Chapitre 29

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Quelques heures plus tôt.

— Cela faisait longtemps… mon cher petit frère.

Wil ne savait comment réagir. Depuis deux ans, il avait perdu son sens de la réplique avec Uriel.

Il avait constaté le sortilège qui avait immobilisé son vaisseau. Au vu de ce que lui avait révélé Sinbad sur la situation d’Uriel, Wil n’était pas surpris. Malgré tout ce qu’il avait fait, Wil était incapable de le regarder autrement qu’avec un regard triste et de l’abreuver de reproches. Même après ces dernières années de silence et d’éloignement.

Il lui fit face, de toute sa hauteur, avec un calme qui le surprit lui-même. En même temps, le jeune homme activa un bouton du tableau de bord visant à réveiller ses amis : d’après leurs dires, Uriel disposait de ressources supplémentaires en plus de ses propres capacités, provenant d’un Mage très puissant. Il avait besoin de renforts. Rien que le fait qu’Uriel soit parvenu jusqu’ici démontrait sa nouvelle dangerosité.

L’expression d’Uriel se tordit avec un rictus mauvais.

— N’y compte pas. Je les ai barricadés dans une prison de sommeil. Il va falloir que tu te débrouilles tout seul. Sans notre père… sans Sinbad… Sans Athéna. Sans personne.

Wil jura en son for intérieur.

— Uriel …pourquoi avoir fait ça ? Pourquoi t’es-tu enchaîné à ce démon ?

Uriel lui jeta un regard dépité, comme il ferait face à un adolescent immature.

— Wil… tu es resté le même idiot depuis deux ans. La réponse est plutôt évidente ! Si notre famille s’est brisée, c’est parce que nous ne disposions pas d’assez de pouvoir pour nous élever au-dessus des autres !

Wil lui jeta un regard empli de peine. Il se souvenait de ce terrible jour où Uriel s’était interposé entre leurs parents et tué leur père. Il s’était effondré et la rage l’avait consumé. Uriel avait depuis toujours maintenu dur comme fer que s’ils étaient plus hauts placés, s’ils avaient plus de pouvoirs, tant social que magique, qu’ils auraient pu éviter cette glaçante situation. Qu’il aurait pu guérir leur père au lieu d’achever ses souffrances. Entre ce sombre événement, le bannissement terrible de son frère et la maladie de leur mère qui s’était déclenchée, Wil en était devenu muet pendant plusieurs semaines. Ses sourires et ses plaisanteries n’étaient pas parvenus à aider son aîné. Toutefois, il s’était juré de ne jamais faire subir la même chose à Athéna, déjà ébranlée par la perte violente de sa propre mère après une attaque contre un Clan.

— Mon frère… tenta Wil. Tu te trompes sur toute la ligne. La magie et le pouvoir n’élèvent personne au-dessus de qui que ce soit. Seul le…

— Quoi donc, le « pouvoir du cœur » ? railla Uriel d’un air suffisant. Tu écoutes trop Sinbad ! Je ne crois pas que ce pouvoir ait sauvé sa femme ! Si les sentiments pouvaient faire quoi que ce soit, notre père n’aurait pas succombé à ses traumatismes ! Alors qu’au contraire, avec de la magie, nous aurions pu lui effacer la mémoire, et rien de tout ceci ne serait arrivé ! Il ne serait jamais devenu fou !

Wil serra les poings.

— Certes, répliqua-t-il, glacial. Mais ta soif de pouvoir a détruit notre mère ! Elle est MORTE !

Cette nouvelle figea Uriel une seconde. Mais il reprit bien vite sa posture méprisante.

— Cela ne fait que confirmer que ma voie est la bonne. Avec plus de pouvoir magique, de pouvoir politique, nous aurions eu accès aux meilleurs soins possibles pour elle. Au lieu de cela, elle est morte comme un chien !

