Chapitre 31
— Vohon’…
D’un geste inconscient, Serymar ne put s’empêcher d’effleurer son épaule droite avec sa main gauche. Il ne sut pourquoi, en ayant aperçu l’image du Dragon, sa mémoire lui infligeait ce maudit souvenir de son bannissement. Sa mémoire lui rappela la douleur qu’il avait ressentie lorsque que le Dragon éventra son bras droit, de l’épaule jusqu’à son poignet. Une attaque qui lui aurait été fatale s’il n’avait pas eu un mouvement de recul pour l’esquiver.
— Tu te serais retrouvé maudit bien plus tôt si tu m’avais tué, songea-t-il. Au final, tu as sûrement ce que tu mérites, tu payes les conséquences de ton impulsivité.
Les Dragons n’avaient pas tort. Son existence causait des problèmes. C’était son sang qui avait été utilisé pour maudire les Dragons, au travers de ce totem hideux. Serymar ignorait encore à quel point il devait se sentir responsable de la situation. La situation serait pire s’il nourrissait le totem. Les hommes d’Œil-de-Sang ne tarderaient pas à le cerner, Serymar le savait. Il devait commencer à mettre ses pions en place.
— Maître. Uriel est revenu de sa mission, annonça Raël en se présentant dans l’encadrement de la porte.
Serymar répondit d’un léger signe de la main, attestant qu’il avait bien pris en compte cette information. En temps normal, il ne parlait déjà que bien peu, et ces dernières années à les avoir passées majoritairement dans le silence en utilisant la langue des signes avaient laissé quelques traces.
Il attendit patiemment que Raël se retire et se téléporta à une lieue de son habitation, là où ses sens ressentirent la présence d’Uriel.
Serymar s’attendait à une énième déception. Il prépara mentalement à encaisser une autre situation désagréable.
Uriel lui apparut. Serymar le détailla : le jeune homme semblait un peu fatigué par son voyage, mais n’avait aucune blessure. Son regard était assuré, malgré une pointe d’appréhension. Bien. Au moins, la petite remise en place que Serymar lui avait imposé la dernière fois semblait avoir eu effet.
— J’ai… j’ai ce que vous voulez, Maître, hésita Uriel.
Serymar tendit une main à plat, paume ouverte vers le ciel. Uriel fouilla dans sa sacoche de voyage et sortit une pile reliée de papiers qu’il remit dans la main du Mage.
« Voici donc ce qui a troublé notre petite compagnie… » songea-t-il.
Il s’était attendu à beaucoup de choses, et peut-être même à un objet Avancé, au vu de l’inventivité d’Œil-de-Sang. Au lieu de tout ça, une pile de papiers. Lorsque son regard se promena sur le titre en première page, cela lui parut, en effet, évident. « Projet Dragons ». Des documents qui n’avaient à priori aucun lien avec la navigation. En un instant, Serymar se douta du contenu. Il ignorait que son ennemi avait consigné ses projets, et certainement ses expériences morbides sur lui. D’une part, il en comprit la logique, de l’autre, il considérait cette action comme étant une erreur : lui-même préférait se référer à sa mémoire que prendre le risque de laisser la moindre trace de ses projets véritables. Enfin. Il avait pu constater avec le temps que peu de gens étaient atteint d’hypermnésie comme lui.
Sachant cela, un détail le dérangea.
— L’as-tu ouvert ? demanda-t-il avec froideur.
— Non, Maître, assura Uriel. Je suis rentré aussi vite que j’ai pu pour éviter que ce document tombe entre certaines mains.
Serymar le regarda droit dans les yeux, soupçonneux. Mais l’attitude, et ce reflet de panique dans le regard d’Uriel lui confirmèrent que le jeune homme ne mentait pas : en cet instant, son regard affichait un soulagement à l’idée de ne pas avoir cédé à cette tentation, au vu de ce que Serymar aurait pu lui infliger en retour. Parfois, nul besoin de recourir à la lecture mentale pour ça. Prêter attention aux détails infimes était parfois suffisant.
— Tu as enfin réussi une mission, admit-il, le ton neutre.
— Alors allez-vous enfin me…
— Mon pauvre garçon, tu ne comprends décidément rien à rien, s’agaça Serymar.
Uriel déglutit et contint sa frustration. Serymar soupira bruyamment en portant les doigts entre ses yeux, exaspéré. Il avait horreur de se répéter.
— Je te l’ai déjà dit. Maîtriser des sorts en plus n’est pas synonyme de puissance. Mais l’expérience. Et c’est ce que je te donne au travers de ces missions, Uriel. Fais-moi une fois encore répéter cette explication et je romps notre marché. Même mes serviteurs ont compris cette évidence plus vite que toi.
Uriel ne pipa mot et fit en sorte de ne pas afficher une expression déçue.
— Tu repars immédiatement, ordonna Serymar. Tu vas te diriger vers les Monts Onyx, au sud, dans la région du Dragon. Il s’agira de la prochaine destination de Karel et de ses amis, après l’Archipel du Volcan. J’exige que tu me rendes compte de tout ce qui s’y passera pour me permettre d’intervenir le moment opportun.
Uriel ne répondit rien. Serymar le laissa encaisser tout ce que ce long et périlleux voyage imposait comme conséquences. La destination était lointaine, tout à l’opposé de leur position, surtout par voie terrestre. Et dangereuse. Pas seulement par la malédiction d’Onyx, mais par la présence du Clan de la Terre, et certainement des espions de Phényxia et d’Œil-de-Sang. Enfin. Au moins pourrait-il passer par la Forêt du Vent sans encombre, maintenant que cette région avait enfin retrouvé son vrai visage.
Serymar était conscient qu’Uriel n’était pas de taille contre leurs ennemis. Lui-même n’était pas bien certain d’être capable de tous les affronter en même temps en s’en sortant vainqueur. Mais le jeune homme lui avait montré qu’il avait au moins suffisamment de ressources pour se faire discret et qu’il était capable de s’échapper en cas de problème.
D’un geste presque négligent, Serymar fit apparaître dans les mains d’Uriel une sacoche pleine.
— Voici ton équipement. C’est une mission très importante. Si tu échoues, crois-moi, je te le ferais intensément payer… jusqu’à l’agonie.
Uriel frissonna de plus belle et effectua un mouvement de recul.
— Compris, Maître, répondit-il avec toute la dignité possible.
— Pars, maintenant.
Uriel ne se fit pas prier et n’osa pas même quémander ne serait-ce qu’une pause avant de partir, bien qu’il en ressentît une profonde frustration.
Mais Serymar n’était pas assez fou pour lui faire encore confiance. Il comptait bien le tester davantage et, sans le dire, l’espionner, voir s’il ferait son travail correctement. Cette future rencontre avec Karel, Serymar l’attendait depuis de nombreuses années. Il était hors de question que ses projets échouent.
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