Chapitre 30

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Ce ne fut qu’au bout d’une longue semaine que le vaisseau approcha enfin de l’Archipel du Volcan. Un imposant nuage de cendres recouvrait l’archipel. De loin, le groupe put voir quelques volcans fumer.

Karel ramena par télékinésie une fiole remplie d’eau de mer qu’il tendit vers Wil qui la saisit au vol.

Désormais remis depuis sa confrontation avec Karel, il avait pu faire l’inventaire des dégâts et confirmé que le rapport avait bel et bien été volé par Uriel. Personne ne savait comment la situation allait tourner, maintenant qu’ils avaient perdu une pièce à conviction pour dénoncer les plans d’Œil-de-Sang aux autorités mortelles et justifier l’intervention des Dragons. Surtout en sachant entre quelles mains ce rapport se trouvait. Au moins, le navire n’avait subi aucun dégât notable. Uriel semblait l’avoir épargné et les modifications d’Athéna tenaient leurs promesses.

— Alors ? questionna Lya.

Wil cessa son examen.

— C’est bien ce que je craignais, soupira-t-il. La température de l’eau est anormalement chaude et encombrée.

— En même temps, pouvions-nous nous attendre à autre chose, si ces volcans sont en constante éruption depuis 200 ans ? observa Aquilée.

— En effet, c’était à prévoir, confirma le marin.

— Ton bateau… Nous ne risquons rien, n’est-ce pas ? questionna Lya, nerveuse.

Wil lui offrit une expression rassurante.

— Absolument rien, tant que nous restons sur l’eau. Par contre, nous allons éviter d’amarrer le navire sur la côte. Si on se prend un projectile d’un volcan, ce vaisseau deviendra un vrai brasier ! De plus, je viens de regarder, il n’y a pas assez de profondeur sur les plages pour nous permettre d’approcher plus près encore. Nous pourrions nous échouer et causer de sérieux dégâts.

— J’espère que tu ne comptes pas nous proposer de rejoindre la côte à la nage ? se méfia Whélos.

— Non. Nous allons utiliser la chaloupe de secours, assura Wil. La place sera plutôt juste pour cinq personnes, mais ça ne devrait pas poser de problème. Si possible, essayez de ne pas tomber dans l’eau : elle est saturée des rejets des volcans, ça pourrait nous causer quelques dégâts.

— Je vois. Même toi, tu ne peux pas nager dans cette eau, n’est-ce pas ?

Wil confirma et effleura machinalement de ses doigts l’une de ses branchies.

— En effet. Ces trucs sont plutôt sensibles à ce genre de chose… Rien que la température de ces eaux pourrait me brûler. Je ne tiens pas à devenir malentendant, aveugle ou autre, si vous voyez ce que je veux dire.

— Il n’est donc pas étonnant de ne voir presque aucun des vôtres à la capitale, remarqua le chercheur. Le désert vous est encore plus fatal qu’à nous !

— Oui. Cette partie du voyage va être assez compliquée pour moi. Mais ne vous en faites pas : j’en ai vu d’autre, et je gère ! Laissez-moi juste me préparer.

Un puissant rugissement fit trembler terre et eau, secouant le navire comme s’il s’agissait d’un objet insignifiant. Des cloches d’alarme retentirent sur l’entièreté de l’Archipel, à chaque endroit où vivait un village, certaines accompagnées de hurlements de terreur. Ces sons sinistres rappelèrent de bien mauvais souvenirs à Lya et Karel qui échangèrent un regard, mal à l’aise.

Wil se jeta sur le panneau de commande pour activer le bouclier général du vaisseau. À temps : les volcans s’agiaient. Des scories enflammées furent violemment projetées, plongeant dans l’eau de manière aléatoire. Certaines heurtèrent le bouclier, qui, heureusement, résista, au grand soulagement de tout le monde.

Karel jeta un œil sur les îles : des coulées de lave serpentèrent les pentes et embrasèrent la jungle alentour. Le spectacle fut à la fois saisissant et terrifiant.

— Vite ! cria Wil, l’arrachant à sa stupeur. Aidez-moi à éloigner le navire !

