Chapitre 41

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Karel ne parvint pas à fermer l’œil de la nuit. Et ce n’était pas dû aux lents et discrets ronflements de Wil et de Whélos. Alors qu’il se redressait, Karel aperçut les coussins de Lya vides. Il se leva, et enjamba ses compagnons jusqu’à atteindre la sortie.

Se faire discret la nuit ne lui était pas difficile : depuis toujours, il avait fait des escapades nocturnes. Karel avait appris à esquiver la présence des serviteurs de son ancien mentor. Même si aujourd’hui, Karel se doutait que Serymar avait découvert cette petite activité. Maintenant qu’il y pensait, Serymar avait soudain intensifié le rythme de ses leçons de manière fort exagérée pour lui indiquer qu’il n’appréciait pas cette incartade.

L’air frais de la nuit l’enveloppa. Karel entendit le clapotis des divers cours d’eau cheminant dans le village. Il sourit : enfin, après deux siècles de souffrance, les habitants profitaient d’un luxe qu’ils n’avaient jamais eu pour la plupart : dormir sur leurs deux oreilles. Karel promena son regard en direction de la Tour, dont il vit une petite partie depuis sa position, telle une étoile brillant de tous ses feux. Le jeune homme prit conscience du poids des espoirs des habitants de ce village reposant sur leurs épaules.

« Pauvre Lya… » s’attrista-t-il.

Ce poids devait être doublement plus écrasant pour elle.

Karel observa les alentours et chercha un endroit où Lya aurait pu aller. S’ils étaient différents sur bien des points, ils en avaient quelques-uns en commun : le style de lieu où s’isoler quand ils avaient besoin de réfléchir en faisait partie.

Il posa une main sur le sol et enfonça ses premières phalanges dans la terre. Karel ressentit la moindre parcelle de vie s’animer sous sa paume. Lentement, il remua ses doigts et la terre révéla plusieurs empruntes de pas partant de la cabane de Raech. Karel reconnut aussitôt celles de sa sœur.

Satisfait, Karel se releva, coupa l’appel de ses pouvoirs, se débarrassa de la terre collée sur ses doigts et suivit la direction que sa magie lui avait indiquée. Il mit de longues minutes avant d’aboutir à la frontière du village, dans une zone plus isolée du reste : plus de cabane, et juste ce qu’il fallait de végétation pour avoir un peu d’intimité.

Il trouva Lya assise sur un énorme rocher surplombant la mer, appuyée sur ses mains derrière son dos. Le vent faisait voler sa longue queue de cheval rousse. Karel grimpa sur les rochers et s’installa à côté d’elle.

« La mer. Bien sûr. »

Karel trouvait assez amusant d’observer que, comme lui, Lya trouvait de l’apaisement avec ce doux son des vagues s’écrasant sur les rochers sans pourtant avoir pu la mer avant longtemps de ses propres yeux. Grandir séparément n’avait pas empêché des points communs se manifester chacun de leur côté. Une fois ensemble, les gens du village avaient toujours attesté qu’ils se ressemblaient. Ils avaient en effet tous les deux hérités des traits fins d’Eylen et avaient les mêmes yeux que Sorel. Ils étaient presque comme des jumeaux, à l’instar de Modonoka et Ruyô.

Lya sourit.

— Tu m’as trouvée. Comme toujours.

Karel ne répondit pas. Lya soupira et ricana.

— Tu ne lâcheras jamais le morceau, n’est-ce pas ?

« Non. »

Elle en avait fait autant pour lui. Lentement, Karel l’entoura d’un bras, effectua leur signe secret sur son épaule.

— Tu peux tout me dire, Lya, tu sais. Nous savons tous les deux ce que c’est, que de garder tout pour soi, cette interdiction de décharger le néfaste qui nous ronge. Si je peux bien faire quelque chose pour toi, c’est bien ça. Parle-moi. Par mots, par signes, par pensées, peu importe. Je t’écouterai comme tu le souhaiteras.

Pendant de longues secondes, il ne reçut aucune réponse. Karel lui laissa le temps.

— Je dois l’admettre… J’ai peur, Karel. J’ai pourtant affronté deux Dragons. Mais je commence à sentir ma force s’effriter, admit-elle avec calme.

— Nous avons vécu beaucoup de choses en si peu de temps, Lya. Nous avons tous été secoués. C’est compréhensif. Et sans peur, il ne peut y avoir de courage.

Un détail lui revint en mémoire.

— Cela fait longtemps, n’est-ce pas, Lya ? Avant même que les événements ne s’enchaînent. En réalité, tu comptais depuis toujours m’accompagner. Tu as toujours fait en sorte d’être dans le déni concernant cette Prophétie, pendant des années. Tous ces entraînements que tu t’es imposée, parfois jusqu’à l’épuisement, c’était dans le but de te battre avec moi.

Lya se raidit.

— Depuis quand as-tu pris cette décision ? s’enquit-il.

— Tu sais que tu m’agaces, parfois, à tout deviner comme ça parfois à partir de presque rien ? plaisanta-t-elle.

« Moi aussi, je t’aime. » sourit Karel.

— Depuis le jour où l’Académie de Magie décida de nous séparer, alors que nous n’étions pas prêts pour ça, répondit-elle. Tu n’imagines pas à quel point cela m’avait perturbée. Nous venions à peine de te retrouver et voilà que l’on nous séparait déjà de nouveau. Mais surtout, j’ai pris conscience, ce jour-là, que je n’étais pas à la hauteur.

— Lya… Nous étions des enfants. Tu avais un niveau tout à fait honorable pour ton âge. Ne considère pas l’avance que j’avais comme une référence.

— Ce n’est pas ça… enfin, pas tout à fait. J’avais beau le nier, cette Prophétie arriverait, t’arracherait à nous quoiqu’il advienne. Alors j’ai pris cette décision de devenir plus forte, tant sur le plan physique que magique, pour ne pas te laisser seul face à ce destin injuste.

Karel laissa planer un silence.

« De telles réflexions ne devraient pas surgir dans l’esprit d’une enfant de onze ans… » observa-t-il avec tristesse.

Un petit coup de poing le ramena à la réalité.

— Eh, pas de surinterprétation inutile. Je suis certaine qu’à ma place, tu aurais fait exactement la même chose.

« C’est vrai. »

À défaut de savoir quoi répondre, Karel chercha un moyen de détourner la conversation.

— Je me disais, aussi, que toutes ces acrobaties sur les chevaux étaient un peu excessifs pour leur dressage.

— Il fallait bien que je trouve un stratagème pour ne pas inquiéter nos parents. Ils m’en auraient empêchée, autrement. En déguisant ce projet d’entraîner mon corps par une passion, tout le monde n’y a vu que du feu. Même toi. Cela ne change rien au fait qu’un jour, je le construirai, ce ranch.

Un long silence accueillit sa réponse. Karel leur laissa le temps : le calme était bienvenu, et le bruit de la mer apaisant.

— Tu n’es pas obligée d’affronter Vohon’, si tu ne le sens pas. Peu importe Phényxia. Ne te torture pas comme ça. Il te faut peut-être plus de temps pour trouver une solution à ce qui te tourmente. C’est tout. Ne précipite pas ces choses-là. Il n’y a rien de pire pour prendre une mauvaise décision, et de se saccager soi-même. Crois-moi.

Quelques secondes planèrent. Seul le ressac des vagues meublait le silence. Enfin, Lya le regarda droit dans les yeux, avec une nouvelle étincelle dans le regard.

— Non, mon frère. Je ne laisserai pas passer cette opportunité. Il est temps que je règle mes comptes avec les Dragons.

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