Chapitre 26 - 2

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— Wil ! Qu’est-ce que tu fais ?! cria Lya.

Soudain animé par un sadisme quelque peu surprenant chez lui, Wil ne lui répondit pas et tourna la barre à roue à l’extrême. Le navire pencha dangereusement sur le côté.

Karel s’accrocha vivement au bastingage. Il sentit à peine ses ongles pénétrer dans sa chair tant il serra fort alors qu’il se retrouvait presque à quelques centimètres au-dessus de l’eau. Son cœur menaçait d’exploser dans sa cage thoracique à l’idée de se retrouver au fond de l’eau. Il aurait eu la même réaction que Lya s’il avait pu s’exprimer.

« Par les Dragons, Wil, arrête, arrête ! » hurla-t-il en pensées.

Wil continua sur sa lancée en faisant surfer son navire sur plusieurs longueurs.

— Wil, ça suffit ! l’exhorta Whélos avec colère. Ce voyage est insupportable ! Pense à mes vieux os, à la fin, je ne suis plus aussi agile que vous tous !

— Ce n’est vraiment pas drôle, tu peux nous expliquer ce qui te prend, tout à coup ?! ajouta Aquilée en resserrant sa prise contre le mât.

Après ce qui leur parut une éternité, le navire reprit enfin une position normale. Wil coupa les moteurs et sauta du gaillard d’arrière à la rencontre de ses compagnons.

Le cœur battant, Karel se remit sur ses jambes fébriles comme il le put. Il fixa Wil avec rancœur et ne prit pas la peine de retenir sa sœur.

« Vas-y, défonce-le. »

Lya s’avança résolument à la rencontre de Wil.

— Non, mais tu n’es pas bien, ou quoi ?! Qu’est-ce qui se passe dans ta tête, tu peux nous expliquer ?

« Si tu n’étais pas mon ami, je t’aurais déjà envoyé mon poing dans la figure ! » gronda Karel. « Vas-y, fais-toi plaisir, Lya ! »

Wil ne se laissa pas démonter. Ses yeux brillaient de colère, surprenant tout le monde.

— Et vous tous, là, vous pouvez m’expliquer pourquoi vous ne m’avez rien dit, bande d’inconscients ?!

— Wil ! contra vivement Aquilée. Ne retourne pas la situation !

— Oh si, je la retourne ! explosa Wil. Vos réactions ne font que me confirmer ce que j’avais déjà soupçonné !

— Et qu’est-ce qui a motivé cette mauvaise blague ? riposta Lya.

La fureur anima les prunelles bleues de Wil. Ses poings se serrèrent.

— COMMENT avez-vous pu prendre des risques aussi inconsidérés ?! Comment avez-vous osé mettre le pied sur un bateau avec tous les risques que nous avons couru, alors que vous ne savez même pas NAGER !

Sa réponse stupéfia tout le monde. À part Karel, qui avait pressenti ce moment gênant. Il ne put s’empêcher de baisser les yeux.

« Ainsi, il avait bel et bien deviné… en réalité, tu t’inquiètes pour nous. Je te reconnais bien là, Wil. »

Il se promit de s’excuser à l’occasion. Une promesse vite remplacée par cette gêne qu’il ressentait depuis un petit moment.

Jusqu’à Pershkin, jamais Lya et Karel n’avaient jamais vu la mer. Vivre à Var n’avait pas arrangé la chose. En vivant une vie de ferme sur la terre bien ferme, il leur avait été appris que cette compétence était inutile. Karel se rendit compte à quel point ils avaient été dans le faux. Même durant son enfance dans les Monts de la Mort, il n’avait jamais vu l’océan. Seulement entendue depuis la fenêtre de sa tour. Serymar ne l’y avait jamais emmené.

— Surtout toi, l’handicapé de la voix !

La colère remplaça aussitôt sa culpabilité lorsque Karel revint à la réalité, mais cette fois, la colère remplaça aussitôt sa culpabilité.

— Wil ! gronda rageusement Lya. Comment oses-tu…

— Oui ! OUI, j’ose ! Faut arrêter les tabous, au bout d’un moment, ça n’apporte strictement RIEN ! Faut arrêter de faire comme si de rien n’était, ce problème POSE de sérieuses conséquences pour lui !