Karel se précipita vers le mécanisme pour diriger les grandes voiles du vaisseau. Aquilée invoqua une puissante bourrasque dans leur direction. Elles se gonflèrent, provoquant une brusque embardée sur le navire. Wil put ainsi faire reculer le navire sans avoir besoin d’effectuer un demi-tour. Lya, grâce à une manette installée par Athéna sur le tableau de bord, renforça le bouclier au niveau de l’eau devenue bouillonnante, comme si des volcans se tapissaient aussi dans les profondeurs.

— Vas-y, Aquilée ! s’époumona Wil. Encore un effort !

La jeune fille grimaça sous l’effort, une perle de sueur longea son front. Son aura violet devint verte, signifiant qu’elle puisait dans les pouvoirs draconiques que Zmeï lui avait confiée. Sa rafale gagna en puissance, si bien que ses compagnons, hormis Wil, crurent que la voile allait se déchirer. Le navire parvint à s’éloigner encore plus vite.

Un autre rugissement retentit. Un autre Dragon apparut. Les rayons du soleil renvoyèrent des reflets bleus lorsqu’il survola les îles : Némésis.

— Accrochez-vous ! prévint Whélos.

La mer se déchaîna. Le navire s’éleva de plusieurs mètres par une déferlante. Tandis que Lya continua à contrôler le bouclier, Wil dirigea la barre de manière à glisser sur la vague géante à l’opposé de l’Archipel pour ne pas s’échouer. Le vaisseau prit une vitesse considérable, encore plus que les pièges marins de la Tribu de l’Eau. Karel crut fusionner avec le mât tant il s’y accrocha fort.

— Rabattez les voiles ! hurla Wil. Vite !

Karel et Whélos se jetèrent sur les mécanismes. Aquilée aida avec sa magie, en faisant en sorte que les voiles se rabattent en moins de deux secondes. Elle hurla de surprise lorsque ses pieds quittèrent le sol de par la chute vertigineuse du bateau. Whélos eut le réflexe de lui tendre son bâton de voyage, sur lequel Aquilée s’agrippa de toutes ses forces.

Le vaisseau, presque à la verticale, fut pris d’une soudaine secousse, aussi violente que sa chute, dont la vitesse s’en retrouva un peu atténuée. Karel aperçut que Wil avait activé les stabilisateurs avec les parachutes, nouvellement installés par Athéna. Cette secousse fut si soudaine et violente qu’Aquilée et Whélos s’écrasèrent brutalement contre le mât central. Karel fut projeté par-dessus le bastingage.

Il entendit à peine les hurlements de ses amis, et notamment de sa sœur, plus déchirant encore. Pendant une seconde, il vit sa vie défiler devant ses yeux. Le bouclier ne protégeait que des attaques extérieures. Karel sentit son corps le traverser.

« Hors de question ! » hurla-t-il en pensées.

Il chutait dans la même direction que le vaisseau, tel un monstre cherchant à le réduire en charpie. S’il le percutait, il mourrait. Karel plongea aussitôt la main dans sa poche pour ressortir un des glands qui lui restait. Son dos heurta le bastingage, sa main lâcha la graine. Le temps sembla ralentir. Il bascula vers l’eau, le navire menaçant de le percuter. Sa vie continuait de défiler en accéléré dans sa mémoire. Le jeune homme oublia sa douleur et tendit la main en direction de la minuscule graine à quelques centimètres de lui et l’attira dans sa paume par télékinésie et l’ensorcela.

Il sentit comme un couteau lui transpercer la main avec violence. Karel serra encore plus sa main, quitte à amplifier sa douleur. Soudain, son corps fut pris d’une secousse si violente qu’il crut que son bras allait s’arracher de son corps. Des lianes avaient surgi de sa main et s’étaient enracinées sur la coque du bateau contre lequel Karel s’y cogna brutalement. À moitié assommé, il manqua de lâcher. Il banda sa volonté et s’accrocha avec l’énergie du désespoir, en dépit de la douleur qui implorait à son corps de lâcher sa liane.

« Je dois tenir… Je l’ai promis à Lya ! »

Sa main ensanglantée le torturait et glissait en lui infligeant encore plus de douleur. Karel s’entêta à serrer ses deux mains sur la racine improvisée, le cœur battant. Les vagues à quelques mètres sous lui menaçaient de l’engloutir dans les profondeurs abyssales.

