Chapitre 42*
Elma observait, émue, un vieux bout de papier. Une petite fille à l’expression radieuse y était représentée dans les bras d’un homme qui l’étreignait avec tendresse avec son épouse. Son père, avant qu’il ne tombe malade quelques années plus tard et succombe.
Une présence familière se manifesta dans son dos. Celle qui effrayait tant de personnes, sauf elle qui l’avait toujours trouvée rassurante. Des mains se posèrent sur ses épaules.
— La nostalgie te gagne, Elma ?
La jeune femme reposa le portrait. En y repensant, il n’y avait que Serymar qui était capable de créer ce genre de sort. Le surnom de « Pouvoir Universel » lui allait bien. Sa seule limite était son imagination. Elma se souvenait de ce jour, quelques semaines après être entrée sous la protection de Serymar. En plein deuil de sa vie passée, elle avait eu du mal à remonter la pente. Serymar lui avait demandée de fermer les yeux et de se concentrer sur un souvenir heureux, et de le visualiser dans ses moindres détails. Elma avait obéi puis Serymar lui avait donné ce bout de papier, sur lequel il avait gravé avec un sort psychique le souvenir qu’elle avait visualisé. Cet instant l’avait confortée dans sa décision de le suivre où qu’il irait.
Elle lui fit face. La culpabilité l’étouffait.
— Cette aversion du toucher… comment en guérit-on ?
Être tiraillée entre le désir sincère de vouloir se rapprocher de lui et l’appréhension la torturait. Elma avait l’impression de profiter de lui sans donner de retour.
Serymar resta silencieux quelques secondes. La gêne modela ses traits.
— On n’en guérit jamais. Du moins… je n’y suis jamais parvenu.
— Pourtant vous…
— Cela peut s’atténuer avec les années, ou ne disparaître qu’avec certaines personnes.
Elma baissa la tête, déçue. Serymar l’attira à lui.
— Dis-moi pourquoi tu ne trembles plus à mes côtés.
— Parce que ça fait des années que je…
— Ce n’est pas la bonne réponse, Elma.
Elle comprit. Il connaissait déjà la réponse et essayait de l’amener à se comprendre, comme il l’avait fait l’année de leur rencontre. Serymar ne perdrait jamais son côté manipulateur. Elma ne lui en tint pas rigueur pour cette fois. Elle savait que son but était de l’aider. Il avait toujours procédé ainsi, par beaucoup de réflexions et à peine par magie.
Pendant qu’elle réfléchissait, fébrile, Serymar la mena sur le vieux canapé rapiécé et la fit s’asseoir en face de lui, sans lui relâcher les mains. La réponse jaillit en elle, telle une révélation.
— Parce que je vous ai enfin retrouvé tel que je vous avais rencontré. Que je ne suis plus à votre service, mais…
Elle se tut et releva le regard vers Serymar, qui assentit.
— C’est ça. Parce que tu es désormais dans mon cercle personnel, et non plus de l’autre côté de mes façades.
Elma ne tint plus et dévora ses lèvres froides avec avidité. Ses mains glissèrent sous la tunique sombre de Serymar et remontèrent jusqu’à ses épaules.
— Je veux me lier à v… toi, souffla-t-elle. Depuis toujours.
Serymar observa un silence en caressant son dos avec lenteur.
— N’es-tu pas effrayée ?
— Je suis terrifiée. Pourtant, je…
Il posa un doigt sur ses lèvres, attestant qu’il avait déjà compris ce qu’elle ressentait avant même qu’elle ne développe plus loin. Elma se recroquevilla contre lui. Cette capacité de compréhension la soulageait.
— Dé…
— Si tu te répands en excuses pour ça, je te promets de te rendre aussi muette que Karel à vie, assena soudain Serymar.
Elma se figea. Elle l’en savait capable. Des doigts se glissèrent sous son visage pour la forcer à le relever et à le regarder.
— Jamais pour ça, Elma.
Elle demeura silencieuse, coincée entre son désir brûlant et sa peur. Serymar la relâcha.
— Je suis si fier de voir la femme que tu es devenue. Et honoré d’être celui que tu as choisi.
Elma ne sut quoi répondre. L’émotion l’étreignit. Depuis combien de temps avait-elle rêvé ces mots ?
— Viens-là.
Elle se lova dans ses bras. Un léger courant froid la fit frissonner et s’aperçut que leurs vêtements n’étaient plus sur leurs corps. Seul un drap sombre les recouvrait. Elle l’interrogea du regard. Et comprit. Elle étira un sourire reconnaissant, heureuse de ne pas s’être trompée à son sujet : il comprenait ce petit sentiment d’humiliation qui pouvait se ressentir lorsque des yeux se posaient sur soi pendant que l’on retirait ses vêtements. Il savait ce que c’était.
— Finalement, c’est v… toi qui va encore me réparer… observa Elma.
— C’est mon rôle, désormais.
Elle frissonna lorsqu’il effleura la courbe de son sein.
— Je t’ai déjà vue nue, rappela-t-il. Même si je dois admettre que je m’en serais bien passé la dernière fois, si j’avais pu.
La gêne d’Elma vola soudain en éclats. C’était vrai. Le jour de leur rencontre, lorsqu’il lui avait avoué avec embarras qu’il avait dû « aller plus loin que ce qu’il aurait dû » pour la sauver. À la différence près qu’il n’avait pas abusé d’elle.
— Plus de plaies ou de traces de coups sur la moindre parcelle de ta peau, sourit-il. Sans blessure profonde ou infection en-dessous. C’est beaucoup plus appréciable.
— Aucune cicatrice, poursuivit Elma dans le même souffle en effleurant ses lèvres. Grâce à v… toi.