Wil dépassa Lya pour rejoindre Karel, qui le défia d’un regard glacé.

« Si je ne peux pas te donner tort, est-ce une raison pour m’envoyer cette appellation au visage ?! »

Wil arriva à sa hauteur et posa un doigt sur son torse.

— Oui, je parle bien de toi ! La moindre des choses, quand on ne peut pas appeler à l’aide, c’est de compenser en maîtrisant le plus de capacités possibles ! Même si ça doit être compliqué ! Tu veux crever, ou quoi ?!

« Je n’ai pas besoin de toi pour me le rappeler ! » fulmina Karel en le regardant droit dans les yeux, comme si sa pensée pouvait lui parvenir.

À défaut, il frappa la main de Wil pour la dégager de lui.

— Quand je pense que tu as osé couper ta corde de survie dans les torrents ! hurla Wil. Je n’aurais pas pu te sauver, Karel, je n’aurais peut-être même pas su que tu étais en difficulté ! Némésis Tout-Puissant, on ne plaisante pas avec ça !

Lya se tourna vers lui, blême.

— Tu… tu as fait quoi ? Il plaisante, encore, n’est-ce pas ?

— Je n’ai jamais été aussi sérieux ! s’énerva Wil. On ne plaisante pas, avec ce sujet ! Comment avez-vous pu ne pas m’en parler ?! Pendant tout ce temps, je vous ai mis gravement en danger sans le savoir ! Ce n’est vraiment pas sympa de me faire un coup pareil !

Un silence soudain s’abattit sur la petite assemblée, tendu. Si Karel comprenait les sentiments de Wil, il avait encore du mal à digérer ses mots quelques instants plus tôt. Il désigna sa tête, ses mains, ses jambes.

— « Je ne suis pas handicapé », contra-t-il avec des signes secs et un regard glacial.

Wil le toisa.

— Ouvre les yeux. Tu l’es. Pas sur le plan physique, je te le concède. Mais ton langage, presque personne au monde ne le pratique, et dans une situation d’urgence, le meilleur réflexe, c’est de crier. Ce réflexe, tu ne l’as pas. Et parfois même, la magie peut ne même pas te venir en aide. Peux-tu me dire comment tu fais, dans ce genre de cas ? Si ton cas n’était pas handicapant, tu aurais beaucoup moins de difficulté à te faire comprendre et tu ne serais pas obligé de percer la carapace que ça t’a forgé !

« Arrête DE ME FAIRE LA MORALE ! »

Karel se jeta sur Wil pour le pousser, mais ses chevilles se retrouvèrent trempées sans raison et des geysers le dirent basculer par-dessus bord.

— Tu me remercieras plus tard !

— KAREL ! Non, mais ça ne va pas ?! hurla Lya en se jetant sur Wil.

Le jeune homme remua les doigts et Lya bascula elle aussi par-dessus bord dans en lâchant un cri de surprise et de peur qui se termina dans un bruit de plongeon.

— Allez, toi aussi !

Karel se débattit et jura de faire payer à Wil ses actes. Pendant qu’il se débattait sous l’eau, il chercha à tâtons son épée pour sortir de cette situation précaire. Avant qu’il ait pu la trouver, un sortilège le remonta à la surface. Karel se remplit aussitôt les poumons d’air.

À peine ouvrit-il les yeux qu’il aperçut Lya basculer par-dessus bord. Karel tenta de se déplacer pour la réceptionner. Lya le vit au dernier moment et s’accrocha à son cou au moment de la chute, ce qui les entraîna tous les deux sous l’eau. Un autre courant les remonta aussitôt. Karel ne lâcha pas sa sœur pour autant, visiblement terrifiée de se retrouver dans toute cette étendue d’eau.

Wil, dont le médaillon brillait d’une lueur bleutée, garda son doigt pointé vers l’eau, au bout duquel brillait une petite lumière bleue. Il étira un large sourire moqueur.

— Si vous voyiez vos têtes !

Il ignora les regards furieux de la petite fratrie qu’il maintenait à flot avec ses pouvoirs. Wil fixa de manière soudaine Aquilée et désigna l’eau du menton.

— À toi, ou je m’en occupe moi-même.