Enfin, il sentit son corps se faire hisser. Karel frissonna lorsque l’eau l’éclaboussa et lui lécha les jambes. Il ne tiendrait plus longtemps. Si une vague percutait le navire, il serait emporté.

Son corps continua de remonter, après quelques efforts. Le navire semblait stabilisé, cette fois à l’horizontal. Ses amis achevèrent de le remonter et des mains le saisirent pour achever de le remonter. Beaucoup de voix lui demandèrent s’il allait bien, tant que Karel ne sut où donner de la tête. Son cœur battait encore anormalement vite. Il comprenait la colère de Wil lorsqu’il avait sectionné sa corde de sauvetage.

Entre ses mains, sa racine ensanglantée, toujours fermement serrée entre ses mains. La peur qu’il avait ressentie l’empêcha pour le moment de lâcher cette corde improvisée. Son corps tremblait encore de manière incontrôlée.

— Karel ! Tu m’entends ?

Le Sorcier releva la tête et fit face à Lya, blême. Karel se força à inspirer. Il parvint enfin à déplier ses doigts rougis, non sans grimacer de douleur lorsque sa chair resta collée sur la liane poisseuse. Whélos s’accroupit face à lui et examina sa main. Il ajusta ses lunettes et fixa le Sorcier.

— Tu nous as fait une belle frayeyr, jeune homme ! Heureusement que tu as de bons réflexes ! Je le confirme, tu es vraiment prêt à apprendre à maîtriser la magie sans artéfact.

— C’était incroyable, renchérit Aquilée. Créer aussi vite une corde sans utiliser ton épée…

Karel n’aurait jamais eu le temps de l’utiliser. Dans le fond, il ignorait comment il faisait. Chaque fois qu’il parvenait à jeter un sort sans aide, c’était dans le feu de l’action, plus vite que ce qu’il avait le temps de réfléchir. Karel jeta un coup d’œil aux racines et constata que sa magie n’avait pas fait les choses à moitié : les racines s’étalaient jusque sur le pont, telle une main géante et griffue d’un monstre qui se serait emparée du navire. Karel savait que c’était là son défaut, Serymar le lui avait d’ailleurs souvent reproché : il dosait mal son énergie magique. Preuve d’un certain manque de maîtrise. Karel commença à en ressentir les conséquences. Sa vision se troubla et de lourds vertiges le gagnèrent. Il avait utilisé plus de magie que nécessaire.

La tête baissée, il s’excusa par signes envers Wil, en désignant les racines beaucoup plus imposantes que nécessaire.

— Attends, sérieusement, tu te soucies de ça ? Tout ce qui compte, c’est que tu t’en sois sorti, Karel ! Le reste, ce n’est que matériel ! Nous allons nous préparer à accoster doucement, en attendant, tu récupères, d’accord ?

Karel acquiesça, mal à l’aise. Mais Wil avait raison : ils avaient tous besoin d’un petit moment pour se remettre de leurs émotions avant d’affronter ce qui les attendait.

Enfin, les compagnons risquèrent un regard sur l’Archipel : à nouveau, le paysage leur comprima le cœur : un énorme nuage de vapeur s’en élevait, dû aux pouvoirs de Némésis pour endiguer les coulées de lave dévastatrices et sauver de nombreux habitants d’une mort certaine. Au loin, dans le ciel, deux points noirs se confrontaient avec violence, jusqu’à ce que l’un d’eux batte en retraite vers sa Tour enflammée.

— Par les Dragons, souffla Whélos, profondément attristé. Mais comment font les habitants pour vivre comme ça depuis deux siècles ?

Un court silence pesant accueillit sa question.

— D’après mon oncle, intervint Wil. Il y a une histoire dans nos archives qui raconte le périple d’un membre de la Tribu du Feu qui entama un voyage désespéré pour trouver notre île, pour obtenir un moyen de protéger les habitants de ces catastrophes.

— Quelle est la suite ? demanda Lya. Cette personne a-t-elle trouvé ?

— À ce qui paraît, répondit le marin, grave. Mais obtenir un bouclier à la fois magique et Avancé n’a certainement pas résolu les problèmes. Il suffit de voir l’état de cette jungle pour le comprendre et les cris de terreur qui nous sont parvenus depuis la côte.

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