— C’est notre disparition qui l’a tuée. C’est ton acte de barbarie, certes désespérée, qui l’a mise dans cet état ! hurla Wil. Voir son enfant devenir un assassin et se couvrir de sang, qui plus est du sang de sa propre famille, lui a été une torture considérable ! Ne pouvais-tu pas te contenter d’assommer notre père, le temps de trouver une solution viable pour tout le monde, au lieu de le tuer ?!

Uriel balaya la conversation d’un geste agacé de la main.

— Qu’importe. Je ne suis pas venu pour ça. Vous avez fait une visite chez les elfes noirs, et mon Maître est certain que vous y avez trouvé quelque chose. Donne-le-moi gentiment, et nous en resterons-là… cette fois.

— Comment ça, « cette fois » ? questionna Wil.

Uriel le sonda.

— C’est moi qui ai attiré leur attention sur toi pour qu’ils t’attaquent.

Wil devint livide.

— Qu… quoi ? Mais pourquoi ?

— Parce que tu es un boulet. Complètement à côté de la réalité ! Il fallait bien t’apprendre !

Wil ricana pour se donner contenance et masquer son effondrement.

— Laisse-moi deviner, c’est ton fameux Maître qui t’a demandé de le faire, pour tester ta motivation, ou un truc comme ça, non ?

Karel et Whélos l’avaient plus ou moins informé du genre de personne dont il s’agissait.

— Comment as-tu pu faire ça ?! reprocha Wil, les traits déformés par la colère. Comment peux-tu sacrifier ainsi ta famille et tes amis ?!

Cette théorie se confirmait avec la blessure sur la main de Lya. Wil n’osait imaginer la douleur qu’elle avait dû éprouver.

— Je n’ai pas à me justifier, indiqua Uriel.

Ses bracelets métalliques brillèrent.

— Puisque tu ne veux pas obéir gentiment, je vais vous prendre ce trésor de force !

Wil saisit la boussole autour de son cou.

— Faut-il vraiment en arriver là ? Tu pourrais encore renoncer à tout ça, et revenir du bon côté.

— Il est trop tard pour moi ! cria Uriel.

Une puissante vague surgit de ses mains et emporta Wil dans les profondeurs. Uriel plongea à son tour, poignard à la main.

***

Pendant qu’il continuait à faire l’inventaire de l’état du vaisseau en prenant des notes au cas où, Karel tenta de mettre de l’ordre dans ses pensées. Il s’inquiétait beaucoup pour leur ami, encore immobilisé. Wil était d’humeur morose, ce qui ne lui ressemblait vraiment pas. Personne ne savait comment le réconforter, ils avaient tout essayé. Personne ne savait comment s’y prendre dans un tel contexte.

Karel posa un peu plus brutalement une boîte remplie de pièces métalliques.

« Ça n’a que trop duré ! Tu n’as pas le droit d’abandonner ! »

Il se téléporta directement dans la cabine où se reposait Wil. Il était encore pâle et ses traits étaient encore tirés. Les couvertures n’étaient cette fois que sur ses jambes et non sur tout le corps.

« Un bon signe ! »

D’un pas décidé, Karel s’approcha de lui.

— Laissez-moi du temps… ça va aller. Je commence à m’habituer aux dénouements négatifs.

Karel enragea d’être dans l’incapacité de le remettre à sa place par l’oral. Cela aurait pu en prime lui permettre d’évacuer sa frustration grandissante.

« Lya, comme je t’envie ! »

Karel saisit la couverture pour la jeter sur le côté.

— Eh ! Qu’est-ce que tu…

Karel tendit sa paume en direction du matelas et usa de télékinésie pour saisir le matelas et le lancer plus loin dans la pièce, sans se soucier de faire chuter Wil sur le sol.

— Non, mais tu n’es pas bien ! s’emporta-t-il.

Karel le toisa de toute sa hauteur et lui fit signe de se lever. Attirés par le vacarme, des pas précipités se firent entendre. D’un revers de la main, Karel bloqua la porte avec un autre sort psychique. Des coups forts surgirent.

