indigne d’être respectée.

Elma lui présenta ses paumes, sur lesquelles reposait une araignée mécanique enveloppé dans un linge.

« Probablement pour ne pas déclencher des souvenirs. » devina-t-il aussitôt, surpris.

— Je tenais à vous montrer ceci, répondit-elle à sa question silencieuse. Plus de cachotteries. Je pense que ça pourrait vous intéresser.

— Où as-tu trouvé cela, Elma ?

— Je veux bien vous répondre, mais êtes-vous prêt à entendre quelque chose de désagréable ?

Serymar hésita, comprenant le sous-entendu. Encore un non-dit de Syriana, à cause de lui, de cette non-confiance. Son cœur se serra. De par sa méfiance, il ne l’avait pas convaincue de compter pleinement sur lui. Une erreur qui leur avait été fatale. Il prit conscience des efforts qu’il devrait fournir pour ne plus répéter cette tragique erreur.

— Je suis désolée, j’ai vu des choses que je n’aurais jamais dû voir, s’excusa Elma. Et que j’aurais souhaité éviter. J’en fais encore des cauchemars.

— Qu’as-tu vu ? s’enquit Serymar.

Elma baissa la tête.

— Le jour de votre rencontre avec Syriana.

Serymar se figea et comprit instantanément d’où provenait l’immondice sous ses yeux.

— Quel était son effet ?

— Je serais incapable de vous le dire, grimaça Elma. Regardez dans mon esprit, s’il vous plaît. Je ne me sens pas capable de le dire à haute voix. Ça ne rendrait cette horreur que plus réelle.

Il posa ses doigts sur ses tempes et pénétra dans son esprit en douceur. Alors qu’il s’infiltrait et l’enveloppait de son propre esprit, il fut surpris de percevoir un désir profondément enfoui pendant de nombreuses années et qui commençait à se manifester après si longtemps à avoir été réprimé. À son intention.

— Montre-moi, la guida-t-il.

Mieux valait qu’elle le lui montre de sa propre volonté. Forcer était toujours dangereux. Elma se concentra, fébrile. Serymar perçut les premiers fragments du souvenir. Il y plongea pour percevoir le reste, comme s’il ouvrait la porte d’une nouvelle pièce à explorer.

Il découvrit tout d’un autre point de vue. La honte l’envahit à l’idée de s’être affiché en un tel état de faiblesse. La mélancolie l’oppressa en revoyant son amour à l’apparence si fragile avoir le courage d’affronter l’horreur pour le secourir. Il dût se faire violence pour s’arracher à sa contemplation et recentrer son attention sur l’objet du souvenir. Il comprit tout en un instant et se retira avec délicatesse de l’esprit d’Elma.

Cette dernière était redevenue pâle, frémissant à ce terrifiant souvenir. Serymar serra ses épaules menues.

— Je suis… navré, que tu aies vu ça.

— Peu importe. Tant que cela vous aide.

— Tu n’imagines pas à quel point.

Elma l’interrogea du regard. Si semblable à celui de Syriana. L’espoir le gagna. Peut-être que la situation n’était pas si désespérée. Il afficha une expression fière.

— Orën et toi venez de me fournir les clés pour détruire l’arme d’Œil-de-Sang. Et peut-être lui-même, qui sait.

La surprise se peignit sur le visage d’Elma. L’émotion la submergea et un sourire flotta sur ses lèvres tremblantes.

— Rien… rien n’aurait pu me rendre plus heureuse.

Compter sur elle. Serymar n’aurait pas imaginé à ce point, et encore moins voir à quel point l’avoir écartée l’avait tant fait souffrir. Elle avait tellement changé… il ne reconnaissait plus l’orpheline esseulée et craintive qu’il avait pris sous son aile. Elle aussi, lui avait apporté des choses qu’aucune autre personne sous ce toit n’avait su lui offrir.

Il lui prit l’araignée mécanique et la déposa sur le large bureau sans la lâcher du regard. Elma arbora une expression sérieuse.

— Je ne suis pas Syriana.

« Il fallait bien que ce sujet revienne sur la table… »

Il inspira et planta son regard dans le sien.

— Cela a toujours été évident pour moi, Elma, assura-t-il.

— J’ai toujours su que ma place était auprès de vous depuis le jour où vous m’aviez dit vouloir me voir m’élever. Mes sentiments sont nés à ce moment-là.

Elle n’avait jamais oublié. Lui non-plus. Alors qu’elle avait eu l’impression de mourir de honte sous ses yeux avec ses jambes ensanglantées, ses larmes et sa souffrance, tant physique que psychologique, il lui avait fait comprendre en silence qu’elle avait eu tort d’en éprouver. La colère qu’il avait ressentie en la voyant subir les séquelles de ses tortionnaires s’était muée en admiration, devant cette personnalité qui avait surpassé sa honte illégitime pour commencer une nouvelle vie. Elle avait vaincu ses démons sous ses yeux impressionnés. Il l’avait rattrapée au moment où elle flanchait pour la soutenir. Elle avait accepté son soutien en se réfugiant dans ses bras. Jamais Serymar n’aurait imaginé que cet instant l’aurait mené ici aujourd’hui.

