Chapitre 26 - 1

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Wil appuya sur un bouton du panneau de commande. Une lumière brilla au sommet du haut mât et ses amis en aperçurent une autre y faire écho quelque part dans la brume. Lorsque le navire approcha, l’eau se troubla et s’éleva comme si une entité vivante la dirigeait. Une imposante arche blanche perça la surface et l’intérieur des piliers se troubla. Le portail vers l’extérieur était ouvert.

Le marin barra le bateau dans cette direction. Lorsqu’ils traversèrent le portail, Karel et ses amis ne ressentirent rien d’autre qu’une brise légère les effleurer.

Comme Wil le leur avait assuré, aucun piège ne les attendait de l’autre côté. Ils se retrouvèrent aveuglés par la brume blanche pendant un moment. Tout autour d’eux disparaissait, comme s’ils sortaient d’un long rêve. Lorsque le brouillard disparut, l’île de la Tribu de l’Eau s’était effacée, telle un vaisseau fantôme géant. Ils étaient seuls quelque part au milieu de l’océan dans un silence absolu. Seul le remous des vagues s’écrasant contre la coque se faisait entendre.

Wil quitta son poste et descendit dans la pièce principale sous le pont, certainement pour effectuer quelques réglages. La tension dans les muscles de Karel se relâchèrent un peu. Son ami n’avait toujours pas prononcé un mot depuis qu’il avait découvert la gêne de ses compagnons.

« Il nous réserve une mauvaise surprise. »

Mais Karel était incapable de deviner à quoi ressemblerait cette manœuvre. Wil s’était montré capable de tout.

« On va passer un sale quart d’heure. » soupira-t-il en passant ses doigts dans ses cheveux longs pour les dégager de son visage.




***




Alors qu’il terminait de s’habiller, Serymar jeta un œil à Elma encore endormie. Le jour de leur rencontre lui revenait en mémoire et sut enfin ce qui l’avait principalement différenciée des autres mortels venus sous son toit : elle avait été la seule qu’il avait souhaité sauver du fond de son cœur. Il n’avait pas qu’accéder aux demandes des autres, et si de rares cas s’étaient démarqués comme Enorën, Serymar était désormais conscient qu’il ne recommencerait pas de sitôt.

Les années avaient beau s’être écoulées, il ressentait encore une colère sourde envers tous ceux qui avaient osé lever la main sur elle. À l’instar de lui-même un siècle plus tôt, où Syriana l’avait libéré de ses traumatismes sur ce plan, il n’aurait jamais imaginé devoir jouer ce rôle pour Elma. Un jour, elle se rendrait compte qu’il s’agissait d’une énième manipulation de sa part, mais il espérait que, comme les autres qu’il lui avait infligée, celle-ci était aussi destinée à répondre à son besoin.

« Les rôles s’inversent. »

Néanmoins, il avait pensé chaque mot qu’il lui avait prononcé. Si une personne lui tournait autour, il la ridiculiserait, l’écraserait, lui démontrerait à quel point elle était inférieure. Si Elma disparaissait, il le regretterait.

« Je ne me lasse jamais de voir votre vrai visage. » Était-elle consciente à quel point ces mots ne l’avaient pas laissé indifférent ? Cette réflexion ressemblait tant à celles de Syriana.

Serymar soupira. Cette situation lui faisait voir les Dragons sous un autre angle. Il se souvenait de les avoir considérés comme cruels pour avoir mis Elma sur son chemin. Une réincarnation de Syriana. Elle, mais pas elle. Une personne dont il ne pourrait jamais se rapprocher. Elle n’était pas Syriana et ne le serait jamais. Aujourd’hui, il révisait quelque peu son jugement, grâce à Elma : « Elle veut que vous alliez de l’avant », lui avait-elle affirmé avec conviction. Il devait admettre que, bien qu’il se soit montré longtemps distant avec Elma, elle lui avait toujours apporté quelque chose de tout le temps qu’elle avait été à ses côtés. Même avant l’arrivée des autres hommes, Elma avait mis, consciemment ou pas, déjà un peu de lumière dans sa vie morne et recluse.

« C’était sous mes yeux et je ne voulais pas le voir… »

Il s’approcha du lit et remonta la couverture par-dessus l’épaule d’Elma et disparut pour se retrouver dans son bureau, un étage au-dessus. De là, il s’approcha de la boule de cristal comme il le faisait chaque jour depuis qu’il avait perdu la vue sur le groupe. Cette fois, non pas une brume opaque, mais un jeune homme qu’il connaissait bien, les cheveux au vent, occupé à rêver au milieu de cette infinie étendue d’eau.