— Eh ! Que se passe-t-il, ici ? questionna Whélos.

— Karel, je sais que c’est toi, ouvre cette porte tout de suite ! ordonna Lya.

Karel se fit sourd à leurs appels et garda les yeux sur Wil qui arborait une expression gênée.

— Je veux bien, mais… mes jambes sont encore paralysées…

« Ce n’est pas un problème ! »

Karel se pencha vers lui et passa le bras de son ami autour de ses épaules et le soutint pour l’aider à se remettre debout. Il les téléporta tous les deux sur le pont et débloqua la porte de la cabine, laissant ses amis hébétés d’entrer dans une pièce vide.

Une fois sur le gaillard d’arrière, Karel aida Wil à s’asseoir et lui fit face, toujours aussi sévèrement. Il lui désigna la barre de navigation, ainsi que lui-même.

— Tu veux que je t’apprenne à naviguer ? Si c’est ça, tu aurais pu me le demander plus gentiment. Genre avec un « s’il te plaît », par exemple.

Karel ignora la remarque et confirma que Wil avait bien traduit sa demande.

« J’ai pris conscience que nous dépendions beaucoup de toi sur les eaux. Et nous en avons payé le prix. Il est temps d’y remédier. »

Wil avait été là pour eux. Pour lui. À son tour d’en faire de même. Surtout, Karel voulait montrer à leur ami qu’il n’était plus seul.

Des pas précipités parvinrent sur le pont. Avant que l’un de leurs amis ouvre la bouche pour parler, Wil leur adressa un signe rassurant de la main.

— Tout va bien. Karel me remettait juste sur le droit chemin.

Il regarda ce dernier et, enfin, esquissa un léger sourire.

— Merci, mon ami, de m’avoir rappelé l’essentiel.

Toujours avancer, quoiqu’il arrive. Se morfondre, penser en boucle, n’avançait à rien.

« Je suis passé par-là. Je crois que j’en aurais crevé sans Lya. »

Karel rendit l’expression de Wil : son ami avait compris le sens caché de ses actes. Il se félicita d’avoir gardé confiance en la perspicacité du Sorcier de l’Eau.

« Si toi, tu es un boulet, alors tu es vraiment le boulet le plus intelligent de la terre », songea-t-il, soulagé. « Ne laisse plus personne te faire douter de ta valeur. Tu n’es plus seul. Nous sommes là pour toi. Comme toi pour nous, nous serons ton filet de secours à chaque blessure que tu recevras. Les amis, c’est fait pour ça. »

— J’ai… Je suis désolé, s’excusa Wil en baissant la tête, embarrassé. J’ai honte, devant toi. Tous les jours, tu dois avoir de bonnes raisons d’abandonner et de te complaire. Pourtant, chaque jour, tu te bats pour t’exprimer, en dépit du fait que tu ne pourras jamais le faire clairement. Et moi qui suis né avec tout ce qu’il faut là où il faut, j’ose abandonner. Pardon, vraiment.

Karel lui fit comprendre qu’il ne lui en tenait pas rigueur.

— « Pourtant, moi aussi, j’ai passé beaucoup de temps à me complaire de manière inconsciente. » signa-t-il.

— Bon. Commence par poser tes mains sur la barre, à dix heures dix. Tu te souviens de l’horloge que je vous ai montré chez mon oncle ? Je vous ai appris à lire l’heure dessus. Visualise dix heures dix et positionne-toi en fonction.

Karel obtempéra. La tâche ne lui fut pas compliquée en raison de sa mémoire visuelle acérée grâce à son apprentissage dans les Monts.

« Plus précis d’un cadran solaire. »

Leurs amis les rejoignirent. Chacun se prêta au jeu. Au moins, l’esprit de Wil était détourné sur autre chose que sa mélancolie.

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