Il l’embrassa, l’entraîna dans un baiser langoureux. La respiration d’Elma s’accéléra lorsque ses mains longèrent sa poitrine pour descendre jusqu’à ses hanches. Son ventre se contracta, les caresses sur sa peau augmentèrent son désir pour lui permettre de surpasser son appréhension.
— Elma, permets-moi de te donner, entendit-elle murmurer alors qu’il l’embrassait dans le cou.
Ce fut comme si une chaîne profondément enfouie en elle se brisait, laissant jaillir ce désir pur et profondément muselé. Ces mots lui confirmèrent qu’elle avait ce luxe de tout interrompre sans redouter le moindre reproche. Jamais il ne la contraindrait. Elle pouvait tout arrêter maintenant, il cesserait. Son désir s’en retrouva décuplé et Elma se surprit à en vouloir plus.
— Oui…
Ses caresses se firent plus entreprenantes, plus pressantes. Son ventre se contracta de plus belle et ses jambes se raidirent lorsque sa chair la plus sensible entre elles fut sollicitée. Elle expira bruyamment, trembla.
« Encore. »
Chaque contact de ses lèvres la brûlait. Elle voulait se jeter contre lui, mais lutta.
« Encore. Encore », s’entendit-elle supplier.
Elle ne s’était pas attendue à un tel désir enivrant, pas après en avoir été dégoûtée par le passé. Elle avait tant redouté que sa mémoire ne lui fasse ressurgir ses pires souvenirs. Nulle peur ne l’animait à le voir nu et à l’être sous ses yeux. Parce qu’il savait ce que c’était. Il avait éprouvé ce même malaise dans le passé. Ils portaient la même blessure et cela étouffait leurs appréhensions.
Elma ressentit une présence aux abords de son esprit, qui avait tous les pouvoirs de s’immiscer de force mais qui attendit, encore une fois, son aval. Elma le donna et se laissa envahir jusqu’au fin fond de son être. Liée par le corps et l’esprit. Elle entendit son rictus amusé résonner.
— Tu es insatiable.
Elma ne répondit pas. Il était futile de cacher ses désirs inavouables. Pour toute réponse, elle rapprocha son bassin de lui et s’avança. Elle frissonna lorsqu’il longea sa colonne vertébrale pour la guider. Elma gémit, le cœur battant, l’esprit affolé entre ses appréhensions et l’idée de se retrouver bien plus contre celui qu’elle avait toujours désiré. Les battements de son cœur s’accélérèrent, elle en oublia de respirer, paralysée de cette liaison tant redoutée. Il la prit dans ses bras, comme s’il cherchait à apaiser les appréhensions liées à ses anciens traumatismes.
— Je n’ai pas mal… c’est de la magie, n’est-ce pas ?
— Aucunement.
L’émotion saisit Elma et des larmes lui échappèrent. Elle avait du mal à réaliser dans quels bras elle se trouvait. Il n’utilisait aucune autre magie que la télépathie et cette étreinte psychique d’une infinie douceur exacerbait le moindre de leurs sens. Il n’usait d’aucun artifice. Son angoisse diminua et elle l’étreignit avec force, jusqu’à ce que toute appréhension la quitte et la libère. Avec lui à ses côtés, elle ne craignait plus rien. Elle serait son soutien en échange, envers et contre tout. Personne au monde ne pouvait rivaliser avec ce qu’il lui avait offert.
Elle lui saisit le visage et l’embrassa avec une passion fougueuse, heureuse d’être libérée de sa terreur. De se rendre compte que son passé ne l’empêchait pas d’aimer à nouveau.
Mais être autant mise en avant la gênait encore. Se retrouver au-dessus de lui dans cette position l’effrayait. Serymar la renversa aussitôt sur le canapé et longea sa gorge de ses lèvres. Elma l’en remercia en son for intérieur et soupira de plaisir sous ses caresses ciblées, soulagée de se retrouver dans son étreinte protectrice et aimante. Une vague de plaisir lui paralysa toutes ses pensées alors qu’elle gémit sous chaque sensation enivrante qui lui faisait perdre tout contrôle.
Autrefois, elle ne se sentait que comme un amas de chairs que l’on torturait à sa guise. Sous ses mains, Elma prenait conscience de chaque courbe composant son corps, qu’elle était une femme et que ces caresses n’étaient là que pour exacerber ses sens, et non la détruire. Ses baisers brûlants décuplaient le moindre de ses ressentis. Jamais elle n’aurait cru en désirer tant, que cet instant ne cesse jamais. Ses cuisses se serrèrent sur les hanches de son âme sœur comme pour s’assurer de sa présence.
Sa respiration s’accélérait. La sienne aussi. Elma découvrit qu’elle aimait sentir son cœur battre contre le sien, son souffle sur sa peau. Elle expira, se raidit.
— Elma…
Elle se figea. Gémit encore sous ses caresses et va-et-vient. Lui aussi perdait le contrôle de sa respiration, les doigts crispés sur son épaule. Son corps lui criait grâce, mais Elma se surprit à en désirer davantage. Un cri lui échappa lorsque son corps se cambra sous celui de Serymar, ivre de désir.
— Elma !
Elle gémit plus fort alors qu’elle eut l’impression que son corps se brisait en lui-même. Le cœur battant, l’euphorie la saisit toute entière en réalisant le plaisir qu’elle éprouvait, à avoir entendu son nom franchir ces lèvres.
Il s’affaissa, elle l’entoura de ses bras, haletante, désirant ressentir son corps contre le sien encore tremblant. Il l’enlaça avec force.
— Merci… d’être là pour moi, Elma, murmura-t-il.
Haletante, elle l’entoura de ses bras et approcha sa bouche de son oreille.
— Toujours.
Annotations
Versions