« Enfin. »

Karel avait repris son voyage. Serymar parvenait de nouveau à l’apercevoir dans la boule de cristal. Il avait donc quitté la Tribu de l’Eau. D’un geste négligent de la main, Serymar effaça l’image de son ancien élève. Il était temps d’envoyer le signal à Uriel. Malheureusement, Serymar ne pouvait plus se permettre de se téléporter où il le souhaitait : les agents d’Œil-de-Sang s’étaient activés, allant jusqu’à blesser Orën. Qui savait si cette stupide secte n’avait pas réussi à mettre au point un détecteur sur sa présence ? Cent ans plus tôt, alors qu’il était encore amnésique, ils n’avaient pas beaucoup tardé à le débusquer. Ils avaient certainement amélioré leurs infâmes inventions depuis.

Uriel n’aurait aucun problème pour aller en mer : sa situation n’était pas publique : seule la Tribu de l’Eau savait qu’il était banni des siens. Elle avait une réputation à tenir, elle évitait soigneusement de crier sur tous les toits ce genre d’ingérence. Il ne faisait aucun doute qu’on lui prêterait un bateau sans difficulté. Serymar prit d’une étagère une mèche de cheveu d’Uriel.

Il s’assit sur le banc de pierre qui entourait le pilier central de son bureau, ferma les yeux, fit le vide en lui et se concentra. Lentement, ses longs doigts fins bougèrent, de manière complexe et précise. Des sillons argentés apparurent le long de ses membres à mesure de l’avancée de l’invocation. Comme chaque fois qu’il utilisait son pouvoir draconique.

Son esprit plongea dans une sorte de transe, les doigts encore emmêlés avec précision. Serymar retrouva rapidement la présence d’un esprit relié par pacte avec lui. Au moins, cela lui facilitait les choses. Il profita de ce lien pour s’insérer dans la conscience d’Uriel, de la même manière qu’il utilisait pour s’infiltrer dans les rêves.

Uriel fut surpris, mais il se reprit rapidement. Serymar lui imposa une image de la zone maritime où il avait repéré le groupe de Karel, ciel compris.

— Il paraît que ta Tribu n’a pas son pareil pour se repérer en mer. Voici ta chance, Uriel. Rapporte-moi ce que je t’ai demandé.

La conscience d’Uriel examina sa projection mentale. Serymar perçut un petit soulagement.

« Tu vas peut-être enfin te rendre utile et compétent, finalement. »

Uriel avait repéré le groupe de Karel. Il savait quelle trajectoire ils prenaient. Serymar fut tenté de savoir comment il s’y prenait, mais le temps lui manquait. De plus, il risquait de détruire les capacités intellectuelles d’Uriel.

— Oui, Maître, assentit Uriel. Je sais précisément où les intercepter. Je m’y mets immédiatement.

— Ne te fais pas suivre. Quoi qu’ils aient trouvé chez les elfes, cela ne doit pas tomber entre « ses » mains. C’est compris ?

— C’est très clair, Maître. Je ne vous décevrais pas.

— Bien.

Serymar se retira. Lorsqu’il revint à lui, il fut assailli par de légers vertiges. Il prit le temps de récupérer. Il attendit que les pulsations de son cœur reviennent à la normale, de même que l’apparence de ses veines. Le sang de Dragons immortels n’était pas fait pour des corps mortels… Serymar ne l’était qu’à moitié, et le risque de se faire dévorer par ses propres pouvoirs était plus élevé chez lui que la moyenne. D’où la nécessité d’ensorceler son don de sang à Karel pour le protéger.

Lorsqu’il se sentit mieux, Serymar se leva et quitta la pièce. Son regard se posa sur le volume relié que lui avait apporté Orën. Le Mage le ramassa et le feuilleta. Il jeta un œil à l’araignée mécanique qui reposait sur son bureau. Dans le souvenir, il avait analysé que cette chose aspirait son sang pour l’affaiblir, si ce n’était pas pour une autre fonction en plus.

« Mh… Serait-il possible… d’inverser la fonction de cette chose ? »

Un plan commençait à se dessiner dans son esprit. Si la magie n’avait aucun effet sur ce faux totem, il ne restait plus qu’à retourner ses pouvoirs contre lui. Syriana lui avait raconté qu’elle était parvenue à blesser grièvement Œil-de-Sang par le moyen d’une arme Avancée qu’elle avait subtilisé. Une expression satisfaite peignit les traits de Serymar.

« La solution était là, depuis le début. Cette fois, tu es un homme mort, Œil-de-Sang. Mais peut-on vraiment t’allouer le statut d’homme ? »




***

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