Il savoura l’effet de surprise sur la jeune fille, pâlit davantage.

— Je… je crois que je vais d’abord regarder, bredouilla Aquilée en reculant.

La boussole de Wil brilla plus intensément et une liane d’eau déferla sur Aquilée avant qu’elle ait eu le temps d’esquiver. D’un mouvement sec de la main par-dessus son épaule, Wil lui imposa un vol plané dans l’eau. Wil toucha ensuite sa boussole qui pendait sur son torse au bout d’une fine chaîne dorée pour élargir sa plateforme aqueuse sous les pieds de ses compagnons.

Il ignora leurs invectives et regarda Whélos qui se raidit en lui jetant un regard menaçant.

— Pas de ça avec moi, jeune homme, c’est compris ?

— Pourquoi, ça y est, tu te sens trop vieux pour accomplir encore des choses ? Dans ce cas, c’est irrationnel de continuer la quête des Dragons ! Dis, ta mémoire est-elle encore au maximum de ses capacités… vu ton âge ?

Whélos s’empourpra.

— Espèce de petit impertinent ! Tu n’as pas honte de…

Whélos fut éjecté par-dessus bord.

— Wil ! tempêta le chercheur. Comment oses-tu ! Je n’arrive pas à croire que je me suis fait avoir par un stratagème aussi ridicule !

Wil étira un sourire moqueur, satisfait que sa provocation ait fonctionnée. Une manière de lui faire comprendre qu’il l’appréciait sincèrement.

Afin de ne pas s’épuiser en utilisant autant de pouvoir, Wil attrapa des bouées de sauvetage amarrées qu’il jeta par-dessus bord pour permettre à ses amis de s’y accrocher.

Karel saisit l’une des bouées et Wil plongea dans l’eau à leurs côtés.

— Wil, nous n’avons pas de palmes entre les doigts et de branchies comme toi, rappela Lya. Remonte-nous, maintenant.

Le marin secoua la tête et esquissa un sourire encourageant.

— Mais personne n’a besoin de tout ça pour nager. On peut faire sans. Et je vais vous le prouver.

Il tendit la main vers Lya, qui hésita. Karel serra un peu plus dans ses bras, dans une étreinte protectrice, et envoya un regard méfiant envers Wil qui leva les mains en signe de reddition.

— Promis, pas de blague, cette fois. Je vous assure, c’est vraiment important. Je vais vous apprendre les bases. Ça me rassurera un peu pour le reste du voyage. On ne sait jamais.

Lya hésita encore pendant de longues secondes.

— Pas de blagues, ou je te brûle, menaça-t-elle.

Wil lui sourit avec douceur.

— Alors je n’ai rien à craindre.

Lya rougit lorsqu’elle se retrouva soudain dans ses bras. Elle baissa aussitôt les yeux, tiraillée entre sa gêne et sa crainte de couler à pic à tout moment. Elle ne disposait plus de la magie de Wil pour flotter. Elle ne pouvait compter que sur les bras musclés de Wil.

« Espèce de fourbe », gronda-t-elle en pensées.

Elle était prête à parier qu’il avait tout calculé : si elle le lâchait, elle coulait. Elle était obligée de se tenir à lui et de s’imposer cette proximité bien trop proche à son goût.

Sa théorie se confirma lorsque Wil approcha les lèvres de son oreille.

— On dirait bien que c’est moi qui te brûle, Lya, lui murmura-t-il de manière à ce qu’elle seule l’entende.

La gêne et la frustration s’intensifièrent chez Lya, empourprée. Elle dégagea une main pour le repousser, quitte à couler. Karel la rattraperait. Wil lui saisit le poignet avec fermeté, attestant de son sérieux derrière ses plaisanteries : il regarda tout le monde tour par tour et manipula la main de Lya, bien en évidence.

— Maintenant, si vous ne voulez pas que je vous laisse couler, faites exactement ce que je vous dis et serrez vos doigts comme ceci. J’aimerai au moins que vous sachiez flotter dans une heure !

— Wil, tu es conscient que, si nous voulons bien admettre que tu as raison, tu risques de payer ce que tu nous as fait ? ironisa Aquilée.

Le concerné étira un large sourire.

— Ne vous en privez surtout pas.

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