Il plongea son regard dans le sien.

— J’ai passé tant d’années à te dire que tu n’avais plus d’enfance et que tu n’avais pas d’autre choix que de devenir adulte avant l’heure. En réalité, tu l’étais déjà.

— Je vous l’ai dit. Je n’ai pas peur de vos masques. Je ne me lasse jamais quand vous me montrez votre véritable visage, déclara-t-elle.

Il marqua un court silence. Serymar repensa à ce qu’il avait ressenti à l’intérieur des pensées d’Elma. Ce désir réprimé, acceptant la fatalité de ne jamais être comblé, faisant naître un malaise qui n’avait cessé d’empoisonner son être. Pourtant, elle s’était battue pour lui, malgré toutes ses menaces pour la tenir à l’écart.

— Tu m’as fait me rendre compte d’une chose, Elma.

Elle demeura silencieuse, l’invitant à en dire plus. Serymar dût se faire violence pour la satisfaire. Son regard devint plus intense.

— Je ne veux pas te perdre. Je m’en suis aperçu au moment où tu étais sur le point de me tourner définitivement le dos. Et tu me vois fort honteux de ne pas l’avoir vu plus tôt. Ou, pour être exact… d’avoir fait en sorte de m’aveugler.

Elle frissonna.

— J’ai toujours été convaincu que tu méritais mieux. Que tu trouverais le bonheur en renouant avec l’extérieur. Aujourd’hui, je me rends compte que je ne pourrai pas résister à l’envie d’humilier et de provoquer quiconque s’approcherait de toi de cette manière. Je m’imagine les toiser de haut et leur prouver à quel point ils ne valent rien.

— Je ne vous savais pas si puéril et jaloux, sourit Elma, amusée.

— Moi non-plus.

Elma se détourna.

— Vous êtes donc capable de vous surpasser pour ne pas perdre ceux qui vous sont chers. J’en suis honorée.

Il lui releva le visage par le bas, conscient qu’elle se comparait à son amour d’autrefois. Il déplorait la manière dont elle se percevait. Et c’était en partie de sa faute. Serymar demeurait impressionné par tout le chemin qu’Elma avait parcouru.

— Je suis prêt à tout pour ça. Même à redevenir le jouet des autres.

— Ne dîtes pas ça…

Il resserra sa prise.

— Je sacrifierai tout ce pour quoi je me suis battu, si ça garantit la survie des personnes auxquelles je tiens.

Elma le saisit par sa tunique.

— Non. Plus jamais. Nous trouverons une solution pour ne pas en arriver là. Vous avez assez donné.

Il lui offrit une expression moqueuse.

— Ce n’est pas ce que j’ai perçu dans ton esprit.

Elma s’empourpra.

— Ne lisez pas mes pensées autres que celles que je vous accorde ! gronda-t-elle.

— Difficile d’ignorer ce qu’elles hurlent pour me concentrer sur autre chose.

Il prit son visage entre ses mains, collant son front au sien.

— Tu es magnifique.

Leurs lèvres se scellèrent. Des sensations longtemps refoulées et oubliées ressurgirent. La douceur de sa langue l’électrisa. Les larmes d’émotion d’Elma glissèrent sur son visage. Son compliment l’avait touchée. Il sourit de satisfaction. Il la souleva pour l’asseoir sur le large bureau. Elle frissonna lorsqu’il frôla son visage pour avaler ses larmes. Sa paume remonta le long de sa cuisse. Elle se figea et il suspendit aussitôt ses gestes.

— Je n’irai jamais au-delà de ce que tu es capable d’autoriser, Elma, lui assura-t-il à l’oreille.

Le souffle court, elle enlaça sa nuque et avança son bassin en une demande silencieuse de ne pas s’arrêter, le ventre contracté. Et de rapprocher cette main qui la torturait à contourner la partie la plus sensible de sa chair.

— Vous seul êtes digne de moi.

Serymar détourna un instant le regard. Il ignorait si Elma était consciente de ce que provoquaient ces mots en lui. Cette situation était si étrange. Il n’en revenait toujours pas que les Dragons avaient réincarné Syriana. Pourtant, Elma était différente. Et si semblable. Parfois, cette frontière entre elles lui paraissait diffus. Il rencontra de nouveau son regard.

— Brille, lui demanda-t-il. Deviens ma lumière.

Elle se jeta contre lui pour toute réponse. Il lui bloqua les mains qui descendaient à sa longue ceinture en tissu et s’amusa de la frustration qui anima sa partenaire.

— Pas ici, ni maintenant, susurra-t-il à son oreille. Je veux être loin de tout le monde quand ton nom surgira de mes lèvres.

— Décidément, sourit Elma. Même après toutes ces années, je vous découvre encore d’autres visages.

Un léger rire amusé échappa à Serymar, envahi d’une légèreté qu’il n’avait plus ressentie depuis longtemps. Un état qu’il s’était refusé pendant un siècle, et plus encore depuis qu’Elma était entrée dans sa vie.

— De nombreux désirs dormaient au fond de cette tête, reprit-il avec une lueur prédatrice dans les yeux. Lequel vais-je d’abord satisfaire ?

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