Chapitre 36

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Monts de la Mort.




Le rouage inversa sa position dans un léger cliquetis métallique et activa, dans une réaction à la chaîne, tous les autres qui lui étaient reliés. Serymar suspendit sa main au-dessus de l’araignée mécanique, déposée à l’intérieur d’un plat avec rebords et y versa de l’eau dessus avec lenteur. Il fixa froidement les minces tuyaux formant les pattes absorber le liquide, réprimant son dégoût en se rappelant que cette chose avait fait de même avec son propre sang. Après un instant où il ne sut si son expérience allait dans le bon sens, il vit l’objet recracher le liquide vers l’extérieur, éclaboussant sa grande table. Quelques gouttes tombèrent sur le livre ramené par Orën, ouvert juste à côté.

« Parfait. »

Il était parvenu à modifier la fonction première de cette chose répugnante et à briser la fonction qui la reliait à ce maudit laboratoire déguisé en totem immonde. Une arme déguisée. Sermar jeta un œil sur le volume qu’Orën lui avait fourni. Novice dans le domaine, il n’avait rien fait de complexe, mais Serymar espérait que ça serait suffisant pour que son plan fonctionne. Les Avancés avaient toujours tendance à le surprendre avec leurs inventions de plus en plus poussées. Mais il savait aussi d’expérience que, parfois, à force de créer des choses complexes, les gens avaient tendance oublier l’essentiel : la base, les fonctionnements les plus simples. Ce fut à partir de cette réflexion que Serymar s’était convaincu qu’aucun de ses ennemis Avancés ne ferait attention à ses petites modifications d’amateur. D’autant plus qu’il faisait partie de cette population de Weylor pour qui ce savoir était inaccessible. Une couverture parfaite. Être sans arrêt sous-estimé dans ses capacités intellectuelles comportait quelques avantages.

Il soupira en repensant à ses autres serviteurs. Tous étaient liés à lui par magie. Il avait juré de leur offrir une protection. Seulement, au vu de la situation, les protéger du combat à venir dans ces conditions allait devenir difficile.

Voilà plusieurs jours qu’il y réfléchissait. Comment combattre, sans courir le risque que ses ennemis lui lient les mains, si jamais ils découvraient ce lien qui les unissait ? Dans ces moments-là, ses échanges avec Enorën lui manquaient. D’expérience, Serymar avait bien pu constater que parfois, il était bon de réfléchir à une situation à plusieurs. Surtout quand les réflexions étaient avisées.

Il le sentait, son sixième sens l’avertissait qu’on allait bientôt chercher à l’acculer. Il ignorait qui précisément, ni quand, ni comment, mais son instinct de survie s’agitait. Quelque chose venait par ici. Serymar sentait qu’il ne pourrait pas, cette fois, tenir sa promesse comme quelques années plus tôt, face à Phényxia. S’il s’agissait d’elle, elle ne se contenterait pas de venir avec seulement deux escortes, cette fois.

Serymar s’assit et se prit la tête entre les mains, comme si ce geste pouvait l’aider à trouver une idée plus rapidement. Mais la seule solution qui s’imposait à son esprit était celle qu’il redoutait depuis des jours, celle qui ne serait pas sans séquelles sur lui. Le résultat de sa propre incapacité à faire confiance à autrui, qu’il allait chèrement payer. Il soupira à nouveau, se redressa, ses mains à plat sur la table en bois.

« Je n’ai pas le choix. Je dois prendre ce risque. »

Par magie, il envoya un message à ses deux serviteurs restants. Il se téléporta ensuite dans un des salons de la demeure et attendit les deux hommes, appuyé contre un meuble pour soulager sa jambe.

Des pas se firent bientôt entendre. Orën et Raël se présentèrent. Elma apparut aussi, inquiète.

— Le vent a tourné. Il est temps de vous récompenser à la hauteur de vos services, annonça-t-il sans préambule, les bras croisés.

Le choc secoua ses interlocuteurs. Ils avaient déjà compris le lourd tribut que cette annonce exigeait. Tant pour eux que pour leur Maître.

— Briser les pactes ? s’écria Raël. Vous n’y pensez pas !

— Au contraire.

— Briser un pacte peut avoir de lourdes séquelles ! rappela Orën. Alors plusieurs…

— J’ai eu bien pire.

Il sentit peser le regard noir d’Elma à ces mots. Serymar se rappela qu’elle lui avait déjà reproché d’un peu trop banaliser les souffrances qu’il s’était infligées pour les autres. Mais elle demeura silencieuse, semblant avoir compris la gravité de la situation. Serymar se redressa.

— Confiez-moi vos rêves, et je les réaliserai.

Orën eut un mouvement de recul.

— Maître… cela signifie que nous ne nous reverrons plus jamais.

Un silence tendu s’abattit entre eux. Serymar le regarda dans les yeux.

— Tu as tout compris. Je vais devoir vous effacer nos souvenirs communs. Considérez cela comme une chance. Au moins, vous n’aurez pas de regrets.

Les risques étaient beaucoup trop grands. Les sbires d’Œil-de-Sang pourraient tomber sur eux. D’habitude, Serymar infligeait ce sort pour se protéger. Aujourd’hui, il espérait que cela protégerait ses alliés.

« Quelle ironie… Ce sort était censé me protéger du mensonge. »

Il allait falloir le retourner contre lui-même pour cette même raison et pour protéger ceux qui lui avaient été fidèles. Comme il le leur avait toujours promis.

— Laissez-nous au moins une dernière faveur, s’il n’y a pas d’autres choix, quémanda Raël, ravagé par la tristesse.

Serymar l’accorda d’un geste et se recula. Les larmes aux yeux, Elma les prit chacun dans ses bras. Chacun se rendit cette étreinte en s’échangeant des mots d’adieux et se rappelant leurs souvenirs communs. Enfin, Serymar leur tendit les paumes.

— Merci, pour vos services rendus.

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